Dans son allocution télévisée, le secrétaire général du Hezbollah Sayyed Hassan Nasrallah a qualifié la situation au Liban, après neuf jours de manifestations populaires, de « délicate voire de menaçante ».
Mettant en relief les points positifs et négatifs de ce mouvement populaire qui a débuté «spontané et juste », le SG du Hezbollah a mis en garde « les gens qui sont descendus à la rue pour exprimer leur souffrance et dénoncer la corruption et les corrompus , des menaces qui visent le pays, en ce sens, que le Liban est devenu une cible régionale et internationale via ce mouvement ».
Son éminence a souligné que « ce mouvement n’est plus un mouvement spontané, il a été happé par des partis connus pour leur alliance avec certaines ambassades et certains pays, ce mouvement est passé , en grande partie sous leurs commandement, il bénéficie d’un financement étranger suspect, et donc, je demande aux commandants-chefs de ce mouvement, qui le dirigent à travers certains rassemblements , d’expliquer aux gens ce financement qui provient de telle ou telle ambassade ou de tel pays ou de tel homme riche corrompu, pour qu’ils puissent évaluer si un tel financement garanti leur intérêt et celui de leur pays. »
Et de poursuivre : « De même les demandes ne sont plus économiques ou sociales, on parle de renverser le régime, de quel régime parle-t-on ? Le Liban n’a pas de régime, il est confessionnel, si par régime on vise le confessionnalisme, c’est parfait ! Car nous sommes les premiers à demander la fin du confessionnalisme !! On parle de vide constitutionnel, or les gens ne sont pas descendus à la rue pour réclamer le vide constitutionnel, certains sont même allés jusqu’ à demander une réunion du conseil de sécurité pour soumettre le Liban au chap.7 de l’ONU ».
« Pire, comment expliquer que l’entité sioniste permette à d’anciens agents libanais de manifester sur la frontière libano-palestinienne, en solidarité avec le mouvement ?! », s’est-il interrogé.
Et d’ajouter : « le vide constitutionnel entraine le chaos, pire, il menace le Liban de guerre civile, et ces derniers jours certains signes inquiétants nous ont rappelés cette période, comme les barrages que certains éléments suspicieux imposent aux gens qui circulent dans leurs voitures leur demandant leur carte d’identité ».
Enfin, Sayyed Nasrallah a exhorté « le public du Hezbollah à se retirer de toutes les arènes, et de ne pas se mêler au mouvement jusqu’à ce que ce mouvement puisse définir des chefs qui les représentent pour discuter leurs demandes de réforme avec le président de la république. Surtout que son dernier s’est dit prêt à accueillir des représentants de ce mouvement pour discuter de leurs demandes ».
Principales idées de ce discours :
Aujourd’hui, le pays connait des évènements sensibles et alarmants, qui exigent un discours calme et raisonnable, car la période est très délicate.
A travers mon discours, je vais rappeler la position du Hezbollah, puis évaluer le mouvement, parler des solutions qui se présentent et évaluer ce qui se passe actuellement. Et je conclurai par une position claire nette et précise, du Hezbollah.
Samedi dernier, deux jours après le mouvement populaire, j’ai dit que ce mouvement populaire était spontané, anti confessionnel, social, non partisan, et qui ne dépend d’aucune ambassade . De plus, j’ai le plus défendu ce mouvement et j’ai souligné que le Hezbollah ne peut pas participer dans ce mouvement car cela le politisera, et qu’il est de l’intérêt de ce mouvement que les partis restent en dehors de ce mouvement pour lui préserver son caractère populaire, transconfessionnel, et j’ai dit aux gens que vous pouvez descendre dans les rues pour exprimer votre souffrance, votre « NON » à l’égard de la corruption.
Surtout que vous pouvez vous retirer quand vous le souhaitez, ce qui ne sera pas notre cas si nous descendons à la rue, nous ne pourrions nous retirer qu’après avoir réalisé ses objectifs politiques.
Les points positifs de ce mouvement :
Personne n’explique aux gens les exploits que leur mouvement a réalisé et qu’il ne faut point minimiser, surtout que l’on peut se baser là-dessus pour lancer des réformes.
A- le mouvement a imposé au gouvernement de définir le budget de 2020 avec un pourcentage de déficit de zéro, c’est la premier fois dans l’histoire des gouvernements libanais qu’un budget est défini sans impôt, surtout, que lors de nos discussions au sein du gouvernement concernant le budget de 2020, le ton était sévère car il comprenait des impôts. Cela est un exploit, les forces politiques rêvaient de pouvoir réaliser un tel budget.
