Lorsque Israël se préparait aux élections anticipées entre fin 2018 et avril 2019, nombre d’analyses prévoyaient une guerre de Netanyahou sur Gaza afin de garantir sa victoire. La guerre n’ayant pas eu lieu, ces prévisions ont été renvoyées au-delà des élections afin de faciliter la formation du gouvernement. Puis, lorsque Netanyahou a échoué à former son gouvernement et que la guerre n’a pas eu lieu, certains ont continué à parler d’une guerre à venir.
Entretemps, il s’est trouvé qu’un missile venu de Gaza est tombé près de Tel-Aviv [14 mars 2019] et que l’incident s’est répété, justifiant la guerre promise. Mais Netanyahou n’a pas lancé sa guerre et s’est contenté d’adopter les explications des Égyptiens, selon lesquels des facteurs météorologiques étaient à l’origine du premier incident et une erreur humaine à l’origine du second. Il n’empêche que les missiles ont livré leur message : la règle d’engagement de toute guerre future sera Gaza contre Tel-Aviv.
Quant à Washington qui a dit avoir mobilisé son armada dans le Golfe en une opération de dissuasion destinée à faire comprendre aux Iraniens que le ciblage de n’importe lequel de ses alliés signifiait une guerre des États-Unis contre l’Iran, et qui a ensuite annoncé avoir des preuves quant à l’implication de l’Iran et de ses alliés dans les incendies des pétroliers survenues quelques semaines plus tard, [les 4 pétroliers dans les eaux territoriales des EAU et les 2 pétroliers dans le Golfe d’Oman, sans oublier la frappe contre l’oléoduc saoudien reconnue par les Houtis ; NdT], il s’est contenté de déclarer que l’armée américaine n’interviendrait directement que si ses propres forces étaient ciblées.
Ceux qui comprennent ce que signifie le mot « dissuasion » se sont demandé ce qu’il en resterait après cette reculade, ceux qui ne comprennent pas ont éprouvé le besoin de voir l’Iran aller encore plus loin dans la démonstration de la fausseté des déclarations des uns et des autres. Besoin exaucé [le 20 juin au matin] avec la destruction de ce qu’il y a de meilleur dans l’arsenal américain en matière d’espionnage et de cellules opératoires : un avion de plus de 200 millions de dollars abattu par un missile de fabrication iranienne, alors qu’il se trouvait à 14 Km d’altitude…
Le président américain a commencé par dire que nous verrons ce que nous verrons ; puis, en présence de son invité canadien, il a souligné que l’opération n’avait pas fait de victimes, ce qui signifie implicitement qu’elle ne mérite pas une guerre. Plus tard, il a supposé que l’opération pouvait être due à une erreur involontairement commise par un officier iranien, tandis que les responsables iraniens reconnaissaient leur implication dans la perte de l’avion abattu, abattant du même coup le concept de la dissuasion américaine en question.
Le problème avec les Américains et les Israéliens est que, depuis qu’ils ont échoué à briser la volonté de la Résistance par les guerres, ils se sont imaginés que le siège de Gaza, les sanctions contre l’Iran et les forces de l’axe de la Résistance finiraient par l’emporter et qu’ils pourront continuer à disposer du temps nécessaire à cet effet, sans rencontrer de provocations, sans se laisser entraîner sur les champs de bataille, sans subir les humiliations et les contraintes de nouvelles équations sur le terrain militaire ; contraintes qui les forceraient à négocier hors du jeu des sanctions et des embargos.
Dans les faits, Israël qui s’est trouvé obligé d’accepter la trêve conclue avec Gaza, aux conditions dictées par les forces de la Résistance, aimerait bien que les États-Unis se mouille à sa place dans sa guerre contre l’Iran. Il en est de même des agresseurs du Yémen, saoudiens et émiratis, lesquels ont dû accepter la trêve de Houdayda aux conditions dictées par « Ansar Allah » [les Houtis].Tandis que les Américains sont désormais face aux défis de l’explosion des marchés et des prix du pétrole ou de la négociation d’une détente aux conditions de l’Iranien qui sait à quoi elle doit mener, quand et comment.
En effet, ce 22 juin, alors que des sources iraniennes dignes de confiance affirmaient que le commandement du corps des Gardiens de la Révolution avait donné l’ordre d’orienter les plates-formes des missiles en direction de toutes les bases américaines implantées dans le Golfe, et informé les habituels messagers entre Téhéran et Washington que toute frappe sur n’importe quel site iranien sera considérée comme une déclaration de guerre, les débats à Washington tournaient autour de la façon d’éviter la guerre, ceux de la Maison Blanche portaient sur le moyen de sauver la face, tandis que les débats des dirigeants du Parti démocrate remettaient au premier plan l’Accord sur le nucléaire iranien signé par l’ex-président Barack Obama, considérant que le retrait de cet accord était une grave erreur et que celui qui en avait décidé a mis les États-Unis dans le pétrin, porté atteinte au prestige de son armée et donné à l’Iran l’occasion de s’illustrer en tant que maître de la situation.
