Les dirigeants israéliens ont fait depuis deux ans l’apologie de Donald Trump, du fait d’une série de décisions favorables pour leur pays, mais l’annonce par le président américain du retrait militaire en Syrie est loin de recueillir une telle approbation. Ils se garde toutefois de l’afficher ouvertement.
Cette décision surprise a suscité de l’inquiétude en Israël, qui redoute que l’Iran, son ennemi numéro un, n’ait désormais les mains plus libres pour renforcer sa présence en Syrie, pays voisin d’Israël, soulignent des analystes.
Officiellement, la réaction a été mesurée: les dirigeants israéliens, au premier rang desquels le Premier ministre Benjamin Netanyahu, ont affirmé respecter la décision de leur grand allié américain et se sont engagés à défendre plus que jamais les intérêts d’Israël en Syrie.
Ces déclarations publiques cachent toutefois mal la crainte que l’Iran puisse en profiter pour avancer ses pions en Syrie et que la Russie, acteur majeur en Syrie, ne s’engage pas à freiner cette expansion.
La manière dont cette décision a été prise et annoncée par M. Trump, et la démission fracassante du secrétaire à la Défense Jim Mattis, a également pu donner matière à réflexion.
« Nous voulons que les Etats-Unis soient forts dans la mesure où ce pays est notre principal allié et nous voulons que notre allié soit perçu comme fort et efficace dans la région », dit Eyal Zisser, recteur-adjoint de l’Université de Tel-Aviv, un spécialiste de la Syrie.
« Ce qui inquiète certains Israéliens c’est le message que transmet à la région cette décision, la manière dont elle a été prise, ce qu’il y a derrière », résume-t-il.
« Pont terrestre iranien »
Les Etats-Unis n’ont déployé que 2.000 militaires en Syrie. Mais ils étaient postés dans deux secteurs le long de la frontière irakienne, ce qui permettait aussi de contrôler les mouvements iraniens.
Le projet prêté à l’Iran de constituer un « pont terrestre » jusqu’à la Méditerranée a été évoqué à de multiples reprises par les responsables israéliens, et le retrait américain pourrait favoriser ce dessein, préviennent des experts.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a averti à de multiples reprises qu’il ne permettrait pas à l’Iran, allié du pouvoir syrien de s’implanter militairement en Syrie.
Ces dernières années, Israël a argué avoir mené des raids aériens contre ce qui a été présenté comme des objectifs militaires iraniens en Syrie ou des convois d’armes sophistiquées destinées au Hezbollah.
Avec le retrait américain, Israël pourrait miser davantage sur la Russie, qui soutient aussi le régime Assad, mais ce scénario n’est qu’une hypothèse.
Et les conséquences de la destruction par erreur, en septembre, d’un avion russe par la défense aérienne syrienne durant un raid israélien participe au flou autour d’un tel scénario.
Cet incident a suscité la colère de Moscou contre Israël et compliqué les activités aériennes israéliennes en Syrie. Il a amené la Russie à fournir des S-300, un système de défense aérien, à Damas.
Pour rassurer l’opinion israélienne, le Premier ministre, qui a construit une relation personnelle avec Donald Trump, a affirmé qu’il s’était entretenu préalablement avec le locataire de la Maison Blanche ainsi qu’avec le secrétaire d’Etat Mike Pompeo.
« La décision de retirer les 2.000 soldats américains de Syrie ne changera pas la cohérence de notre politique. (…) Si besoin, nous élargirons même nos actions là-bas », a-t-il clamé.
« Israël grand perdant »
Pour le général Eisenkot, chef d’état-major, le retrait américain constitue un « événement significatif », mais il « ne doit pas être surestimé ». « Nous gérons seuls ce front (syrien) depuis des décennies » a-t-il argué.
Yaakov Amidror, ancien conseiller pour la sécurité nationale de M. Netanyahu et ex-responsable des renseignements militaires, souligne ainsi que les forces américaines n’étaient pas impliquées dans les opérations israéliennes en Syrie.
Mais, selon lui, les inquiétudes sur la possibilité que l’Iran exploite ce retrait américain sont légitimes.
« Désormais, les Iraniens auront les mains libres et ils vont utiliser un corridor terrestre d’un point de vue logistique pour renforcer leurs capacités militaires en Syrie et aider ensuite le Hezbollah », prévoit-il.
Selon une analyse du Centre d’Etudes stratégiques et internationales, un groupe de réflexion américain, Israël est parmi « les plus grands perdants » avec les Kurdes, menacés par la Turquie.
Pour conforter la « ligne dure » de Benjamin Netanyahu envers Téhéran, la présence militaire américaine dans les régions kurdes était perçu comme un « atout majeur pour empêcher une prédominance iranienne en Irak et en Syrie », déclare à l’AFP Julien Théron, enseignant à SciencesPo et spécialisé sur le Moyen-Orient.
L’administration Trump étant sur une même ligne envers l’Iran, Israël n’avait « certainement pas misé sur un tel scénario ». Mais, quand bien même il a longuement milité contre, l’Etat hébreu, comme les autres alliés des Etats-Unis, n’a désormais d’autre choix que d’accompagner le retrait américain », poursuit-il.
Source: Avec AFP