B- enfin, une feuille de réforme a été définie, cette feuille est sans précédent, car elle comprend des mesures exceptionnelles de lutte contre la corruption, certes elle ne répond à toutes les ambitions mais elle est très importante. Elle est un premier pas dans la procédure de réforme du système. Jamais dans l’histoire des réformes au Liban il n’y a jamais eu lieu une telle feuille, et donc pourquoi minimiser son contenu ? C’est pourquoi, je me permets de mettre un point d’interrogation sur cet acharnement à vouloir dévaloriser cette feuille. Cela est suspicieux. Car jamais dans l’histoire des mouvements de protestations ou populaires, on a vu leurs gens minimiser leurs exploits, c’est illogique. De plus, cette feuille comprend un calendrier d’exécution pour réaliser ces réformes. Par exemple, la loi de récupérer l’argent dépouillé.
Le Hezbollah estime que cette feuille doit être exécutée et n’est pas de l’encre sur du papier et nous ne permettrons pas qu’on reporte son exécution.
Le gouvernement est déterminé à exécuter ces mesures. Réclamer des élections anticipées n’est pas en soi une demande sociale et économique, elle est suspicieuse car de l’avis des experts internationaux, elles étaient justes et légitimes de l’avis de tous les experts internationaux..
C- les gens ont rétabli leur confiance en leur capacité à déclencher un mouvement unifié, social, apolitique, économique.
D- ce mouvement a donné une voix à chaque libanais, quel que soit son appartenance confessionnelle, sa couleur politique, sa tribu, pour exprimer haut et fort, sa souffrance, à sa façon, ce mouvement a réuni des gens ordinaires, des étudiants, des pauvres, des chômeurs, des familles, du sud, du nord, du centre, pour revendiquer des réformes justes et réelles, qui doivent être déterminées en tant qu’objectif du mouvement.
E- le mouvement a créé une nouvelle atmosphère au Liban, telle qu’il n’y a plus de crainte ou de tabou pour revendiquer des réformes. Ceux qui sont au pouvoir ou en-dehors, l’ont ressenti. Cette atmosphère ouvrira des occasions à tous, en plus de la feuille de réformes qui est un pas en avant, le premier, il a aussi diverses propositions de lois sur le point d’être soumis au vote du parlement qui est déterminé à se réunir. Ou encore la question de lever l’immunité pénale et constitutionnelle de tous les responsables, ou la loi de lever le secret bancaire des responsables politiques, ce sont des projets de lois qui seront bientôt votés au parlement. Plus aucun politicien ne bénéficiera d’une couverture quelconque, les gens auront le droit de les poursuivre en justice, de les faire juger.
Solutions :
Le président a tendu la main aux manifestants, il s’est dit prêt au dialogue pour négocier leurs demandes que lui-même a jugées justes. Il a demandé au mouvement de choisir ses représentants, pour qu’ils puissent exprimer leurs demandes.
Car, c’est bien de protester, encore faut-il chercher des solutions, et je sais de quoi je parle puisque nous, au Hezbollah, avons de l’expérience dans ce domaine. Et donc, je vais être clair, n’importe quelle solution dans tout mouvement populaire doit se fonder sur une règle d’or : éviter à tous prix le vide constitutionnel.
Car un tel vide peut entrainer, dans le cadre d’une situation financière, économique et sociale, difficile comme la nôtre, sans compter la situation régionale, une détérioration de la stabilité au Liban, un chaos, au point que même l’armée serait menacée de ne pas toucher ses fins du mois. La loi de la jungle règnera entrainant la guerre civile comme cela s’est passé dans d’autres pays..
Or, quand certains demandent, par derrière ce mouvement, la chute du mandat présidentiel, la chute du gouvernement, cela signifie le vide. Cela est inacceptable, pas question d’accepter la chute du régime, ni la démission du gouvernement, ni des élections anticipées, d’ailleurs, je vous demande êtes-vous sérieux sur une nouvelle loi électorale ? Êtes-vous capable de vous entendre sur une loi ??
Oui, nous craignons le vide, car il signifie le chaos. Notre devoir national, patriotique et religieux est de protéger notre peuple des agressions israéliennes, du terrorisme de Daech, même au prix de notre sang. De même, nous sommes prêts à protéger notre peuple, de la corruption, de l’oppression des corrompus, au prix de notre dignité.
Certains accusent que le Hezbollah n’a pas le droit de dire qu’il craint le vide, puisque lui-même l’a imposé durant deux années consécutives.
