Quelques heures après avoir publié son premier communiqué rendant compte du massacre de Tayyouné le jeudi 14 octobre, l’armée libanaise a changé, dans un deuxième texte, sa version des faits.
Dans le premier, elle assurait « qu’en se dirigeant vers le Palais de Justice, les manifestants ont fait l’objet de tirs de feu dans la région Tayyouné-Badaro ». Une version de l’embuscade reprise quelques heures plus tard par le ministre de l’intérieur Bassam al-Moulawi.
Dans le second elle écrit : “ le 14/10/2021, alors qu’un certain nombre de protestataires se dirigeaient vers la région du Palais de Justice, il y a eu une altercation suivie un échange de tirs de feu dans la région Tayyouné-Badaro et il en a découlé la mort d’un certain nombre de citoyens et des blessés parmi d’autres ».
Pour les observateurs, ce renversement de position est bien surprenant. L’éventualité d’une erreur de diagnostic dans le premier communiqué leur semble exclu, pour la simple raison que l’armée était sur le terrain lorsque des dizaines de jeunes ont vers le Palais de justice pour protester contre la politisation de l’enquête menée par le juge d’instruction Tarek Bitar sur l’explosion de Beyrouth du 4 août 2020.
Plus est-il la manifestation était retransmise en direct par de nombreuses télévisions libanaises locales. Tous les spectateurs ont vu de leurs propres yeux comment les manifestants ont été, l’un après l’autre, touchés mortellement à la tête et la poitrine. Et puis comment les manifestants se sont mis à rebrousser chemin en courant. Alors que d’autres ont fui de l’avant, empruntant une autre artère parallèle, celle du Musée.
Manifestement, la seconde version des faits de l’armée présente d’importantes lacunes : elle n’explique pas entre qui et qui les affrontements ont eu lieu. Laissant deviner facilement que les partisans du Hezbollah et du mouvement Amal sont le premier protagoniste du fait qu’ils étaient ouvertement dans les rues, il ignore l’autre protagoniste. Elle n’explique pas pourquoi les tués font partie de ceux-là seulement et non des autres s’il y a eu des affrontements. Elle n’évoque nullement les snipers embusqués sur les toits des immeubles et qui ont été vus par les correspondants des médias sur place. L’armée ne précise pas non plus quels sont les hommes qu’elle a arrêtés.
La télévision du mouvement Amal, NBN, a même dit connaitre l’identité des miliciens des FL qui ont ouvert le feu sur les manifestants. Il s’agirait de Gorges Touma, et son fils Rodriguez, Najib Hatem, Toufik Mouawwad, et Rodny Assouad.
Selon al-Manar, des sources sécuritaires ont assuré que l’armée libanaise a bel et bien arrêté des membres du parti des Forces libanaises. Et qu’un groupe d’entre eux étaient armés jusqu’aux dents, sur l’ordre de leur direction.
De même, un officier de l’armée a indiqué pour le quotidien libanais al-Akhbar, détenir des informations confirmant que des snipers s’étaient embusqués sur les toits des immeubles et ont ouvert le feu sur les manifestants, alors qu’ils franchissaient la place Tayyouné. Et une source sécuritaire lui a confirmé que « des miliciens armés des FL s’étaient répartis dans les rues internes de Aïn al-Remmaneh dès les premières heures de la journée » du jeudi .
Ce quartier habité par une majorité chrétienne se trouve sur la frontière nord de celui de Chiyah, à majorité chiite. Les deux quartiers voisins ne sont séparés que par une artère, rue Saida, celle que les manifestants ont empruntée, en entamant leur marche en direction du Palais de Justice situé sur un l’axe perpendiculaire Tayyouné-Badaro.
La source sécuritaire d’al-Akhbar raconte qu’au passage des manifestants, les miliciens des FL se sont mis à les provoquer. Alors que certains leur ont riposté en leur jetant des pierres, les balles se sont mises à pleuvoir sur les manifestants, sur leur tête et leur poitrine. Comme en attesteront les sources médicales des hôpitaux où ils ont été hospitalisés pour les sept martyrs qui ont succombé.
Laissés pour compte par l’armée qui n’est pas intervenue, des renforts ont rejoint les manifestants : des hommes armés du Hezbollah et d’Amal et c’est à ce moment que les accrochages ont éclaté pendant quatre heures environ.
Une zone d’ombre demeure sur le comportement de l’armée : pourquoi , lorsqu’elle a perquisitionné un certain nombre de bâtiments dans lesquels certains snipers étaient embusqués, n’a-t-elle capturé personne ? Quelques hypothèses ont été émises: celles entre autres que des contacts auraient été réalisées pour garantir leur départ en catimini et mettre fin aux accrochages. La question qui devrait être élucidée.
Concernant les deux versions différentes de l’armée, une autre hypothèse fondée sur des faits est relayée par les médias: entre la publication des deux communiqués, le commandement de l’armée avait rencontré la vice-secrétaire d’état américaine Victoria Nuland qui venait d’arriver au Liban pour une visite de quelques heures.
Avant de partir, elle avait déclaré dans un point de presse avoir offert à l’armée libanaise un don de 67 millions de dollars.
Source: Divers