Loin des centres-villes et des regards, le phénomène est moins visible. Mais dans les paysages de bocage vallonné du district de Canterbury, dans le Kent (sud-est de l’Angleterre), la pénurie de logements laisse de nombreuses personnes sans toit.
A 38 ans, Benny Clapp vient de passer sa première année dehors. Dépressif depuis le suicide de sa femme, en décembre 2017, et incapable de travailler, cet ancien cuisinier explique avoir presque tout perdu. Ses vêtements, sa tente et quelques couvertures sont tout ce qu’il possède.
Il s’est installé au bord d’une rivière, ses affaires dissimulées par des buissons. Pour sa sécurité et afin d’éviter les mauvaises rencontres, il a choisi l’isolement. « C’est plus sûr ici. Si quelqu’un vient, je peux l’entendre, et personne ne peut arriver de ce côté », explique-t-il, en désignant le cours d’eau.
Malgré les faibles températures, il tente de faire sécher son duvet humide sur le toit de sa tente. A l’intérieur, la condensation s’est transformée en givre. Pour se réchauffer, il marche chaque jour jusqu’à la ville de Canterbury, distante de quelques kilomètres. C’est là qu’il doit pointer deux fois par mois auprès de l’administration pour conserver son allocation handicapé de 50 livres (57 euros) hebdomadaires.
David Burt, lui aussi, préfère la protection offerte par un bois pour planter sa tente. Originaire de Ramsgate, sur la côte, il est sans domicile depuis sa sortie de prison, il y a deux ans et demi. « Des histoires de drogue », élude-t-il.
Traumatisé par une agression physique subie de nuit par un ex-compagnon d’infortune, cet homme chétif de 48 ans, au visage mangé par une longue barbe poivre et sel, estime que vivre à l’abri des regards le protège également des vols. « Vous pouvez conserver quelques affaires, de quoi manger. Je ne pourrais pas garder un colis alimentaire si je n’avais nul part où l’amener ».
« Engager le dialogue »
Venir en aide à ces sans-domiciles qui cherchent la discrétion, c’est la mission d’Emma McCrudden, travailleuse sociale au sein de l’association Catching Lives. Au volant de sa voiture, elle effectue des tournées dans les villages, localisant les sans-abris grâce aux indications que lui donnent la police ou des promeneurs.
« Mon boulot c’est engager le dialogue avec eux, leur présenter certains services pour répondre à leur besoin », détaille-t-elle. « Je peux essayer de leur trouver un logement, les emmener à un rendez-vous, ou chez le médecin ».
Une aide parfois indispensable quand les transports en commun se font rares, et chers pour ces personnes particulièrement démunies.
Malgré sa capacité à repérer des abris de fortune à travers la végétation, elle reconnaît qu' »il y a une large population (de sans-abris) que l’on ne rencontre pas – ils vivent dans des granges, des cabanes, des fermes ou des tentes, dans des endroits où les gens ne vont jamais ». Elle espère simplement que leurs besoins essentiels les pousseront, un jour ou l’autre, à contacter son association, qui distribue des repas quotidiennement.
En dépit des difficultés de recensement, Terry Gore, le directeur général de Catching Lives, est catégorique: « le nombre de sans-abris est à la hausse depuis plusieurs années ». Officiellement, il a été multiplié par 2,5 en Angleterre entre 2010 et 2017, pour atteindre 4.751 personnes, dont 36 dans le district de Canterbury. Mais Terry Gore juge ces chiffres sous-évalués de moitié.
« Pénurie de logements »
« L’idée que le problème des sans-abris est avant tout urbain et non rural est en train de changer, parce que la pénurie de logements est la même à la campagne qu’à la ville », soutient-il.
De fait, le conseil de district de Canterbury traite chaque année un millier de demandes d’habitants craignant de perdre leur logement. Et 2.400 personnes figurent sur une liste d’attente pour obtenir une habitation.
Dans sa tente humide, Benny Clapp ne nourrit plus d’espoir de se voir attribuer une solution d’hébergement provisoire. Mais il prend son mal en patience. Un vieil ami ayant eu vent de sa situation lui a annoncé qu’il avait « de la place » pour lui, dans son logement à Liverpool (nord-ouest de l’Angleterre). Quatorze mois après le début de son errance, il attend le prochain versement de son allocation pour se payer le trajet en bus, et retrouver un toit.
Source: AFP