Au lendemain du show du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu dans lequel il affirme détenir des informations selon lesquelles l’Iran a menti sur son programme nucléaire militaire, le doute prévaut sur l’authenticité de ces informations, alors qu’un changement de position des grandes puissances sur l’accord conclu en 2015 semble toujours écarté.
La cheffe de la diplomatie de l’Union européenne Federica Mogherini a estimé que « M. Netanyahu n’a pas remis en question le respect » de l’accord par Téhéran. Selon elle, les documents aux mains des Israéliens devront être analysés, en premier lieu par l’Agence internationale pour l’énergie atomique.
AIEA: aucune indication crédible
« Aucune indication crédible » de programme nucléaire de l’Iran après 2009, a affirmé ce mardi l’AIEA, chargée de veiller au respect de ses engagements par l’Iran, et qui a constamment certifié son respect de l’accord.
Dans une réponse indirecte aux affirmations de M. Netanyahu, son porte-parole explique dans son communiqué que l’agence « évalue toutes les informations pertinentes à sa disposition » relatives aux activités nucléaires de l’Iran.
« Toutefois, il n’est pas dans les habitudes de l’AIEA de discuter de questions relatives à de telles informations », ajoute le communiqué.
« Avant la fin 2003, une structure organisationnelle était en place en Iran, adaptée à la coordination d’une série d’activités liées au développement d’un engin explosif nucléaire », selon le communiqué. « Bien que certaines activités aient pris place après 2003, elles ne faisaient pas partie d’un effort coordonné ».
« Ces activités ne sont pas allées au-delà des études scientifiques et de faisabilité et l’acquisition de certaines compétences et capacités techniques pertinentes », poursuit le communiqué.
Netanyahu: Amad continue
Lundi soir, le Premier ministre israélien a dévoilé ce qu’il a présenté comme une prise exceptionnelle réalisée par les espions israéliens à Téhéran même, et les « preuves concluantes » de l’existence d’un plan secret de l’Iran pour se doter de l’arme nucléaire.
Faisant état de photos, de vidéos et d’autres graphiques dont le contenu n’a pas été démasqué, il prétend que l’Iran, malgré ses dénégations constantes, a bien développé de 1999 à 2003 un projet secret appelé Amad pour produire la bombe atomique, a-t-il dit.
L’Iran a mis Amad de côté sous la pression internationale, mais a continué jusqu’à aujourd’hui, dans le cadre d’une organisation modifiée mais avec le même personnel, à préserver son savoir-faire et à développer ses capacités nucléaires militaires, selon lui.
Approche de la date butoir
Ses propos interviennent à l’approche de l’échéance du 12 mai, date butoir fixée aux Européens par le président américain Donald Trump pour choisir ou non de dénoncer l’accord international sur le nucléaire iranien.
Affichant une politique pro israélienne inconditionnelle, il avait menacé de le déchirer à plusieurs reprises.
L’accord de 2015, conclu entre l’Iran et les grandes puissances -Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne, Allemagne – prévoit une levée progressive et conditionnelle des sanctions internationales en échange de la garantie que Téhéran ne se dotera pas de l’arme atomique.
Paris: la pertinence de l’accord
Selon l’AFP, les lignes opposées des Américains et des Européens semblent avoir peu bougé.
Pour Paris, la déclaration de M. Netanyahu renforce « la pertinence » de l’accord.
Les affirmations du Premier ministre israélien sur l’Iran plaident en faveur du maintien de l’accord sur le nucléaire iranien, a estimé mardi le ministère français des Affaires étrangères.
« La pertinence de cet accord est renforcée par les éléments présentés par Israël : toutes les activités liées au développement d’une arme nucléaire sont interdites par l’accord, de manière permanente ; le régime d’inspections de l’AIEA mis en place grâce à l’accord est, lui, l’un des plus exhaustifs et des plus robustes dans l’histoire de la non-prolifération nucléaire », souligne dans un communiqué le porte-parole du ministère, en prenant « note des informations présentées » par M. Netanyahu, qui devront être « évaluées en détail ».
Londres : nous avons besoin de l’accord
Même son de cloche de la part du chef de la diplomatie britannique Boris Johnson selon lequel les récentes affirmations de Netanyahu sur l’Iran soulignaient « l’importance » de conserver l’accord sur le nucléaire.
« Le discours du Premier ministre israélien sur les recherches passées de l’Iran en matière d’armes nucléaires montre pourquoi nous avons besoin de l’accord sur le nucléaire iranien. L’accord avec l’Iran n’est pas basé sur la confiance mais sur des vérifications », a déclaré M. Johnson sur Twitter.
Présent, passé: positions US contradictoires
M. Netanyahu a dit avoir partagé par avance ses informations avec les Etats-Unis, et comptait faire de même avec l’AIEA. Il s’est entretenu lundi avec les dirigeants français, russe et allemand et devait le faire avec les Britanniques et les Chinois.
Or, les déclarations américaines sont elles aussi contradictoires. Alors que le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo a assuré que les documents étaient « authentiques », la Maison Blanche a, involontairement apparemment, alimenté le doute sur leur impact.
Après avoir écrit que « l’Iran a un solide programme d’armes nucléaires clandestin », elle a corrigé son communiqué pour le mettre au passé.
Le « show de sa vie »… Pas d’éléments concrets
Mais c’est dans les médias israéliens que le show du Premier ministre israélien a été le plus tourné en dérision.
Devant des classeurs et des CD contenant selon lui une centaine de milliers de documents, M. Netanyahu, familier de telles prestations, s’est livré à ce que le journal israélien Maariv a décrit comme le « show de sa vie ».
M. Netanyahu n’a pas fourni d’élément concret attestant que l’Iran avait activement travaillé à la bombe après 2015. Mais il a dit qu’il gardait secrètement au frais le projet Amad pour le ressortir « au moment de son choix ».
M. Netanyahu s’est essentiellement employé à convaincre qu’on ne pouvait pas faire confiance à l’Iran puisque ce pays avait manqué à son engagement international de faire la lumière sur ses activités passées, et que « l’accord nucléaire repose sur les mensonges ».
Le quotidien israélien Yediot Aharonot, souvent critique de M. Netanyahu, estime que la démonstration de celui-ci montre seulement que les scientifiques iraniens ne sont pas devenus des « enfants de chœur » après 2015.
Les documents produits sont un « plat de pâtes réchauffées servant l’image du Premier ministre » en garant de la sécurité de son pays, écrit le journal à un moment de tensions avivées avec l’Iran en Syrie voisine.