Les Kurdes irakiens constituent la majorité des réfugiés souhaitant traverser la frontière polonaise depuis la Biélorussie. Une surreprésentation due à plusieurs facteurs, dont la déstabilisation de la région par l’Occident lui-même.
La pression migratoire à la frontière polono-biélorusse ne s’allège pas. Ces migrants et réfugiés qui souhaitent pour la plupart se rendre en Allemagne, sont majoritairement originaires du Kurdistan irakien.
Selon Omid Mohammed, membre du parlement irakien, les principales raisons de cette immigration massive seraient d’ordre socio-économique. En particulier, la hausse du chômage dans le pays, l’écart considérable entre le niveau de vie de l’élite dirigeante et celui du reste des citoyens du pays et la pauvreté rampante dans la région.
Une réalité confirmée au micro de Sputnik par François-Xavier Gicquel, directeur des opérations de SOS Chrétiens d’Orient, qui est resté de nombreuses années en poste au Kurdistan irakien.
« Il y a d’importants problèmes économiques. Notamment du fait des arrangements entre le gouvernement de Bagdad et celui d’Erbil. »
En principe, les Kurdes irakiens acheminent le pétrole produit chez eux à Bagdad et versent au budget de l’État central une partie des droits de passage de l’or noir transitant par leur territoire. En échange, l’État irakien reverse 20% de son budget au Kurdistan, qui représente 20% de la population totale du pays. Une manne notamment utilisée pour payer les fonctionnaires, explique l’humanitaire.
Les Kurdes pris en étau
Le problème est que « Bagdad s’est rendu compte qu’Erbil gonflait les chiffres des fonctionnaires et qu’une partie conséquente de l’argent du pétrole ne revient pas à Bagdad, parce qu’il est partagé entre les familles kurdes au pouvoir. »
« Face à cela, le gouvernement irakien coupe les robinets et au final, c’est la population du Kurdistan irakien qui fait les frais de ce bras de fer entre Erbil et Bagdad », affirme le directeur des opérations de SOS Chrétiens d’Orient.
Ainsi, les fonctionnaires kurdes se retrouvent-ils avec la moitié de leur salaire versé un mois sur trois. « Or, la population est fonctionnaire à 50% », précise-t-il.
Ciblés par les Turcs, mais pas que
En parallèle, une partie de la population du Kurdistan irakien proche des cercles du pouvoir « s’est considérablement enrichie ». Un phénomène qui crée « une importante frustration dans la population kurde » et la pousse mécaniquement à l’exode.
La perspective d’entrer dans l’Union européenne nourrit ainsi chez ces candidats à l’exode la perspective d’une existence digne à laquelle ils ne peuvent avoir accès chez eux. D’autant qu’à cette précarité économique s’ajoutent des menaces sécuritaires, rappelle François-Xavier Gicquel:
« Les régions kurdes restent touchées par les conflits, notamment à la frontière turque, car les combattants du PKK [organisation politique armée kurde considérée comme terroriste par plusieurs pays, ndlr] viennent se réfugier dans le Kurdistan irakien. Ces régions sont donc souvent ciblées par l’armée turque. »
Sans oublier la « menace de Daech* toujours présente aux frontières du Kurdistan irakien. »
Face à cette migration de masse, Karim al-Nouri, vice-ministre irakien des Migrations, a expliqué qu’une commission spéciale avait été mise en place pour enquêter sur la crise. En attendant, le ministère est prêt à assurer le retour en Irak des réfugiés présents en Biélorussie.
L’officiel irakien tient toutefois Minsk pour responsable, expliquant que le problème réside dans le fait que la Biélorussie, en raison de ses relations dégradées avec l’Union européenne, souhaitait créer des tensions à la frontière avec l’UE, ce pour quoi le feu vert aurait été donné à cette campagne d’immigration illégale.
Les Européens, « c’est de leur propre faute »
Une position nuancée au micro de RT Arabic par Majed Al-Qaisi, un homme d’affaires d’origine irakienne qui vit à Minsk. Ce dernier estime que la Biélorussie n’est pas coupable de la crise actuelle. Selon lui, la responsabilité de cette crise revient aux pays occidentaux, qui « ont apporté la souffrance et la destruction au Moyen-Orient, et sont maintenant protégés par les barbelés des personnes qui courent vers eux en quête de protection. »
Une position également défendue par le Président russe lui-même, qui estime que les Européens refusent de faire face à leurs responsabilités. « C’est de leur propre faute. Politique, militaire et économique. Ils ont eux-mêmes créé les conditions pour que des milliers et des centaines de milliers de personnes arrivent. Maintenant, ils cherchent des coupables sur qui rejeter la responsabilité de ce qui se passe », a martelé Poutine.
En effet, les interventions occidentales au Moyen-Orient, souvent occultées de l’équation lorsqu’est évoquée la vague migratoire actuelle, ont une part de responsabilité. L’Irak ou encore la Syrie, d’où viennent la majeure partie de ces migrants, ont été déstabilisés directement pour les premiers et indirectement pour les seconds par des choix stratégiques occidentaux. Dans le cas de l’Irak par l’intervention des Américains et leurs alliés –dont la Pologne– en 2003 contre Saddam Hussein. Et dans le cas de la Syrie par le soutien à des groupes islamistes pourvoyeurs de déstabilisation lors de la guerre civile dans le pays.
Source: Sputnik