C’est vrai, sauf que les deux situations ne sont pas comparables: tout d’abord, notre vide, il y a deux années n’a pas paralysé le pays, les gens ont poursuivi leur vie normalement, se rendant à leur travail, on n’a pas coupé les routes. L’essence, le pain, les denrées alimentaires étaient assurés. Les hôpitaux, les banques, les écoles et les universités étaient ouverts ou fonctionnaient normalement. La seule chose qui manquait c’est un résident au palais présidentiel de Baabda. Faute d’un président, le gouvernement s’est vu obliger d’assurer les fonctions de ce dernier.
C’est pourquoi j’appelle les manifestants de choisir parmi eux des chefs, qui seront leurs représentants, chargés de négocier avec le président et de présenter des solutions. Sans pour autant sortir des arènes.
Points négatifs :
Le fait de couper les routes est une forme de rébellion civile, et nous l’avons fait pour réaliser des objectifs, je ne discute de ce principe, je discute du timing d’appliquer ce principe, il tombe très mal voire il est suspicieux compte tenu de la situation actuelle économique, ainsi si durant les jours normaux les gens se plaignaient de ne pouvoir grantir leurs émoluments du mois, quid durant ces évènements??
Reste le plus dangereux, sont les barrages que certains éléments suspicieux ont imposés aux gens qui circulaient en voiture, les forçant soit à rebrousser chemin, soit à montrer leur carte d’identité. Pire, soit à payer un droit de passage !
Des incidents qui nous rappellent la guerre civile.
Or, je dis à ces coupeurs de routes, en quoi votre action sert le mouvement populaire ? Demander aux gens du mouvement populaire s’ils acceptent qu’on les empêche d’aller à leur boulot ? Alors pourquoi fermer les routes ? Qui doit assumer cette responsabilité ? Si vous voulez couper les routes, coupez-les à moitié ou en partie afin de ne pas paralyser le pays et l’activité économique.
Certains tentent de créer une atmosphère de tension entre les manifestants et l’armée, certains dans le pouvoir cherchent à entrainer l’armée à se cogner contre les manifestants, or l’armée a pour seule mission de protéger la population et non de séparer les manifestants.
A ce titre, je rappelle dans les années 80, sous le règne d’un certain commandant en chef de l’armée libanaise, on a demandé, en septembre 1983, à l’armée de séparer les manifestants du Hezbollah dans le quartier de Hay elSoulom, pour ce faire, l’armée nous a tiré dessus, des martyrs sont tombés.. C’est pourquoi nous nous opposons formellement à ce que l’armée intervienne parmi les manifestants.
Ce mouvement a commencé populaire, spontané, non partisan, apolitique, mais, aujourd’hui ce mouvement est devenu autre chose, il n’est plus spontané, il est tombé sous le commandement de certains partis connus pour leur alliance ou leurs liens avec certaines ambassades ou certains pays étrangers. Ce mouvement est dirigé via des rassemblements divers, des forces politiques, des hommes de fortune. Ce mouvement bénéficie du financement d’une organisation suspicieuse, on sait ce que coute une manifestation, en termes de logistique, il y a des parties qui financent, moi je demande aux chefs ou commandants de ce mouvement et qui sont dans les arènes d’expliquer ce financement qui provient de telle ou telle ambassade ou de tel pays ou tel homme riche, pour évaluer si ce financement préserve l’intérêt de l’état du Liban.
De même, les demandes ne sont plus sociales ou économiques, on parle de la chute du régime .Que signifie la chute du régime ? Le Liban n’a pas de régime ! Il est confessionnel. Donc vous demandez la fin du confessionnalisme. C’est parfait, nous sommes les premiers à vouloir cela, mais les gens ne sont pas descendus pour cela. Puis, on parle de vide constitutionnel !! Demander aux gens s’ils veulent un vide constitutionnel. Pire, un autre a demandé une réunion du conseil de sécurité, afin de soumettre le Liban au chap.7 de l’ONU.
Sortez les archives et visionnez les demandes des gens, vous verrez le changement survenu sur le mouvement, il n’est plus populaire.
Aux manifestants, je demande : n’est-il pas le temps de définir un chef, un commandment chargé de proposer des solutions et de les négocier avec le président? Les manifestants doivent définir leur commandant.
Y-a-t-il un commandement pour ces manifestations ? Oui, il y en a , mais il est caché, il comprend des partis, des personnalités influentes, des forces politiques, des hommes de fortune..
Et donc, il est du devoir des manifestants de savoir qui les dirige, qui leur demande de couper les routes, de refuser la feuille de réforme, qui leur demande de conspuer tel ou tel, de manière provocatrice et systématique. On peut conspuer de manière spontanée, cela est normal dans tout mouvement contestataire, mais quand cela est fait de manière provocatrice pour déclencher des accrochements, cela est inacceptable.
