Comme beaucoup de ses pairs, très peu de choses sont connues du chef jihadique Mohammad Ne‘meh Nasser, du nom de guerre Abou Ne‘meh, tué le 3 juillet dernier dans un raid israélien à Tyr.
En fin connaisseur de beaucoup de martyrs, celui qui les connait le plus, le secrétaire général du Hezbollah sayed Hassan Nasrallah lui a consacré un discours le 11 juillet. Il l’a décrit avec les termes suivants : « Nous sommes avec un moudjahid qui a été un détenu, puis est revenu au Jihad puis a de nouveau été fait prisonnier puis a été blessé à deux reprises puis a été commandant dans plusieurs terrains. Et finalement il a remporté la belle fin ultime ». Il a révélé des éléments qu’aucun média n’avait publié. C’est comme s’il connaissait tous ses secrets.
Né en 1965 à Hadatha au sud du Liban, il a fait son service militaire obligatoire au sein de l’armée libanaise en 1982, raconte sayed Nasrallah. On croit deviner que tout de suite après, il a rejoint les rangs de la résistance.
Avec la résistance … avant le Hezbollah
“ Il s’est pointé en tenue militaire et nous a dit : Je veux combattre », se souvient un dirigeant de la première génération de la résistance islamique lors d’une interview avec le quotidien libanais al-Akhbar. « A cette époque, il n’y avait pas encore de formation qui s’appelait Hezbollah. Nous étions de petits groupes très marginaux. Nous avions quelques armes. Mais nous avions une grande foi que nous devions combattre cet ennemi. Abou Ne’meh faisait partie des premiers qui nous ont rejoint ».
Il indique que l’une des premières missions dont il a été chargé a été de recruter des jeunes dans les rangs de la résistance, de collecter des informations sur les forces ennemies, leurs mouvements et leurs positions.
« Il contribuera aux opérations de résistance qui vont pousser les Israéliens à se retirer jusqu’à la bande frontalière (en 1985). Il fera partie des rares comabattants qui vont travailler dans cette bande », selon le dirigeant de la résistance.
Avec l’auteur de l’opération martyre Salah Ghandour
Après avoir rejoint formellement la résistance en 1986, Il sera chargé des renseignements dans les villages Rachaf et al-Tiri jusqu’à Bint Jbeil. « Les renseignements faisaient partie des missions les plus importantes de la résistance. L’élite des résistants était choisie au crible. A leur tête se trouvait Abou Ne‘meh… Mais il ne se contentait pas de sonder la situation, il planifiait, équipait et participait en personne aux opérations et toujours en tête », rapporte aussi le dirigeant de la résistance.
A partir des années 90, il sera le responsable de l’axe militaire de Bint Jbeil, où d’importantes opérations de résistance vont avoir lieu. Il contribuait en personne à certaines d’entre elles.
L’une des plus importantes a été sans doute l’opération martyre réalisée par le combattant Salah Ghandour en avril 1995. Il l’avait accompagné dans ses opérations de reconnaissance. Le jour de de l’exécution de l’opération martyre au moyen d’une voiture piégée, Abou Ne‘meh était resté dans les parages. C’est à lui que Salah dira ses derniers mots avant d’actionner les explosifs de la voiture en passant au cœur de deux convois militaires israéliens, lors de leur rencontre à l’entrée de Bint Jbeil, pendant une mission de remplacement.
5 véhicules israéliens avaient été détruits dont deux qui ont fondu. Il en a été de même pour une partie du QG de la Brigade occidentale de l’armée d’occupation et une partie importante du bâtiment de la direction civile.
Avou Ne’meh a filmé la scène.
La course de la cassette
« C’est le centre historique de commandement des forces d’occupation militaires et des renseignements où sont planifiés les opérations et les attentats et où sont piégées les voitures qu’il envoie vers les zones libanaises qui ne sont pas occupées », avait alors assuré sayed Nasrallah cette année pour expliquer l’importance de l’opération.
