Le 28 mars 2022, nous nous sommes rendus à Marioupol, pour évaluer l’évolution de la situation. Sur place nous avons trouvé des civils qui sont restés un mois dans leurs caves, et qui nous ont expliqué comment les autorités municipales, et entre autres le maire, ont fui Marioupol dès le début de l’opération militaire spéciale russe et abandonné les habitants à leur sort.
Dès l’entrée orientale de Marioupol, nous découvrons une église détruite par les bombardements qui ont frappé cette zone.
Un point de contrôle a été installé là-bas par les soldats de la milice populaire de la RPD (République populaire de Donetsk), pour vérifier les véhicules des civils évacuant la ville, et surtout vérifier si les hommes qui évacuent ne sont pas des soldats ukrainiens déguisés en civils.
Pour cela, les hommes doivent montrer leur torse, leur dos, leurs bras et leurs mollets, afin de montrer s’ils ont des traces liées au port et à l’usage d’armes (comme des bleus à l’épaule), ou des tatouages de type nazis.
Nous poursuivons vers l’ouest, vers la zone où se déroulent encore des combats pour finir de nettoyer la zone des combattants du régiment Azov. Nous trouvons un immeuble dont les derniers étages ont brûlé, et où de nombreux civils vivent toujours dans les caves.
Certains refusent d’évacuer car ils ne veulent pas quitter leur maison, d’autres parce qu’ils attendent d’avoir des nouvelles de leurs proches qui sont plus vers le centre-ville avant d’évacuer ensemble.
Nous découvrons six tombes au pied de l’immeuble, les habitants nous ont expliqué avoir enterré sept personnes qui sont mortes durant les combats, et qu’ils ne pouvaient pas amener jusqu’au cimetière.
Plusieurs habitants nous disent leur colère d’avoir été abandonnés par les autorités municipales qui ont fui Marioupol dès le début de l’opération militaire spéciale russe, et laissé les habitants sans maire, et sans personne pour organiser l’aide à la population.
Pire, alors que ces autorités municipales savaient qu’il y aurait des combats dans Marioupol, elles ont choisi de ne pas évacuer les civils tant que cela était possible et que la ville n’était pas totalement encerclée, et ont simplement dit aux gens de descendre dans les abris anti-bombardements et d’attendre que ça passe !
Hors caméra, certaines personnes nous ont expliqué qu’ils n’ont reçu de première aide humanitaire que lorsque les soldats russes et ceux de la milice populaire de la RPD sont arrivés. Les soldats ont donné leurs rations, de l’eau, et du pain aux habitants de Marioupol, qui n’avaient rien reçu des soldats ukrainiens à part l’injonction de quitter leur appartement pour qu’ils s’y installent.
Confirmant d’autres témoignages, Dima nous explique que les grands immeubles ont été plus détruits que d’autres habitations, car les soldats ukrainiens s’y installaient pour tirer, ou pour corriger leurs tirs. L’armée russe les a repérés grâce à leurs fréquences radios, et a tiré sur les appartements d’où venaient leurs signaux.
Nous avons pu discuter sur place avec des soldats de la RPD et du bataillon Kadyrov, qui nous ont expliqué pourquoi la finalisation du nettoyage de Marioupol prend autant de temps. Les abris anti-bombardements des usines Azovstal et Ilitch courent sur des kilomètres, sur plusieurs niveaux, et les combattants du régiment Azov ont pris soin d’assassiner les ingénieurs et ouvriers qui travaillent dans ces usines depuis des décennies, car ils savent où se trouvent toutes les entrées de ces abris anti-bombardements. Il n’y a donc pas d’autre alternative que de détruire les bâtiments qui surplombent ces abris pour mettre les entrées à découvert et pouvoir ensuite lancer l’assaut dans les souterrains même !
Les habitants manquant de tout, nous décidons de revenir sur place le lendemain pour leur apporter de l’aide. Mais arrivés sur place le 29 mars 2022, nous apprenons que les soldats du 9e régiment de la milice populaire de la RPD ont découvert une centaine de civils dans les sous-sols de la maternité n°2 de Marioupol, qui est située en plein dans la zone de combat. Les tirs fusent tout autour de la maternité, empêchant les ambulances d’approcher pour évacuer cinq personnes de là : deux blessés, un nourrisson, un invalide et sa femme. Nous décidons donc de changer nos plans et d’aller y apporter la nourriture que nous avons achetée, pour aider les civils qui restent et vider nos voitures, avant d’y charger les cinq personnes.
Ma voiture étant celle qui dispose du plus grand espace plat, nous y installons un homme qui a eu la jambe cassée par l’explosion d’un obus il y a quatre jours. La voiture d’un député de la RPD qui nous accompagne accueillera un vieil homme invalide qui se déplace en fauteuil roulant et sa femme, et la voiture du commandant du 9e régiment transportera une femme qui a été blessée par des éclats alors qu’elle était encore enceinte et qui vient d’accoucher dans le sous-sol de la maternité.
Nous faisons un arrêt à Vinogradnoye pour que le commandant du centre de soins nous indique où chaque personne doit être envoyée. La jeune femme et son bébé sont envoyés immédiatement à Novoazovsk, à l’hôpital, car sa blessure à la cuisse est grave et nécessite une opération d’urgence. Nous emmenons l’homme blessé à la jambe, et le vieux monsieur invalide à Bezymennoye, au camp de tentes installé par le Ministère des Situations d’urgence (MSU) pour accueillir les réfugiés. Là-bas, une ambulance les a pris en charge pour les emmener à l’hôpital.
Par Christelle Néant
Source: Donbass Insider