La résonance autour de l’or stocké sur le territoire américain par d’autres pays s’accentue après que la Turquie a rapatrié ses réserves dans ses coffres nationaux.
Les experts remarquent que les pays accroissent leurs réserves d’or sur fond d’escalade de la tension géopolitique pour augmenter leur indépendance financière. Dans ces conditions, il est logique de rapatrier leur réserves des USA pour ne pas être pris en otage de la politique de sanctions américaine.
Vendredi, la Banque centrale turque a annoncé avoir retiré l’an dernier 28,7 tonnes d’or de la Réserve fédérale américaine (FED). Au total, fin 2017, les réserves d’or turques s’élevaient à près de 525 tonnes. Plus tôt, en août 2017, l’Allemagne avait terminé l’opération pour faire revenir la moitié de son or des réserves internationales, et ce avec presque trois ans d’avance. Après cette décision de l’Allemagne, plusieurs pays de la zone euro se sont penchés sur la question.
Cette thématique ne concerne pas la Russie, qui stocke ses réserves d’or dans le pays.
La méfiance des USA
Chaque pays a ses propres raisons pour retirer ses réserves d’or du territoire américain, explique l’analyste Andreï Kotchetkov. Ce dernier rappelle que l’Allemagne a justifié cette démarche par la nécessité d’accroître la confiance de la population envers le gouvernement — l’or était qualifié à l’époque d’élément important de la conscience de la nation.
«Mais quoi qu’on en dise, ces démarches sont un signe de méfiance vis-à-vis du principal conservateur des valeurs du monde occidental. Washington a trop souvent recours, dans sa politique, à la pression financière: les comptes appartenant aux États indésirables sont gelés, les systèmes bancaires sont débranchés, etc.», remarque Andreï Kotchetkov.
Anna Kokoreva, directrice adjointe du département analytique de la société Alpari, examine ces démarches d’un point de vue géopolitique, et non économique. Selon elle, les pays ne veulent pas courir le risque d’être otages des USA dès qu’ils engagent différentes actions.
«Après tout, la situation avec la Russie, le Venezuela et l’Iran a clairement montré que les États-Unis pouvaient décréter des sanctions et geler les actifs de n’importe quel pays sur leur territoire», souligne Anna Kokoreva.
Dans le contexte du conflit syrien, la Turquie pourrait également tomber en disgrâce, ajoute-t-elle. «C’est pourquoi, pour mener une politique indépendante sans craindre de perdre l’accès à leurs actifs, ces pays se protègent contre les risques en rapatriant tout. Cela pourrait être l’indicateur d’une guerre géopolitique et commerciale de plusieurs pays contre les USA», conclut l’experte.
L’or est un moyen de paiement absolu en cas de force majeure, qui ne dépend pas des planches à billets et n’a pas de sceau de propriétaire, ce qui est attractif pour la Turquie, explique Andreï Kotchetkov.
«Ces derniers temps, la Turquie mène une politique assez indépendante qui entre souvent en contradiction avec les intérêts des USA. Par conséquent, pour s’assurer une plus grande indépendance financière, elle accroît les réserves d’or et les concentre sur son territoire. Fin 2017, ses réserves d’or dépassaient déjà 525 tonnes», poursuit l’analyste.
Les réserves russes sous les verrous
La Banque centrale russe est l’un des acheteurs d’or les plus actifs du marché ces dernières années. Ce métal précieux permet de garantir aux États leur indépendance envers les décisions d’autres pays, remarquent les experts.
Augmenter ses réserves est une bonne décision parce que l’or est une monnaie universelle qui aura toujours de la valeur, d’autant que les réserves de change ne sont pas aussi fiables à cause des fluctuations des cours et de l’éventuelle instabilité de l’économie et des émetteurs de cette devise, explique Anna Kokoreva.
Andreï Kotchetkov précise également que pour la Banque centrale russe, l’or n’est pas seulement un élément d’indépendance financière mais également un moyen de protéger les réserves de l’État contre la dévaluation des monnaies.
«Il faut noter que la Banque centrale russe stocke ses réserves d’or à l’intérieur du pays, ce qui est une assurance en cas de circonstances imprévues. En grande partie, l’intérêt des banques centrales pour l’or est assuré par la stabilité du cours de ce métal précieux. De plus, au fur et à mesure que la crise de la dette mondiale s’aggravera — elle dépasse déjà de presque trois fois le PIB mondial — l’importance de l’or ne fera que grandir. Par conséquent, ceux qui auront préparé une assurance sous la forme de lingots d’or seront gagnants. La Banque centrale renferme plus de 1.880 tonnes de lingots», déclare l’analyste.
Le volume d’or dans les réserves internationales russes a augmenté de 13,87% en 2017, soit de 223,95 tonnes, et au 1er janvier 2018 il s’élevait à 1.838,22 tonnes. Au 1er avril, les réserves ont augmenté jusqu’à 1.891,1 tonnes.
L’appel d’Erdogan a été entendu
Comme l’a annoncé le journal Milliyet, hormis la Banque centrale les plus grandes banques privées turques ont également rappelé leurs réserves d’or de l’étranger en réponse à l’appel du président turc Recep Tayyip Erdogan à «se débarrasser de la pression des cours monétaires» et à «utiliser l’or contre le dollar». Ainsi, Halk Bankasi a également rapatrié 29 tonnes d’or en Turquie. Selon les sources de Milliyet, au total 220 tonnes d’or ont été ramenées depuis l’étranger.
On sait également que des procédures ont été engagées par les banques turques Ziraat Bankasi et VakifBank pour le retour de leurs réserves d’or du Royaume-Uni (57 et 38 tonnes respectivement).
Les relations entre la Turquie et les USA sont en crise à cause du soutien américain aux forces d’autodéfense kurdes syriennes, considérées par Ankara comme un groupe terroriste lié au Parti des travailleurs du Kurdistan interdit en Turquie. Washington justifie ses actions par la lutte contre Daech.
Comment l’Allemagne a rapatrié son or
Selon le plan initial, à compter de 2020 l’Allemagne comptait stocker la moitié de ses réserves à Francfort-sur-le-Main et faire revenir d’ici là 300 tonnes d’or de New York et 374 tonnes de Paris.
Selon le communiqué de la banque centrale allemande, en 2016 Berlin a terminé le rapatriement de son or des USA, qui avait commencé en 2013 avec 5 tonnes de ce métal précieux. Depuis, chaque année, le pays a fait revenir 85, 99 et 111 tonnes d’or respectivement. En 2017, la Bundesbank a rappatrié les 91 tonnes d’or restantes des réserves parisiennes.
A l’heure actuelle, les réserves d’or allemandes sont réparties de manière suivante: 1.710 tonnes à Francfort-sur-le-Main, soit 50,6% de l’ensemble des réserves; 1.236 tonnes à New York, soit 36,6% des réserves; 432 tonnes à la Banque d’Angleterre, soit 12,8% des réserves.
Source: Sputnik