Regret, déploration, et autres subtilités de langage… diplomatique. Les pays du Maghreb se sont prêtés à un jeu délicat en se prononçant sur les frappes occidentales contre la Syrie. En jeu, concilier des questions de principe avec le jeu de grandes puissances que l’on ne veut pas incommoder, mais aussi une opinion publique souvent déchaînée.
Au Maghreb, la nuance demeure le meilleur vecteur des principes diplomatiques. Le plus prudent aussi. L’Algérie, le Maroc et la Tunisie ont tous affiché une forme de réprobation vis-à-vis des frappes occidentales contre la Syrie. En prenant la précaution, aussi, de rappeler qu’ils étaient contre l’utilisation des armes chimiques. Et en enveloppant le tout de quelques nuances supplémentaires.
Le Premier ministre algérien, Ahmed Ouyahia, a «regretté» les bombardements de Washington, Londres et Paris, tout en précisant que son pays était opposé à l’usage des armes chimiques… Sauf que rien n’est encore établi, puisque les frappes se sont déroulées
«au moment où toute la communauté internationale attendait plutôt l’envoi d’une commission d’enquête pour évaluer où vérifier toutes ces informations relatives à l’usage des armes chimiques, que l’Algérie avait dénoncées», a souligné Ahmed Ouyahia dans une conférence de presse.
Le titre d’un communiqué du Ministère marocain des Affaires étrangères annonce la couleur. Celle du regret de la dégradation de situation au Moyen-Orient, «notamment l’escalade militaire en Syrie». Le lead du même document apporte une nuance chromatique: en invoquant le droit international, le Royaume chérifien condamne l’usage des armes chimiques. En outre, tout en appelant à une solution politique, Rabat relève que
«Le timing choisi pour cette escalade, à la veille d’échéances arabes importantes, et l’absence de consultations appropriées habituelles, risquent de susciter interrogations, incompréhensions et indignation au niveau des opinions publiques», poursuit le communiqué de la diplomatie marocaine.
La Tunisie, enfin, a exprimé sa «sa grande inquiétude et sa profonde préoccupation», après l’escalade militaire occidentale en Syrie, en prenant parti pour une solution politique. Tout en réaffirmant son «refus catégorique de l’utilisation de toutes sortes d’armes interdites», chimiques en l’occurrence, la diplomatie tunisienne apporte une nouvelle nuance: le refus de l’utilisation des armes interdites est un principe qui prévaut à l’encontre de tous, c’est à dire, «quelle que soit la partie qui en fait usage»…
Si ces positions expriment bien, selon de nombreux observateurs, un attachement à certaines constantes diplomatiques, elles évitent surtout d’incommoder les uns ou les autres, alors que la guerre en Syrie se prête à des polarisations complexes. Si l’Algérie fait de la non-ingérence une question de principe, pour le Maroc et la Tunisie, on revient de loin. Pour le premier, on se rappellera le recadrage «inédit» apporté par un ministre des Affaires étrangères, nommé par le Roi, à son chef du gouvernement, l’islamiste Abdelilah Benkirane. Dans une interview en date de novembre 2016, celui-ci s’en était pris au «régime syrien», l’accusant de «dépasser toutes les limites», avec «le soutien de la Russie».
«Il faut dire que le royaume, qui est l’un des principaux partenaires commerciaux de la Russie (3 milliards de dollars d’échange en 2017) dans la région, œuvre activement depuis quelques années à se rapprocher de Moscou… et fait de son mieux pour ne pas incommoder l’allié russe.», commente le site Middle East Eye.
Pour la Tunisie, c’est plutôt, un renouement avec les constantes traditionnelles de sa diplomatie qu’on préfère mettre, de plus en plus, en avant, après les «égarements» de la période de transition politique. À cette époque, en février 2012, Tunis avait accueilli la première réunion de la «Conférence internationale des Amis de la Syrie». Plusieurs centaines, voire quelques milliers de jeunes gens, auraient également bénéficié de facilités pour partir rejoindre les rangs des «Moudjahidines». L’implication d’officiels ou de personnalités politiques fait l’objet, depuis plus d’un an, d’une enquête parlementaire. Dirigée par la députée Leila Chettaoui, la commission d’investigation sur le départ de jeunes Tunisiens vers l’Irak et la Syrie, est toutefois, aujourd’hui, au point mort.
Les partis politiques au pouvoir s’alignaient, peu ou prou, sur les positions officielles. En Tunisie, Imed Khemiri, porte-parole du parti Ennahda, associé à Nida Tounes dans la conduite des affaires, a déclaré que la position de son parti «est celle du Ministère des Affaires étrangères». Une mise au point qui s’était avérée nécessaire, après une déclaration controversée du président de ce parti islamiste. Les formations politiques de l’opposition, par contre, ne font pas dans la dentelle. «L’agression tripartite» est tantôt «un crime de guerre», tantôt un «un complot» contre la Syrie et son gouvernement. Le patron de la puissante Centrale syndicale UGTT ira jusqu’à évoquer «un grand décalage» entre la position gouvernementale et celle des Tunisiens.
«Cette position, où l’on fait état de sa préoccupation, n’est pas celle du peuple tunisien, qui condamne et dénonce avec force, comme vous l’avez entendu, cette agression brutale contre notre peuple en Syrie», a déclaré Noureddine Taboubi, au micro de la radio privée Diwan FM.
Si les positions officielles sont rompues aux jeux d’équilibre, ménageant les alliés antagonistes, l’opinion publique, elle, s’est déchaînée. En Tunisie, comme dans le reste des pays du Maghreb, on affiche une hostilité sans réserve contre les frappes occidentales, à en croire les réactions qui ont fusé sur les réseaux sociaux et même dans la rue.
«L’Union des écrivains tunisiens, de même que les éditeurs, distributeurs et libraires participant à la Foire internationale du Livre à Tunis (6-15 avril) ont condamné l’agression contre la Syrie. Dans le communiqué, on évoque un « crime effroyable » perpétré par les gouvernements de la coalition.»
«Après que le capitalisme international et l’axe du mal ont détruit l’Irak de Saddam, la Libye de Kadhafi, affaibli l’Égypte et divisé le Liban, c’est la Syrie qui saigne à présent, et toujours au nom des mêmes prétextes et contre-vérités.»
Dans la nuit du 13 au 14 avril, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont mené des frappes contre des positions syriennes. Une attaque visant, selon ces États, à porter un coup aux «capacités chimiques» du gouvernement syrien, suite à l’usage présumé de ces armes interdites par Damas, le 7 avril dernier. Décriée comme «une mise en scène», aussi bien par Moscou que par Damas, cette attaque chimique intervient alors que l’armée syrienne était sur le point de libérer la dernière poche de rebelles radicaux dans la Ghouta orientale. Elle intervient sur fond de mises en garde occidentales contre l’usage des armes chimiques, qui serait une «ligne rouge» pouvant justifier une intervention militaire.
Source: Sputnik