Quant aux capitales européennes, lesquelles redoutaient cet instant précis tout en subissant une forte pression pour rejoindre le train des sanctions décrétées par les États-Unis, ces derniers se contentant de leur répondre qu’ils ne pouvaient pas dévoiler leur plan, qu’ils savaient ce qu’ils faisaient et que l’Iran était à deux doigts de capituler et d’accepter de nouvelles conditions pour ne pas étouffer, quelle n’a été leur surprise, en cette fin de journée, d’apprendre que leur médiation était sollicitée par Washington pour faire accepter à Téhéran une frappe américaine convenue par avance, pour sauver la face du président américain ! Un président américain affirmant ne pas vouloir s’engager dans une confrontation, contrairement aux Iraniens qui leur avaient déjà fait savoir qu’ils étaient prêts à ce face à face au cas où l’Iran était ciblé d’une façon ou d’une autre.
Au même moment, ce sont la nervosité, l’inquiétude et la crainte de voir les missiles leur tomber sur la tête au cas où la situation devenait incontrôlable, qui ont dominé la journée en Arabie Saoudite et aux Émirats Arabes Unis, sans qu’aucun parmi les dirigeants n’ait osé avouer qu’il n’a cessé d’inciter les États-Unis à se retirer de l’Accord sur le nucléaire iranien.
En revanche, à Tel-Aviv et dans Jérusalem occupée les médias ont fait état d’une mobilisation houleuse des lobbies pro-israéliens à Washington, pour demander au président ce qu’il comptait faire pour empêcher Israël et ses alliés de se transformer en champ de tirs si les États-Unis menaient une opération provoquant la colère des Iraniens, vu qu’ils avaient déclaré que dans ce cas les bâtiments israéliens deviendraient des objectifs légitimes, obligeant Israël à se lancer dans une guerre dépassant ses capacités au moment même où Washington déclarait ne pas vouloir s’impliquer dans une guerre globale. De plus, certains commentateurs ont parlé d’une demande explicite d’Israël de s’abstenir de toute action militaire sans garanties préalables l’écartant de toute riposte. D’autres, ont posé la question de savoir si ce n’était pas Netanyahou qui avait incité Trump à se retirer de l’accord nucléaire en arguant que cela servirait les intérêts d’Israël.
Seul Moscou avait prévu que l’Iran ne tolérerait pas une telle provocation, qu’il en avait les moyens et que la mobilisation américaine dans le Golfe ne constituait pas une force de protection des politiques menées par le président Trump.
Par conséquent, Moscou guettait l’instant où cette faiblesse apparaitrait au grand jour, pour proposer la constitution d’une plate-forme internationale garantissant l’Accord sur le nucléaire dont le volet concernant les intérêts commerciaux de l’Iran, avec l’approbation américaine ; seul moyen de rétablissement du calme et de la stabilité dans la région.
Moscou a donc entamé des consultations avec l’Union Européenne, la Chine et le Japon et a très rapidement annoncé, via un communiqué du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, sa volonté de parrainer une coalition internationale qui veillerait à garantir les intérêts financiers et pétroliers de l’Iran. Parallèlement, concernant la réunion tripartite qui réunira des conseillers de la sécurité américains, israéliens et russes à Jérusalem [prévue pour le 24 juin courant ; NdT], Moscou a répondu qu’il faudra prendre en compte les intérêts iraniens.
En bref, l’équation établie par Washington revenait à une guerre financière globale jusque l’arrêt total de la guerre militaire, à savoir l’arrêt de la résistance en Palestine, au Yémen, au Liban, en Syrie et en Irak. L’Iran a répondu que la guerre financière globale signifiait guerre militaire globale, avec tout ce que cela implique comme confrontation américano-iranienne.
Aujourd’hui, cette équation tend à se régler sur la base d’une demi-guerre militaire et d’une demi-guerre financière. Ce qui fait que la résistance continue, l’embargo et les sanctions continuent, bien que la résistance ne soit pas une guerre globale et que les sanctions ne sont pas censées l’être non plus.
Telles sont les nouvelles règles d’engagement imposées par l’Iran avec une intelligence stratégique qui a su comment exploiter et tenir le jeu du temps et de la géographie. La protection de l’Accord sur le nucléaire, avec ou sans l’approbation des États-Unis, se fraie son chemin vers le Sommet du G20.
Par Nasser Kandil : Analyste libanais et rédacteur en chef du journal al-Binaa ; traduit par Mouna Alno-Nakhal
Sources : al-Binaa ; Topnews