Après avoir écarté des opposants et des hommes d’affaires potentiellement hostiles, le prince héritier d’Arabie saoudite Mohammed ben Salmane a provoqué un remaniement de la hiérarchie militaire au moment où son pays cherche à sortir du bourbier yéménite.
La campagne militaire, lancée en mars 2015 par Ryad pour aider le pouvoir au Yémen face aux rebelles Houthis pro-iraniens, s’éternise, démontrant les limites de la puissance de l’Arabie saoudite qui cherche à rivaliser avec l’Iran.
Après trois ans de guerre qui ont coûté à Ryad des milliards de dollars, dévasté le Yémen voisin et fait plus de 9.000 morts, l’armée saoudienne n’arrive toujours pas à faire la différence.
Les Houthis restent les maîtres de la capitale yéménite Sanaa et l’Arabie saoudite est de plus en plus critiquée sur la scène internationale, le Yémen étant devenu selon l’ONU le théâtre de « la pire crise humanitaire du monde ».
Des voix se sont élevées en Occident pour demander un embargo sur les ventes d’armes à l’Arabie saoudite dont l’armée est accusée de nombreuses « bavures » meurtrières.
Les hauts commandants militaires saoudiens, y compris le chef d’état-major et les chefs des forces terrestres et de la défense anti-aérienne, ont été abruptement remplacés par décrets royaux annoncés tard lundi.
La promotion de nombreux officiers à de nouveaux postes de commandement injecte du sang neuf dans l’armée, estiment des experts. De même, le choix de jeunes pour des postes de responsabilité est de nature à renouveler l’administration civile.
Cette restructuration vise à faire passer l’armée saoudienne d’une « force pléthorique et inefficace à une armée bien organisée et professionnalisée », estime Becca Wasser, analyste à la RAND Corporation.
‘Industrie militaire viable’
Les décisions du roi Salmane, 82 ans, prises « sur recommandation » de son fils, sont les dernières d’une série destinée à renforcer le pouvoir du prince héritier et ministre de la défense Mohammed ben Salmane, 32 ans.
Depuis sa nomination en juin 2017, l’héritier du trône a emprisonné en septembre une vingtaine d’opposants, dont des religieux critiques du pouvoir, et orchestré en novembre une campagne anticorruption qui a touché princes, ministres, ex-hauts responsables et hommes d’affaires.
La montée en puissance de Mohammed ben Salmane, surnommé « MBS », s’était accompagnée d’une politique agressive au plan régional qui s’est manifestée par l’intervention militaire au Yémen, officiellement pour contenir l’influence de l’Iran.
Le prince Mohammed pilote un vaste programme de réformes économiques et sociales qui comporte, dans son volet militaire, le développement d’une véritable industrie de défense nationale.
Il a personnellement déploré le fait que son pays soit le troisième ou le quatrième importateur d’armes dans le monde et que son armée ne soit classée qu’au 20e rang mondial.
L’organisme des industries militaires saoudiennes (appelé SAMI) vient d’organiser une exposition à Ryad et ambitionne de devenir un « acteur majeur dans l’industrie de la défense mondiale », selon son site.
Il s’est fixé pour objectif d’absorber plus de la moitié des dépenses militaires d’ici 2030, de créer 40.000 emplois et de contribuer à hauteur de 14 milliards de riyals (3,7 milliards de dollars) au PIB.
« Le remaniement de la hiérarchie militaire vise à assainir et à revigorer l’armée, alors que l’Arabie saoudite tente de créer une industrie militaire viable, durable et éventuellement orientée vers l’exportation », souligne Mohammed Alyahya, expert associé à l’Atlantic Council.
‘Répercussions’ au Yémen
« La décision la plus importante prise par le roi Salmane a été l’approbation du plan de développement du ministère de la Défense », a tweeté Fayçal ben Farhan, haut conseiller à l’ambassade saoudienne à Washington.
« Cet effort pluriannuel, qui était à l’étude depuis des mois, englobe tous les aspects, y compris l’organisation, la structure des forces et les achats à long terme », a-t-il résumé.
Quoiqu’il en soit, la réorganisation de la hiérarchie militaire pourrait avoir des conséquences considérables sur le conflit au Yémen, estiment des experts.
« Même si le plan de restructuration n’a pas été motivé par la guerre au Yémen, celle-ci s’éternise depuis près de trois ans », affirme M. Wasser.
« Tous ces (changements) pourraient avoir des répercussions sur la performance de l’armée saoudienne au Yémen », estime-t-il.
Source: AFP