Comme l’armée israélienne avait nié que cette opération a eu lieu, le commandement de la résistance a demandé à Abou Ne‘meh d’envoyer la cassette à la banlieue sud, en toute urgence afin de la diffuser sur al-Manar. Un char israélien obstruait l’endroit où il était retranché et rendait impossible son déplacement.
Accompagné d’un combattant, il lui a fait porter son bouclier anti balle, lui a introduit la cassette à l’intérieur et lui a ordonné de courir de toutes ses jambes afin de se rendre vers les zones libérées. Tandis que lui l’a couvert en courant derrière lui, afin de le protéger des tirs du char.
Du sud-Liban à la Syrie en passant par la Palestine
On retient aussi à Abou Ne‘meh sa participation aux deux opérations décisives de la Résistance, celle de Beit Yahoune et celle de Haddatha. Elles ont eu lieu quelques mois avant le retrait israélien du Liban en mai 2000.
بالفيديو | الشهيد القائد محمد نعمة ناصر « الحاج أبو نعمة » خلال عملية اقتحام موقع الإحتلال الإسرائيلي في بيت ياحون بتاريخ 15-05-1999#طوفان_الأقصى pic.twitter.com/NRB2Z1toBL
— قناة المنار (@TVManar1) July 3, 2024
Après le retrait, il fera partie de ceux qui vont travailler dans le dossier de la Palestine. Il était chargé de missions de soutien aux factions palestiniennes dans les territoires occupés pour leur envoyer des armes.
Par la suite, il a été muté comme officier dans le dossier des opérations de Jabal Amel, chargé du commandement militaire du sud du Liban.
Pendant la guerre 2006, il a combattu dans l’axe Kounine-Beit Yahoune-Haddatha proche de la frontière.
Après la guerre, il a été chargé des opérations du siège Sayed al-Chouhada, responsable du sud du Liban, toujours selon le dirigeant de la résistance.
Lors de l’éclatement de la guerre en Syrie, il se rendra là-bas et sa première mission sera à Zabadani puis à Homs. « La bataille de Khalidiyya à Homs a été très dure. Il l’a conduite lui-même, il était à la tête de la force d’assaut pour briser les défenses des miliciens ».
En Irak, avec Haj Qassem Soleimani
Deux plus tard, il se rendra en Irak avec des petits groupes des cadres de la résistance au moment où Daech étendait son pouvoir très vite.
« Vous vous souvenez lorsque je vous ai raconté que Haj Qassem Soleimani est venu une fois me demander de l’aide, c’était la première fois, et c’était pour l’Irak et non pour l’Iran. Il m’avait dit que Daech envahit les régions, que l’Irak se trouve dans une situation difficile et qu’il y a un grand nombre de combattants après la fatwa (de sayed Sistani) et qu’ils avaient besoin de chefs d’opérations » rappelle sayed Nasrallah dans son discours. Selon lui, Abou Ne‘meh faisait partie de ces chefs d’opérations.
Le dirigeant de la résistance précise qu’« Abou Ne‘meh a supervisé l’action sur une grande zone à Samarra’ puis à Jarf al-Sakher et Amerli où il a participé à l’offensive qui s’est couronnée par une victoire contre ce groupuscule ».
Après trois mois passés en Irak, il est retourné en Syrie puis vers la Montagne orientale du Liban dans l’Anti-Liban qui sépare le pays du cèdre de la Syrie. Il a été blessé pendant les combats.
Commandant de l’Unité Aziz
Après le martyre du commandant Mohamad al-Haj en 2016, l’unité « Aziz » lui a alors été confiée.
