Le 14 octobre dernier, les services de renseignement iraniens arrêtaient à la frontière irano-irakienne l’opposant Rouhallah Zam dans le cadre d’une opération sécuritaire complexe. L’information circula brièvement dans les médias internationaux [1] [2], mais seuls quelques médias proches de l’Arabie saoudite lui prêtèrent une réelle attention, mais de manière concise.
L’homme en question est un trésor d’informations. En effet, son arrestation a révélé au travers d’informations provenant de Dubaï ce que planifiait Abou Dhabi en vue de mouvements populaires au Liban, en Irak et en Iran ; mouvements gérés et financés cette fois-ci par les Émirats, l’Arabie saoudite étant occupée par ses problèmes internes et plongée dans les sables mouvants du Yémen.
Or, cette arrestation fut précédée, le 6 octobre, par la visite du Premier ministre libanais Saad Hariri aux Émirats arabes unis, l’objectif déclaré étant l’obtention d’une subvention pour la Banque centrale du Liban. Mais en réalité, il s’agissait d’une convocation américaine destinée à informer M. Hariri du fait que le dossier libanais était passé des mains de l’Arabie saoudite à celles des Émirats arabes unis, du plan d’action de ces derniers au Liban, du rôle qui lui était dévolu ; les Émirats se chargeant d’informer ses deux alliés du plan en question. Lesquels alliés sont Walid Joumblatt [dirigeant au Parlement le bloc de la Rencontre démocratique] et Samir Geagea [président du Parti des Forces libanaises] ; tous les autres devant être ultérieurement informés de l’heure H du lancement de l’opération.
Informer M. Joumblatt ne fut pas chose difficile, vu que le ministre Waël Bou Faour, [affilié au PSP (Parti Socialiste Progressiste) du chef druze Walid Joumblatt] faisait partie de la délégation ministérielle ayant accompagné M. Hariri à Abou Dhabi. Quant à M. Samir Geagea, il reçut l’information au cours d’un séjour au Canada à la même date.
Le plan consistait à ce que les ministres des Forces libanaises et du bloc de la Rencontre démocratique démissionnent [démission annoncée le 19 octobre ; Ndt], que les gens descendent dans la rue en signe de protestation et de colère [ce qui est arrivé le 17 octobre ; Ndt], que des affrontements s’ensuivent avec les partisans du Hezbollah et du mouvement Amal aboutissant à couper la « Dahiya » [banlieue sud de Beyrouth majoritairement chiite ; Ndt] du sud du pays et de la plaine orientale de la Beqaa. Ainsi, le siège de la capitale serait assuré, suivi de la démission de M. Hariri de son poste de chef du gouvernement [démissionnaire le 29 octobre, Ndt] ; ce qui amènerait ses propres partisans à descendre aussi dans la rue et à créer de nouveaux affrontements avec le Hezbollah et le mouvement Amal partout où ce serait possible. Ensuite, serait lancée une campagne populaire et médiatique visant, dans un premier temps, à rompre le Pacte [national], avant de parfaire le plan par l’expulsion du Hezbollah de la structure gouvernementale ; puis, dans un deuxième temps, débuterait le travail de formation d’un nouveau gouvernement qui ne tolérerait plus les armes du Hezbollah ; autrement dit, de la Résistance libanaise.
En ce qui concerne le Liban, le tout devait être couronné par des pressions économiques et médiatiques, américaines et occidentales, censées pousser l’armée libanaise à s’affronter à la Résistance et, en conséquence, par des répercussions négatives et désastreuses sur son image et le soutien de la population, en préparation de sa disgrâce définitive.
C’est là un plan simple et habituel quant à la méthode adoptée pour faire tomber le Hezbollah. Elle semble ne pas tenir compte de la spécificité du Liban et de l’environnement favorable à la Résistance ; mais, dans les faits, travaille et espère que les pressions et la crise économiques poussent les gens issus de ce milieu favorable au Hezbollah à descendre dans la rue.
Par ailleurs, tout était planifié pour que le mouvement libanais s’accompagne de grands mouvements populaires en Irak, en Iran et au Yémen, qui déstabiliseraient le Hezbollah au Liban et en éloigneraient ses alliés internes, notamment les alliés chrétiens.
En d’autres termes, pour que le plan réussisse, il fallait que les populations envahissent les rues de Beyrouth, Bagdad, Téhéran et Sanaa. Mais l’arrestation de Rouhallah Zam par les services de renseignement iraniens a sapé le plan dans sa partie iranienne ; ce que nous détaillerons dans la troisième partie de cette série de quatre articles.
Une arrestation qui a non seulement permis aux Iraniens d’obtenir des informations sur les motifs de la visite de M. Hariri à Abou Dhabi, mais aussi des informations sur les plans visant l’Irak, lesquelles sont venues s’ajouter aux données rassemblées par les services de sécurité à Téhéran, Bagdad et Beyrouth. D’ailleurs, selon nos sources, les prédictions du 3 octobre de Qaïs al-Khazali, annonçant des manifestations en Irak avant qu’elles ne se produisent, étaient fondées sur des renseignements donnés par le Hezbollah au Hachd al-chaabi [Unités de mobilisation populaire] irakien.
Par Nidal Hamade : Journaliste libanais (Paris) ; Traduit de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal
Source : Al-Binaa (Liban)
À suivre en deuxième partie : « Les coulisses de la démission de Hariri et de la visite d’Al-Sadr à Téhéran »