Aujourd’hui, diverses catégories conduisent les rassemblements du mouvement, il y a la catégorie nationale, patriotique, une autre comprend des partis politiques qui étaient au pouvoir et ont démissionné, une autre est connue par son histoire dans la guerre civile, une autre encore veut régler des comptes, une autre veut se venger, une autre est liée à des ambassades… Il y a des personnalités qui financent ce mouvement, ceux-là sont les plus corrompus, car ils défendent les corrompus j’ai des noms sur toutes ces catégories..
Je demande aux gens d’aller savoir à qui ils prêtent leurs voix. Quelles garanties ont-ils de ne pas voir leur mouvement exploiter contre leur intérêt ? Comment voulez-vous, vous opposer à la corruption, quand on vous propose de remplacer un corrompu par un autre ?? Dans l’histoire de toutes les révolutions, on remplace le corrompu par un honnête patriotique garant des intérêts du peuple.
Je vous parle en tant que frère, j’estime que j’assume une responsabilité envers vous, et donc, je conseille à tous ceux qui commandent ce mouvement dans les coulisses, de se présenter en tant que remplaçants aux corrompus, d’aller à la justice et de dévoiler leurs comptes , de les révéler au grand public, afin d’être honnête envers les gens..
Conclusion : j’appelle notre public de se retirer des arènes
Je suis le premier à avoir qualifié ce mouvement de spontané, cela était vrai pour les trois premiers jours, c’est pourquoi quand on m’a appelé, j’ai dit de ne pas s’inquiéter.
Ces derniers jours, je dois modifier cette position. Même si je refuse la théorie du complot, sauf que nos informations prouvent que le complot existe, ce n’est pas une analyse.
Aujourd’hui, le Liban est une cible régionale et internationale, j’invite les gens à revoir les médias arabes et internationaux, les réseaux sociaux, on a un paysage diffèrent des premiers jours de ce mouvement. Comment expliquer que l’entité sioniste laisse des ex-agents libanais manifester à leurs frontières en solidarité avec le mouvement ?!
Aujourd’hui, je préviens les gens de ne pas croire ce que disent les ambassades, peu importe ce qu’elles disent, ce qui importe c’est ce qu’elles font. Comme l’ambassadrice des USA, qui a prétendu que les USA veulent préserver le gouvernement.
Je veux exprimer notre crainte et si quelqu’un peut nous rassurer qu’il vienne vers nous, regardez autour de vous, Aujourd’hui, combien de pays sont en guerre civile, en Irak, au Yémen, en Syrie…
Dans l’équation libanaise, la Résistance est la plus puissante force politique. Nous n’avons pas de craintes pour la Résistance mais pour le pays… Même « Israël » craint pour son existence à cause de la Résistance.
Or si le Liban est entrainé vers la guerre civile, on entraine ainsi la Résistance vers ce genre de confrontation qui dès lors ne représente plus de menace existentielle à l’entité sioniste. Dans les réunions à huit-clos de certains partis politiques, certains ont misé sur une guerre entre l’Iran et les Usa, or leurs espoirs se sont vaporisés, car les USA se sont retirés, ce choix est tombé.
En conclusion, je m’adresse au public de la résistance, certaines voix, ont exprimé un parallélisme entre la tragédie de Karbala , la lutte de l’imam Hussein contre l’oppression, la corruption et notre position envers le mouvement populaire, en nous accusant d’avoir abandonné le camp de l’imam Hussein, cela est injuste !
Car l’imam Hussein n’est pas un chef local ou régional, il est universel parce qu’il porte un message universel, intemporel, unifié, humain, certes les slogans du mouvement populaire et ceux de Karbala et de l’Imam Hussein se recoupent, mais le projet de l’imam Hussein est un projet qui concerne l’humanité.
Si vous voulez comparer ce mouvement avec le mouvement de l’imam Hussein, il faut qu’il jouisse des mêmes qualités et attributs de ce dernier, mais s’il n’a pas les qualités du mouvement de l’imam Hussein alors ne comparez point..
Sur ce, libre à vous de manifester..
Pour ce qui est de notre public ou des partisans du Hezbollah, samedi, nous avons demandé à nos adhérents, nos militants de ne pas descendre à la rue pour ne pas influencer le mouvement mais une partie du public est descendue.
Aujourd’hui, à la lumière des derniers évènements alarmants, je demande à notre public de se retirer de toutes les arènes, certes nous respectons les demandes des libanais, nous les soutenons, nous les défendrons si nécessaire, sans pour autant descendre dans les rues..
Source: Al-Manar