Tandis que les prix du pétrole remontent un peu, les États-Unis, la Russie et l’Arabie saoudite, les trois premiers producteurs mondiaux d’or noir, ne se sont toujours pas mis d’accord pour réduire leur production. Ce choc peut-il nuire au pétrole de schiste américain? Réponse avec Francis Perrin, spécialiste des questions énergétiques à l’IRIS.
Le record de 18,8 millions de barils de pétrole produits a été atteint ce 1er avril par le géant Saudi Aramco, la compagnie pétrolière du royaume wahhabite. Difficile d’y voir un bon signe pour les économies mondiales et les marchés financiers alors que la demande mondiale ne cesse de baisser. Le résultat de cette surproduction, notamment saoudienne? La deuxième plus grande chute de l’histoire pétrolière, survenue le 9 mars dernier: une dégringolade de 28,69%, mettant le baril de Brent à 32,28 dollars. Descendu le 30 mars autour du chiffre fatidique des 20 dollars, le Brent de la mer du Nord est relativement remonté, avoisinant les 27 dollars ce 2 avril. Même scénario pour le WTI (West Texas Intermediate), qui vaut actuellement 22 dollars. Celui-ci valait 61 dollars début janvier.
«L’addition d’un choc de la demande et d’un choc de l’offre»
Deux phénomènes très différents ont participé à cette chute vertigineuse. En premier, l’échec du sommet OPEP-non OPEP du 6 mars à Vienne, qui a conduit ces pays exportateurs de pétrole à refuser toute réduction de leur production. Au contraire, Riyad, souhaitant conserver sa part de marché, a volontairement cassé les prix et augmenté sa production journalière, passant de moins de 10 millions de barils par jour à 18 millions début avril. Un choc de l’offre qui est la cause directe de la chute du 9 mars.
La baisse de la demande, liée au confinement de 3,6 milliards de personnes, soit 46,5% de la population mondiale, engendré par la pandémie du coronavirus, aggrave encore le phénomène. Interrogé par Sputnik, Francis Perrin, spécialiste des problématiques énergétiques à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) constate qu’il s’agit de «l’addition d’un choc de la demande et d’un choc de l’offre».
Alors que les marchés financiers ne cessent d’exprimer une intense volatilité ces derniers mois, la remontée tout relative des prix du pétrole est un fait. Comment l’expliquer? Le 30 mars, lors d’une conversation téléphonique, Vladimir Poutine et Donald Trump ont évoqué cette problématique. Un communiqué de la Maison-Blanche annonce que les deux dirigeants sont tombés d’accord «sur l’importance de la stabilité dans le marché international de l’énergie». Car les États-Unis et la Russie sont respectivement le premier et deuxième producteur de pétrole au monde, suivis par l’Arabie saoudite. Le Président américain a également échangé avec le prince héritier, avec qui il affirme avoir «eu une grande conversation», même si Riyad a annoncé être prête à inonder le marché. Rebondissement ce 2 avril, plusieurs tweets de Donald Trump ont annoncé que Vladimir Poutine et Mohamed ben Salmane s’étaient parlés au téléphone, évoquant même un accord sur une baisse de 10 millions de barils. L’annonce a provoqué une flambée de 30% des cours dans la journée. Mais l’information a immédiatement été démentie par le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, ajoutant que «pour le moment», aucun entretien n’était prévu. S’il admet que ces échanges diplomatiques ont un effet certain sur la hausse des prix, Francis Perrin estime qu’il faut davantage de dialogue pour permettre une réduction de la production mondiale.
«Le fait que de grands acteurs tels que Washington et Moscou reprennent contact sur ce sujet-là, que de leur côté les Américains parlent aux Saoudiens […] est un élément qui a été perçu positivement par les marchés. Cela dit, en l’absence pour l’instant de mesures concrètes, cela ne suffira pas au-delà de la remontée des prix, à contrer l’impact baissier considérable du choc de la demande lié au coronavirus.»
Le chercheur associé au Policy Center for the New South (Rabat) observe que la réduction de la production mondiale enverrait un signal positif supplémentaire aux marchés, mais qu’elle ne serait pas suffisante pour les équilibrer.
Les États-Unis inquiets de l’impact sur le pétrole de schiste?
Cette chute des prix constituant initialement une bonne nouvelle pour les pays importateurs tels que la France, il est pertinent d’analyser les conséquences de cette déflation drastique sur les économies des trois premières puissances pétrolières au monde. Dépendant des exportations de pétrole, Riyad et Moscou ont toutefois des réserves importantes de devises. Lors d’une allocution télévisée ce 2 avril, Vladimir Poutine a estimé que «c’est vraiment un défi sérieux» pour l’économie russe. Il a également fait part de l’inquiétude américaine à ce propos:
«Nous discutons la baisse des prix du pétrole avec […] les partenaires de l’OPEP, et récemment j’ai eu une conversation sur ce sujet avec le Président des USA. Les Américains sont préoccupés par ce problème aussi, parce que la rentabilité de l’extraction du pétrole de schiste vacille […] autour de 40 dollars le baril, selon différentes estimations, donc pour l’économie américaine, c’est aussi une épreuve difficile.»
La stratégie de surproduction de Riyad aura-t-elle pour effet de nuire aux parts de marché américaines et à l’indépendance énergétique américaine voulue par Donald Trump? En passe de devenir exportatrice nette, l’industrie pétrolière américaine est bien plus fragile, d’où l’activité diplomatique anormalement intense du Président américain. La production américaine s’appuie sur un réseau de petites, moyennes et gigantesques compagnies, comme Exxon Mobil ou Chevron, certaines étant donc bien plus soumises aux aléas du marché.
Extraction de pétrole
De plus, le pétrole de schiste américain est également plus cher à extraire. Pour être rentable, le prix du baril de pétrole américain doit atteindre au minimum 50 dollars. Et le secteur est fortement endetté. C’est l’agence Moody’s, citée par la Tribune, qui estime à 86 milliards de dollars la somme que ces compagnies devront rembourser dans les quatre prochaines années.
Selon Francis Perrin, des conséquences directes vont être observées chez les plus petits producteurs: «certaines sociétés vont mettre la clé sous la porte […] plusieurs de ces compagnies n’ont pas les reins financiers assez solides pour traverser une période marquée par un tel effondrement aussi brutal des prix». Une restructuration de l’industrie pétrolière américaine est à prévoir, non pas à court, mais à moyen terme, selon le chercheur:
Les industriels américains travaillent encore «sur des contrats qui ont été signés à des niveaux de prix plus élevés. Et puis il y a des mécanismes de couverture sur des marchés à terme qui ont permis aux compagnies pétrolières, notamment américaines, de se couvrir en signant des contrats avec des prix plus élevés, ce qui va les protéger financièrement pendant plusieurs mois».
Une rencontre entre les industriels du secteur et le Président américain est ainsi prévue le 3 avril à la Maison Blanche. Lors de son point de presse quotidien, Donald Trump a assuré ne pas vouloir perdre «nos formidables groupes pétroliers» en ajoutant, sans préciser: «je pense que je sais comment régler le problème».
Dans ce contexte, l’indépendance énergétique des États-Unis devrait être reportée à 2021 ou 2022. Mais le chercheur en conclut que les tendances structurelles ne devraient pas être modifiées: «Depuis 2008, les États-Unis, grâce à leur pétrole non conventionnel, notamment du pétrole de schiste, produisent de plus en plus de pétrole, importent de moins en moins de pétrole, exportent de plus en plus de pétrole.»
Source: Sputnik