Ce 30 mars se déroule la conférence de Bruxelles. L’Union européenne et les Nations unies exhortent la communauté internationale à aider financièrement la Syrie. Une aide toutefois conditionnée et politisée. Ce forum de donateurs s’inscrit dans un agenda politique occidental précis, estime Caroline Galactéros, présidente du think tank Geopragma.
Après le bâton, la carotte pour la Syrie?
Pour la cinquième année consécutive, l’Union européenne organise la conférence de Bruxelles pour soutenir financièrement la Syrie. Pour cause de pandémie, ce forum réunit à distance plus de 80 délégations, 50 États, ainsi que plusieurs organisations humanitaires et institutions financières. Au cours de la précédente édition, en juin dernier, les donateurs avaient rassemblé la somme de 5,5 milliards de dollars, selon l’Onu. Cette année, l’objectif affiché est de récolter 10 milliards de dollars, dont 4,2 milliards destinés à l’intérieur de la Syrie et le restant aux pays d’accueil limitrophes (Jordanie, Turquie et Liban).
13,4 millions de Syriens en situation d’urgence humanitaire
L’Union européenne et les Nations unies exhortent donc la communauté internationale à venir en aide à la Syrie, ravagée par 10 ans de conflit. En marge de cette réunion, le chef de la diplomatie américaine, Anthony Blinken, a déclaré: «comment est-il possible que nous ne puissions pas trouver dans nos cœurs l’humanité commune pour réellement prendre des mesures significatives?» Or ce volet humanitaire cache un volet politique, estime Caroline Galactéros, docteur en science politique, présidente du think tank Geopragma.
«Cette conférence des donateurs est bien évidemment un simulacre. Derrière l’enveloppe humanitaire se cachent des positions politiques pour le moins cyniques», souligne-t-elle au micro de Sputnik.
Pourtant, officiellement il y a un consensus auprès des donateurs: la Syrie est exsangue économiquement et la pauvreté est endémique. La question est de savoir quelles vont être les actions prises pour lutter contre «cette situation humanitaire catastrophique», se demande l’auteur de Vers un nouveau Yalta: Recueil de chroniques géopolitiques (Éd. Sigest, 2019).
Lors de la précédente édition, Pékin et Moscou, utilisant leur droit de veto à l’Onu, avaient imposé au Conseil de sécurité de réduire à un seul le nombre de points d’entrée pour acheminer l’aide humanitaire en Syrie. Par l’intermédiaire d’Anthony Blinken, les États-Unis réclamaient l’ouverture de plusieurs points d’accès à la Syrie, notamment aux frontières irakienne et turque. Ce à quoi Sergei Vershinin, vice-ministre des Affaires étrangères russe, avait répondu que «l’aide transfrontalière violait les principes du droit international» et qu’il y voyait «la politisation croissante de l’aide humanitaire».
Une conférence humanitaire pour faire oublier la responsabilité occidentale?
Faute de pouvoir s’immiscer en Syrie, les donateurs se sont pour le moment focalisés sur l’aide aux pays d’accueil. «Avec cette messe humanitaire, on essaye d’expliquer que maintenant on est au chevet de la pauvre Syrie et que l’Occident n’est pour dans le martyr que vit le peuple syrien et son pays dévasté», critique Caroline Galactéros.
«La situation humanitaire syrienne comprend plusieurs volets: il y a ceux qui ont fui la Syrie dans les pays limitrophes et qui se retrouvent dans des camps, il y a les déplacés internes et la majeure partie de la population qui vit dans une extrême pauvreté», déplore-t-elle.
En effet, plus de 5,6 millions de réfugiés syriens ont fui en Turquie, en Jordanie et au Liban. On dénombre également 6,7 millions de déplacés internes et 13,4 millions de Syriens en situation d’urgence humanitaire. «Les Syriens sont dans une situation de dénuement total», regrette la chercheuse en science politique. Face à ce constat alarmant, la directrice de Geopragma évoque sans langue de bois les raisons d’une telle situation:
«Après avoir voulu démembrer la Syrie, l’Occident agit plus sournoisement. Il fait tout pour que la situation humanitaire soit si terrible que le peuple syrien finisse par accepter de se retourner contre son propre gouvernement.» Et d’ajouter: «L’Occident exerce une conditionnalité au moins implicite: on peut reconstruire le pays, mais vous allez devoir faire des concessions politiques.»
En d’autres termes, l’aide humanitaire, qui s’inscrit dans un programme politique occidental précis, semble ici être la continuation de la guerre par d’autres moyens. «C’est assez terrifiant et ça rend d’autant plus hypocrite les conférences du style de Bruxelles», assène Caroline Galactéros. À l’en croire, l’Occident n’a donc pas encore dit son dernier mot en Syrie.
Sanctions US: «silence complaisant, si ce n’est complice des participants»
Peut-être que l’Union européenne et les États-Unis ont abandonné l’idée de renverser Bachar el-Assad frontalement, mais il n’en demeure pas moins qu’ils souhaitent maintenir une pression économique maximale sur Damas. Étonnamment, lors de cette conférence humanitaire, pas une critique n’a été formulée à l’égard des sanctions américaines sur la Syrie, ce qui témoigne «du silence complaisant, si ce n’est complice des participants», juge la présidente de Geopragma.
Pire encore, le secrétaire d’État américain a martelé que «la souveraineté n’a jamais été conçue pour garantir le droit d’un gouvernement à affamer les gens, les priver de médicaments vitaux, à bombarder les hôpitaux ou à commettre toute autre violation des droits humains contre les citoyens.» S’inscrivant en faux, Caroline Galactéros estime que «ce sont uniquement des paroles, les actes sont aux antipodes.»
«Il y a une sorte d’aveuglement de la part de l’Occident. Je ne demanderais pas mieux que l’Amérique ait un sursaut d’humanité. Or, sa politique consiste à frapper jusqu’à ce que l’ennemi abdique.»
Effectivement, la loi César, entrée en vigueur en juin 2020, asphyxie littéralement l’économie syrienne. Ordonnée par l’Administration Trump, cette série de sanctions économiques visent le gel des avoirs et l’impossibilité d’accès au système bancaire américain. À ce titre, 411 personnalités syriennes et 111 entreprises, banques et organes étatiques syriens sont dans le viseur de Washington. Mais cette mesure unilatérale s’inscrit également dans une politique plus large, qui cible également les alliés de Damas, à savoir la Russie, l’Iran et le Hezbollah libanais.
«Cette conférence est à replacer dans un contexte de tensions avec la Russie au sujet de la reconstruction de la Syrie, mais aussi sur d’autres dossiers (Ukraine, Caucase, Libye). La hantise de l’Occident serait de voir la Syrie reconstruite par Moscou, Téhéran et Pékin. Ce forum met finalement en exergue la consolidation parallèle d’un bloc opposé aux volontés occidentales» estime Caroline Galactéros.
Dernièrement encore, on a eu la confirmation du renforcement de cet axe. En effet, la Chine et l’Iran ont conclu le samedi 27 mars un accord commercial et militaire sur 25 ans. Par l’intermédiaire de ce partenariat stratégique, Pékin aura plus facilement accès à la Syrie. Pourtant, la résolution du conflit syrien passe nécessairement par l’arrêt de la «conditionnalité politique du soutien à la reconstruction des Occidentaux», estime celle qui est aussi directeur de séminaire à l’École de guerre.
«On est en face d’un statu quo. La Syrie doit se reconstruire pour le bien de la région. Avec les pressions économiques, c’est extrêmement contre-productif et l’Occident se fourvoie littéralement, moralement et stratégiquement», conclut-elle.
Source: Sputnik