Dans l’un de ses immenses champs de blé dans le sud-est de l’Ukraine en guerre, Serguiï Lioubarsky se demande bien comment il va pouvoir récolter ses céréales, menacé qu’il est par le manque de carburant et les risques de bombardements.
« La moisson doit normalement débuter vers le 15 juillet, dit-il, mais le diesel est cher et d’ailleurs il n’y en pas », pour faire tourner la vieille moissonneuse-batteuse stationnée dans la cour de sa ferme à Raï Oleksandrivka, village situé non loin des positions des forces russes de l’autre côté de la colline, à une trentaine de km à l’ouest de Lougansk.
L’agriculteur exploite 170 hectares de terres, produisant en majorité du blé, mais aussi de l’orge et des fleurs de tournesol – des céréales dont les prix flambent sur les marchés mondiaux, en particulier à cause de la guerre déclenchée par la Russie en Ukraine, grand producteur mondial de blé.
En plus, M. Lioubarsky a dû laisser 40 hectares de terres en jachère. « On n’a pas pu acheter les semences de maïs parce que la guerre a commencé » fin février, dit-il, ces semences importées mettant un ou deux mois à arriver.
Maintenant, les terrains non cultivés sont « utilisés en partie par l’armée pour entreposer du matériel militaire », ajoute-t-il en pointant du doigt la colline: « Regardez, des soldats russes sont déjà là-bas, à 8 km » à vol d’oiseau.
Pour le blé, le temps presse. « On peut attendre au maximum jusqu’au 10 août, mais après, les grains vont se dessécher et tomber au sol », dit-t-il en prenant un épi de blé qu’il presse dans sa main en faisant tomber les grains par terre pour montrer ce qui arrive si on ne les récolte pas à temps.
Un autre agriculteur du village se gratte lui aussi la tête quand on lui demande comment il va récolter son blé. Anatoli Moïsseenko a encore suffisamment de diesel pour faire la moisson, mais « le problème, c’est la guerre, est-ce que cela va être possible ou est-ce que des roquettes vont encore tomber? », dit-il en observant que des soldats ukrainiens ont ramassé une tête de roquette tombée récemment dans son champ de blé. Récolter, « c’est un peu comme jouer au poker », dit-il en souriant.
Dans le village voisin de Riznikivka, Iaroslav Kokhan sait que ses 40 hectares de blé sont déjà perdus. En temps normal, explique-t-il, c’est son fils qui s’occupe de la récolte, car lui ne monte pas sur le tracteur ou la moissonneuse-batteuse rangés dans le petit hangar attenant à la maison.
En 2014, année où la Russie a annexé la Crimée, son fils est parti vivre à Krasnodar, dans le sud de la Russie, « et il faisait des allers-retours en voiture plusieurs fois par an pour semer le blé, le désherber et le récolter », ajoute-t-il.
Cette année, dit le retraité de 61 ans, « il devait revenir en Ukraine le 25 février, jour de son anniversaire, mais la guerre a éclaté la veille », et il ne reviendra pas. Autrement, il ne pourrait plus retourner dans sa famille en Russie, tous les Ukrainiens âgés de 18 à 60 ans ayant l’interdiction de quitter le pays pour pouvoir être appelés à combattre si nécessaire.
Alors que va devenir son blé ? « Je pense qu’une allumette va faire l’affaire », lâche M. Kokhan en regardant d’un air triste le champ derrière sa maison.
M. Lioubarsky, lui, garde espoir de pouvoir moissonner son blé et pense déjà à ses fleurs de tournesol dont la récolte est en septembre : « d’ici là, j’espère qu’on vivra en paix! ».
Source: AFP