En Egypte, les dollars manquent et le Fonds monétaire international (FMI) ne prête qu’en échange de privatisations. Sur l’autre rive de la mer Rouge, le Golfe, décidé à sortir de sa rente des hydrocarbures, est prêt à mettre la main au portefeuille.
Pour les experts, les deux parties sont gagnantes: Le Caire renfloue ses caisses et son déficit de financement estimé par le FMI à environ 17 milliards de dollars sur quatre ans et les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite, le Koweït ou le Qatar accumulent actifs, terrains et parts dans des entreprises, profitant de la dévaluation et d’assouplissements légaux concédés par le régime d’Abdel Fattah al-Sissi.
Mais, dans le même temps, les négociations sont plus serrées: le rôle de l’armée dans l’économie égyptienne empêche un accès transparent au marché et, en face, le Golfe, lassé d’années de largesses sans contrepartie réelle, veut désormais des retours sur investissements.
En un an, la livre égyptienne a perdu la moitié de sa valeur et l’inflation a été multipliée par neuf. Les réserves en dollars ont fondu de 20%, à 34,2 milliards, dont 28 venus du Golfe. Le Caire pourrait ne pas pouvoir rembourser sa dette extérieure, qui a plus que triplé en 10 ans à 155 milliards de dollars, s’alarme Moody’s.
« L’Egypte a besoin de 1.000 milliards de dollars par an, avons-nous cet argent? Non. En avons-nous la moitié? Non. Même le quart? Non », répétait encore lundi M. Sissi à un sommet à Dubaï.
« Ce qui compte le plus, c’est le soutien de nos amis, les Emirats, l’Arabie et le Koweït », plaidait-il alors.
Mais le ministre saoudien des Finances Mohammed al-Jadaan a déjà prévenu: Ryad « a changé sa façon d’aider ». « Avant, on accordait des budgets sans condition, maintenant on veut voir quel sera notre intérêt dans tout ça », lançait-il en janvier à Davos.
Au Caire, tous les voyants sont au rouge et pour autant, le FMI n’a accordé que trois milliards de dollars de prêt à l’Egypte. Il faut donc trouver l’argent ailleurs.
« Les investissements du Golfe ont déjà aidé l’année dernière à dissiper les craintes financières immédiates, jusqu’à l’arrivée du prêt du FMI » en décembre, explique à l’AFP James Swanston, de Capital Economics.
Les grands alliés du Golfe, eux, sont prêts à plus, avec leur armée de fonds souverains et d’investisseurs. Pour la seule année 2022, alors que l’Egypte entamait ses privatisations, la publication économique Enterprise a recensé 66 prises de participations, soit plus de deux fois plus qu’en 2021.
Les plus gros acteurs sont le fonds souverain de la holding ADQ d’Abou Dhabi et le fonds public d’investissement saoudien qui, via 40 transactions, ont « pris d’importantes parts minoritaires dans les grosses entreprises inscrites à la bourse égyptienne par l’Etat » pour plus de 3,1 milliards de dollars, annonçait en décembre Enterprise. Ils détiennent désormais ensemble 41,5% de la Abou Qir Fertilizer Company et 45% de Mopco, les deux plus grands producteurs d’engrais d’Egypte –une ressource qui aurait pu rapporter gros à l’Etat puisque ses prix ont récemment flambé. ADQ est aussi le premier actionnaire privé de la plus grande banque privée égyptienne, la Commercial international bank (CIB) après avoir acquis une part de 17,5% pour 911,5 millions de dollars.
Le Fonds saoudien, lui, détient 25% de l’entreprise publique égyptienne « e-finance ». Et il négocie désormais le rachat de la United Bank of Egypt à la Banque centrale égyptienne.
Le Caire, de son côté, facilite les procédures: en décembre, le gouvernement a validé la vente de terrains à un investisseur du Golfe « pour de la promotion immobilière (…) à condition que le paiement soit effectué depuis l’étranger en dollars », appelant à « valider les demandes similaires ».
Début février, le Premier ministre Mostafa al-Madbouly a annoncé l’entrée en bourse de 32 entreprises publiques — dont trois banques.
Mais dans cette liste, seules deux entreprises appartiennent à l’armée, acteur pourtant incontournable de l’économie.
Mais, explique à l’AFP Yezid Sayigh du centre de recherche Carnegie, « les entreprises de l’armée sont totalement opaques sur le plan financier donc elles ne peuvent pas être mises sur le marché ».
La preuve, dit-il, en a été faite avec al-Wataniya, une entreprise de vente d’hydrocarbures de l’armée aujourd’hui sur la liste des 32 actifs que M. Madbouly veut vendre.
« En 2021, la Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC) avait dit vouloir y acheter des parts, mais elle s’est finalement rabattue sur Total Egypt, probablement parce que la nature de sa gestion financière fait peur à tout investisseur », affirme l’économiste.
Source: AFP