Sayed Nasrallah explique que le sud du Litani après avoir été pendant longtemps une seule zone militaire pour laquelle une seule formation militaire était consacrée, elle a été divisée en deux à partir de 2006 : la zone qui s’étend depuis le littoral sud et jusqu’au centre de la région du Litani sera défendue par l’Unité Aziz. Elle sera dirigée par Abou Ne‘meh ; tandis que l’autre région qui s’étend jusqu’au hameaux de Chebaa à l’est gardera l’appellation l’Unité Nasr. Elle était dirigée par Abou Taleb, Taleb Sami Abdallah qui s’est élevé en martyre le 12 juin dernier.
Le responsable des tirs sur la Galilée occidentale
« Pour le Déluge d’al-Aqsa, le 8 octobre, j’avais indiqué lors de la semaine du martyr d’Abou Taleb qu’il a été le premier qui a ouvert le front. Parce que les hameaux de Chebaa où nous avons déclenché la bataille faisait partie de son Unité Nasr. Mais Abou Ne‘meh a ouvert le second front, le lendemain, le 9 octobre. Et c’est ainsi que nous sommes entrés en tant que front de soutien », explique sayed Nasrallah.
Abou Ne‘meh va superviser des centaines d’opérations depuis cette zone. L’une des plus importantes a été celle réalisée contre une position ennemie à Arab Aramcha, au nord de la Palestine occupée. Elle a été effectuée par des combattants palestiniens du Jihad islamique qui sont entrés depuis la frontière libanaise vers cette position.
En annonçant son assassinat dans la région d’al-Hoch dans la région de Tyr, à 20 km de la frontière, l’armée d’occupation israélienne, la radio militaire israélienne l’avait qualifié comme étant « le plus ancien chef militaire sur la totalité du secteur occidental du sud et l’homme responsable de toutes les opérations et les tirs réalisées sur la Galilée occidentale pendant les mois de la guerre ».
Du jihad agricole à la plage de Tyr
Evoquant ses qualités, sayed Nasrallah le décrit comme étant « l’expert, le connaisseur, le directeur, le brave, le modeste, celui qui aime ses frères ».
Hormis ses missions militaires, il lui retient aussi son implication dans « le jihad agricole », une campagne agricole qui a été lancée par le Hezbollah, lors de l’éclatement de la crise économique en 2019.
Ceux qui l’ont connu ont confié pour al-Akhbar son amour pour le sud où il passait la majeure partie de son temps, et y retournait au plus vite chaque fois qu’une mission l’envoyait ailleurs. Plus que tout, il aimait la plage de Tyr où il se rendait tous les matins, très tôt, pour nager.
Depuis le déclenchement du Déluge d’al-Aqsa, ce sont trois chefs militaires qui se sont élevés en martyrs : le premier a été le commandant de la force Redwane Wissam Hassan al-Tawil qui a été tué le 9 janvier dernier.
Les martyrs qui invitent leurs compagnons au martyre
En rendant hommage à Abou Ne‘meh, sayed Nasrallah a tenu à s’arrêter sur le verset coranique qui assure que les martyrs sur la voie de Dieu sont toujours vivants, et le restent avant l’avènement du Jugement dernier. Il rapporte selon le contenu du verset coranique que ces combattants, après leur martyre, évoquent leurs compagnons qui ne les ont pas encore rejoints qu’ils obtiendront les bienfaits qu’ils ont obtenus.
« C’est comme si les martyrs précédents ont prévu le bienfait de Jawad qui à son tour a annoncé le bienfait pour Abou Taleb lequel a annoncé le bienfait pour Abou Ne‘meh lequel fera de même avec ses frères qu’il attend depuis son rang élevé ».
Comme si les martyrs invitaient leurs compagnons encore vivants au martyre.
Le 4 juillet, d’après les obsèques importantes qui lui ont été organisées dans la banlieue sud de Beyrouth avant que sa dépouille ne soit transportée dans son village natal, on peut deviner que c’est un chef de gros calibre. Des milliers étaient présents, quoique la plupart ne le connaissait pas. Certains aspects seront certes révélés. Mais il emportera avec lui beaucoup de secrets . C’est aussi le cas de beaucoup de ses pairs.
Source: Divers