Alors que l’initiative française patine au Liban, Jean Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères, exhorte ses partenaires européens à parler d’une seule voix. Un intérêt qui n’est pas anodin et qui est à replacer dans un espace régional, notamment celui de la reconstruction de la Syrie, estime Mounir Rabih, journaliste et analyste libanais.
Décidément, le dossier libanais donne du fil à retordre à la France. En raison de l’échec patent de l’initiative française au Liban, le ministre des Affaires étrangères, Jean Yves Le Drian, a exhorté l’Union européenne à prendre des mesures politiques pour sauver le pays de l’implosion.
«Tout le monde sait ce qu’il faut faire, mais c’est bloqué par les intérêts particuliers […] et donc l’Europe ne peut pas se désintéresser de cette crise. Quand un pays s’effondre, l’Europe doit être au rendez-vous», a-t-il déclaré à Bruxelles devant ses homologues européens. En effet, le pays du Cèdre traverse une grave crise économique, politique et sociale. Les blocages persistent, la monnaie continue à perdre de la valeur et les tensions confessionnelles réapparaissent. Face à cette situation explosive, Paris enjoint donc à ses partenaires européens d’appuyer son initiative.
Pour Mounir Rabih, journaliste au célèbre quotidien libanais L’Orient Le Jour, cet appel du chef de la diplomatie française est un moyen d’obtenir plus de poids dans son initiative.
«La France était quasiment la seule à s’intéresser au sort du Liban. Face à la situation et l’échec de son initiative, le gouvernement français demande de l’aide à l’Union européenne pour qu’il puisse garder sa position stratégique au Liban», souligne l’analyste politique au micro de Sputnik.
Mounir Rabih rappelle ici l’influence historique de la France. Depuis la création du Liban en 1920, Paris a toujours gardé une position protectrice et bienveillante vis-à-vis de ce pays. Or, aujourd’hui, son influence semble décroître, d’où cet appel du pied aux pays européens.
La France ne veut pas perdre sa prépondérance au Liban
Dès les jours qui ont suivi l’explosion du port de Beyrouth le 4 août dernier, la France était au chevet du Liban. Emmanuel Macron s’était investi d’une mission pour le moins compliquée. Il voulait que les partis libanais se mettent d’accord pour former un nouveau gouvernement afin d’enrayer la crise. Mais la volonté du Président de la République s’est heurtée aux blocages de la classe politique libanaise. Pourtant, Macron n’en démord pas et souhaite changer de posture: il a récemment promis «un changement de méthode». Mais pourquoi cette insistance?
«C’est tout l’héritage de la politique française qui est remis en question avec le Liban. La France veut garder son influence, c’est sa seule porte d’entrée dans les affaires orientales. Elle a une sorte de monopole qu’elle ne compte pas perdre. Elle a des intérêts économiques, linguistiques et culturels», souligne Mounir Rabih.
Dès lors, l’Union européenne doit servir de tremplin à l’initiative française. Pourtant, les partenaires européens avaient critiqué la position de Paris à l’égard du Hezbollah. Dans une logique pragmatique, le gouvernement français voulait inclure le parti chiite dans le règlement de la crise politique. Pour la France, le parti de Dieu «pourrait être une porte d’entrée vers la Syrie», estime l’analyste politique libanais. Pour certains pays européens à l’instar de l’Allemagne, des Pays-Bas, de l’Estonie, de la République tchèque ou encore de la Lituanie, le Hezbollah est une entité terroriste qu’il faudrait sanctionner.
Les Européens aux abonnés absents sur le dossier syrien
Comme François el Bacha, analyste politique libanais, l’avait récemment mentionné à Sputnik, «la reconstruction de la Syrie passe nécessairement par la stabilité du Liban». Ainsi, Beyrouth serait-il la pièce à jouer pour que les Européens puissent revenir dans le jeu syrien. Absents depuis plusieurs années, ils ne souhaitent pas voir «la Syrie aux mains des Russes et des Iraniens», estime Mounir Rabih. Donc par ricochet, si l’Union européenne s’intéresse au Liban c’est pour garder un œil actif sur le dossier syrien.
«La situation du Liban est bien évidemment intéressante d’un point de vue géographique pour la France, mais également pour les Européens. Ils ambitionnent de se positionner en vue des futurs projets pour la reconstruction de la Syrie», explique le journaliste.
Détruite par dix ans de guerre, la Syrie est en passe de se reconstruire. La diplomatie russe le prouve. Dans sa tournée orientale, Sergueï Lavrov a insisté auprès des monarchies du Golfe sur le retour de Damas dans le concert des nations et sur l’importance des investissements étrangers pour la reconstruction du pays. De plus, le ministre des Affaires étrangères syrien, Fayçal el-Meqdad, s’est récemment rendu à Oman pour discuter de l’après-conflit. Faisant le choix de la rébellion syrienne, les Européens sont quant à eux aux abonnés absents sur ce dossier. Ainsi compteraient-ils bien jouer leur va-tout, en misant sur la carte libanaise.
Source: Sputnik