Il est minuit passé à Lagos lorsque le drapeau vert et blanc du Nigeria est hissé à la place de l’étendard britannique sur la piste d’un hippodrome et flotte pour la première fois dans le ciel de la toute jeune nation africaine.
Quelques heures plus tard, en cette matinée du 1er octobre 1960, la représentante de la reine Elizabeth II remet au nouveau Premier ministre du Nigeria, Abubakar Tafawa Balewa, la Constitution du pays.
Soixante ans ont passé, mais Tanko Yakasi, 93 ans, n’a rien oublié de cette journée historique qui marqua l’indépendance de son pays.
« Il y avait des célébrations partout », se remémore le vieil homme qui, cet après-midi là, fut convié au cocktail organisé par James Wilson Robertson, le dernier gouverneur britannique du pays.
« Les attentes étaient immenses, et la classe politique nigériane était confiante dans sa capacité à écrire une nouvelle page de l’histoire, une page plus belle pour leur pays », se souvient-il.
Trois ans plus tard, le Nigeria devient une république fédérale, avec à sa tête, son premier président, Nnamdi Azikiwe.
Rapidement, les Nigérians touchent du doigt leur rêve de s’enrichir et d’accéder à une vie meilleure, exaltés par la découverte en 1956 d’importantes réserves pétrolières.
« Mes grands-parents racontaient à quel point la vie était facile à cette époque », témoigne à l’AFP Hamzat Lawal, 30 ans.
Mais la lune de miel est de courte durée. Six ans après l’indépendance, le Premier ministre est assassiné lors d’un coup d’Etat. Très vite, le pays s’enfonce dans une terrible guerre civile, celle du Biafra, qui a fait en trois ans plus d’un million de morts.
La paix retrouvée, le destin s’acharne et la nation s’enlise dans trente années de coups d’Etat et dictatures militaires.
« Ces coups et contrecoups (…) ont été dévastateurs pour le développement du pays », analyse M. Yakasi, qui travailla pour le président Shehu Shagari, le premier chef d’Etat élu démocratiquement en 1979, mais renversé quatre ans plus tard.
A la veille du 21e siècle, en 1999, le Nigeria renoue enfin avec un régime civil. Les Nigérians se prennent alors à rêver à nouveau.
L’espoir culmine en 2015, avec l’élection de l’ancien chef d’Etat militaire
Muhammadu Buhari à la présidence, qui marque alors la première alternance démocratique pacifique de l’histoire du pays.
En 60 ans, le Nigeria a connu quelques succès et beaucoup d’échecs, dépeint le professeur d’Histoire Olutayo Adesina à l’université Veritas à Abuja, la capitale politique.
Une de ses plus belles réussites est sans aucun doute son industrie culturelle, et notamment Nollywood, qui est le deuxième producteur de cinéma au monde.
La corruption, « un cancer »
Grâce à son pétrole, le Nigeria est aussi devenu la première puissance économique du continent africain. Mais il est un géant démographique (environ 200 millions d’habitants) et reste un des pays où le taux de pauvreté est parmi les plus élevés au monde.
Pour M. Adesina et bien d’autres, la corruption en politique est le principal responsable.
Ainsi, près de 340 milliards d’euros auraient été détournés par des responsables publics avec la complicité de multinationales, selon le procureur général du pays.
« 99,9% des politiciens nigérians ne s’engagent pas parce qu’ils ont quelque chose à offrir au peuple, mais pour servir leur propre intérêt », souligne l’universitaire.
Lors de sa campagne en 2015, le président Buhari, âgé de 77 ans, avait pourtant bien promis de s’attaquer à ce « cancer ».
Attaques jihadistes
Plus encore, le pays, qui se remet déjà difficilement de la récession de 2016-2017, provoquée par la chute des cours du pétrole, doit désormais affronter la crise économique mondiale provoquée par la pandémie de coronavirus.
Aux confins de son territoire, dans le Nord-Est, la pauvreté rime aussi avec extrémisme religieux. Depuis 2009, les attaques de groupes jihadistes ont tué plus de 36.000 personnes et forcé près de 2,4 millions de personnes à quitter leur foyer.
Le centre et le nord-ouest du pays sont aussi minés par les tensions.
Des bandes criminelles y commettent des pillages et des enlèvements contre rançons.
Et les affrontements entre éleveurs peuls musulmans et agriculteurs Aminuu (majoritairement chrétiens) qui se disputent une terre de plus en plus rare s’intensifient.
« Les conflits ethniques puisent leur origine bien avant l’indépendance », selon M. Adesina.
Clivages générationnels
Sous la colonisation, la couronne a organisé le pays en trois aires géographiques, contrôlées par les Yorubas dans l’Ouest, les Igbos dans l’Est, et les Haussas et Fulanis (Peuls) dans le Nord.
Ce système a fait naître des tensions qui persistent encore aujourd’hui. A la place des célébrations du 1er octobre, quelques séparatistes Igbos et des activistes Yorubas ont organisé cette année leurs propres manifestations.
Plus de la moitié des Nigérians ont moins de trente ans, mais l’élite politique nigériane reste dominée par des hommes âgés.
Pour Hamzat Lawal, « nous, les jeunes, devons être acteur de cette nouvelle histoire, construire un projet plus inclusif pour le Nigeria ».
Source: AFP