L’UE veut créer une entité spécifique pour «faciliter les transactions financières légitimes avec l’Iran» notamment pour acheter du pétrole, a annoncé la chef de la diplomatie européenne. Sputnik a pu s’entretenir avec des experts iraniens au sujet de la mise en place de ce système de troc dans le but d’échapper aux sanctions américaines.
L’Union européenne prévoit de mettre en place un inhabituel mécanisme financier afin de préserver son commerce avec l’Iran de sanctions américaines. La nouvelle a été annoncée dans une déclaration commune de la Russie, de la France, de la Chine, de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de l’Union européenne et de l’Iran.
Les experts iraniens, questionnés par Sputnik au sujet du potentiel de cette initiative visant à renforcer le commerce avec l’Iran dans le contexte d’une guerre économique menée par les États-Unis, ont exprimé des opinions très différentes.
Peyman Molavi, secrétaire général de l’Association des économistes iraniens, a indiqué que les motivations derrière le SPV étaient de faire un pas en avant sur le chemin de l’intensification des relations commerciales entre l’UE et l’Iran et qu’il représentait une plateforme exemplaire pour les autres pays frappés de sanctions américaines.
«L’Iran n’est pas le seul à subir la pression des sanctions. Les États-Unis ont recours aux sanctions, notamment économiques, comme instrument d’influence sur nombre de leurs partenaires commerciaux», a-t-il noté.
Peyman Molavi a constaté que le dollar américain restait toujours un levier financier important utilisé dans quelque 80% des transactions. Et quand ce levier exerce une «pression croissante» sur un pays, ce dernier est obligé de créer des instruments pour conclure des transactions et de payer en contournant ce «levier», a-t-il expliqué.
«Parmi ces instruments, on trouve des accords de troc ou le passage aux monnaies nationales. Mais pour l’Iran, ces instruments ne conviennent pas et sont difficiles à appliquer en pratique. Par conséquent, l’idée de mettre en place un mécanisme de paiements spécial représente une véritable percée et un grand pas en avant dans la voie des libres importations et exportations entre l’Iran et l’UE», a-t-il souligné, constatant que ce serait le premier cas où les pays européens créeraient une institution de médiation à pouvoirs indépendants.
Seyed Yaser Jebraily, membre du Conseil scientifique d’économie de l’Institut des études politiques et stratégiques Hekmat, estime au contraire que les Européens n’ont rien fait pour défendre les intérêts commerciaux de l’Iran.
«Après le retrait unilatéral de Washington du Plan d’action global conjoint, l’Union européenne s’est engagée à garantir les intérêts de l’Iran dans l’accord sur le nucléaire du pays, mais ces promesses se sont avérées creuses. Emboîtant le pas aux États-Unis, de nombreuses sociétés européennes ont quitté le marché iranien et l’achat de brut iranien par les Européens s’est réduit», a-t-il rappelé.
Il a également fait remarquer que l’Iran pourrait prendre la décision unilatérale de réduire ses exportations de pétrole en Europe.
«Mais si les éventuels clients se plient aux conditions et sanctions américaines, les exportations de brut chuteront et l’Iran ne pourra pas obtenir les revenus prévus. L’accord sur le nucléaire iranien deviendra alors une simple promesse unilatérale dénuée de sens. Dans ce cas, l’Iran se retirera sans aucun doute d’un tel « accord »», a-t-il poursuivi.
«Mais peut-être que ce sera un mal pour un bien, et que le retrait des sociétés européennes du marché iranien sera utile à l’économie nationale», a indiqué Yaser Jebraily, rappelant l’exemple du Japon.
Tant que les Japonais n’avaient pas évincé General Motors et Ford, ils n’étaient pas de gros fabricants de voitures. L’Iran se voit présenter aujourd’hui la même occasion, constate-t-il.
«Quand en 2010 les États-Unis ont introduit un embargo sur l’essence, tout le monde a pensé que cette décision provoquerait une crise sociale en Iran. Mais le pays a réussi à construire et mettre en service la raffinerie de l’Étoile du Golfe et s’est affranchi de sa dépendance à l’importation de carburant», a-t-il rappelé.
Yaser Jebraily a cité trois politiques appliquées par tous les pays développés pour assurer leur essor économique: «la protection du marché et de la production intérieure, l’interdiction d’exporter des matières premières et l’introduction de limitations à la présence de sociétés étrangères sur le marché intérieur.»
Washington sait que sur le long terme, ses sanctions ne feront que du bien à l’économie iranienne, mais espère pouvoir réussir à scinder le pouvoir en place et la population afin de préparer le terrain pour anéantir l’Iran, a-t-il affirmé.
«Toutefois, les avantages à long terme tirés des sanctions américains ne signifient sûrement pas que l’Iran tolèrera la soumission de ses partenaires commerciaux européens aux indications des États-Unis et restera attaché à l’accord sur le nucléaire», a-t-il fait remarquer pour conclure.
L’Union européenne a décidé de mettre en place une entité spécifique qui devra lui permettre de préserver son commerce avec l’Iran de sanctions américaines. Cette nouvelle figure sur une déclaration de la Russie, de la France, de la Chine, de l’Allemagne, du Royaume-Uni, de l’Union européenne et de l’Iran, a indiqué la chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini.
«Concrètement, les États membres de l’Union européenne vont instaurer une entité légale pour faciliter les transactions financières légitimes avec l’Iran», a dit Federica Mogherini dans la déclaration lue lundi soir à la sortie de la réunion consacrée à la sauvegarde de l’accord nucléaire de 2015 suite au retrait des États-Unis de ce dernier en mai.
SPV, pour Special Purpose Vehicle (ou véhicule à objectif spécial) est le nom de cette future entité chargée de permettre aux sociétés de la communauté européenne de poursuivre légalement leurs échanges avec l’Iran tout en échappant aux sanctions américaines.
«Ce système permettra aux compagnies européennes de continuer à commercer avec l’Iran conformément au droit européen et pourrait être ouvert à d’autres partenaires dans le monde», a-t-elle ajouté.
Le 8 mai dernier, Donald Trump avait annoncé que Washington se retirait de l’accord conclu entre l’Allemagne, la Chine, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie et l’Iran. En sortant de l’accord, Donald Trump avait également rétabli une série de lourdes sanctions visant les entreprises et pays étrangers qui continueraient de faire des affaires avec Téhéran. Sous la menace, nombre de grands groupes comme Total, très engagés aux États-Unis, ont depuis cessé toute activité avec l’Iran par craintes de représailles américaines.
Le 4 novembre, une nouvelle vague de sanctions frappera directement les exportations de pétrole iraniennes et les opérations bancaires avec ce pays, qui va se retrouver de facto déconnecté des circuits financiers internationaux.
Source: Sputnik