L’alliance jihadiste Hayat Tahrir al-Cham (HTC), qui contrôle désormais la province d’Idleb dans le nord-ouest de la Syrie, assure avoir rompu avec Al Qaïda mais des liens cruciaux avec l’organisation fondée par Oussama ben Laden persistent, estiment officiels et analystes.
Au fil des changements de nom, des changements de chefs et des déclarations postées sur internet, les relations entre HTC et Al Qaïda semblent s’être distendues, mais, pour de nombreux experts, il ne s’agit que d’écrans de fumée destinés à tromper notamment les services secrets internationaux.
Le mouvement jihadiste syrien Front al Nousra, dont est issu HTC, avait annoncé en juillet 2016 la rupture, décidée d’un commun accord, de ses relations organisationnelles avec Al Qaïda, à laquelle il avait prêté allégeance.
En fait, il s’agissait d' »un changement de nom assorti d’un maintien secret de l’allégeance », assure à l’AFP Hassan Hassan, un spécialiste des mouvements jihadistes au Tahrir Institute for Middle East policy, à Washington.
« HTS a maintenu des liens avec les mouvements intégrés à Al Qaïda dans le nord de la Syrie, accordant même des territoires et des ressources à ces groupes prétendument rivaux », ajoute-t-il. « Ils sont sur la même orbite et ont des connexions organiques. Les analystes qui voient cette relation en noir et blanc n’ont souvent aucune idée de l’existence de ces arrangements locaux, sur place ils sont connus de tous. »
Dans la région d’Idleb, plusieurs factions jihadistes restent officiellement liées au réseau dirigé depuis la mort de ben Laden par l’Égyptien Ayman al-Zawahiri, dont Hourras al-Din, qui comprend plusieurs milliers de combattants syriens et étrangers, dont des vétérans d’Irak et d’Afghanistan, ou le parti islamique du Turkestan (TIP).
Ils ont combattu aux côtés des hommes de HTC lorsqu’il a pris le contrôle de la région d’Idleb, face aux groupes rebelles appuyés par la Turquie.
« Changements de noms stratégiques »
Pour le Français Jean-Pierre Filiu, professeur à Sciences-Po Paris,
« Al-Qaïda demeure une organisation centralisée, à forte hiérarchie pyramidale. Un faisceau d’indices accrédite la thèse d’une mise en scène par HTC de sa +rupture+ annoncée avec la direction d’Al-Qaïda ».
« C’est d’ailleurs la raison principale de l’échec à Idleb de la Turquie, qui avait misé sur la tendance supposée +syrienne+ de HTC pour en neutraliser la composante jihadiste », poursuit-il.
Au moment de l’annonce, il y a deux ans et demi, de la rupture officielle entre le Front al Nosra et Al-Qaïda, de nombreux experts avaient dénoncé une opération tactique de dédiabolisation : en Syrie comme ailleurs, porter le sceau al Qaïda attire l’attention de services secrets internationaux. Cette étiquette précède souvent de peu les premiers tirs de missiles, à partir de drones armés ou de chasseurs-bombardiers.
« Même si HTC affirme être une entité indépendante, sans affiliation avec Al Qaïda, cette organisation est issue de la branche syrienne d’Al Qaïda, après une série de changements de noms stratégiques », écrit lundi le centre de réflexion Soufan Group.
« En dépit de ses nombreux changements d’apparence, HTC n’a pas changé d’idéologie et il est largement admis qu’il maintient des liens avec Al Qaïda », assure ce groupe américain fondé par le fameux ex-agent du FBI Ali Soufan, un vétéran de la lutte antijihadiste.
« Depuis le début, HTC parie sur le long terme en Syrie en cultivant ses rapports avec des organisations au niveau local », ajoute le Soufan Group, pour se démarquer, du moins officiellement, de la centrale jihadiste fondée par ben Laden et de son programme d’action international.
C’est au nom de son administration locale, baptisée « Gouvernement du Salut », que le HTC a étendu par la force son emprise sur toute la province d’Idleb.
Lundi, la Coalition nationale syrienne, la principale formation de l’opposition en exil, a qualifié HTC d' »organisation terroriste ».
Une étiquette que l’ambassade des États-Unis en Syrie a appliquée à HTS en mai 2017. « Le cœur de HTC est al Nousra, un groupe désigné comme terroriste », a écrit l’ambassade sur son compte Twitter. « Cette désignation s’applique quel que soit le nom qu’il emploie ou le groupe dans lequel il se fond ».
Source: AFP