La disparition du journaliste saoudien est arrivée comme un cheveu sur la soupe dans la relation spéciale entre Washington et Riyad. Mis en porte-à-faux, Trump a déjà menacé son allié saoudien d’un «châtiment sévère», mais joindra-t-il l’acte à la parole et quels leviers pourrait-il actionner si la responsabilité de Riyad était avérée?
Donald Trump fait peser une épée de Damoclès sur son allié saoudien. C’est du moins l’impression que le Président américain cherche à transmettre depuis que la disparition du journaliste saoudien Jamal Khashoggi a pris une dimension internationale. Critique du pouvoir saoudien, l’homme n’a plus donné signe de vie depuis son entrée le 2 octobre dans le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul et plusieurs éléments laissent supposer qu’il est aujourd’hui mort.
L’affaire a soulevé une vague d’inquiétude à travers le monde, Paris, Berlin et Londres réclamant dimanche l’ouverture d’une «enquête crédible». Le chef de la diplomatie britannique a menacé l’Arabie saoudite de «graves conséquences» en cas d’implication du royaume, ce que ce dernier dément.
Outre-Atlantique, un Donald Trump plus prudent et plus lent à réagir que d’habitude a lui-aussi fini par adopter un ton grave, menaçant publiquement son fidèle allié saoudien d’un «châtiment sévère» si celui-ci s’avérait effectivement responsable. Sauf que mettre en pratique cette menace sans miner les relations entre les deux pays qui sont extrêmement avantageuses pour les États-Unis pourrait s’avérer difficile voire périlleux…
Donald Trump pris entre deux feux
«Donald Trump louvoie, il s’était récemment rendu en visite en Arabie saoudite, ce qu’il présentait comme sa prouesse. Il y a en effet signé un contrat pour près de 100 milliards de dollars et il ne voudrait certainement pas renoncer à ce succès», a expliqué à Sputnik Iouri Rogoulev, directeur de la fondation Franklin D. Roosevelt pour les études américaines auprès de l’Université d’État de Moscou.
«Or, les États-Unis ne pourront pas rester complétement à l’écart», poursuit-il, rappelant que Jamal Khashoggi s’était exilé aux États-Unis en 2017 et travaillait dans un des plus grands journaux américains, The Washington Post. Des circonstances qui imposent à Washington une réaction, l’empêchant de fermer les yeux.
Dans ce contexte, Donald Trump a déjà laissé entendre qu’il ne lâcherait pas prise, excluant toutefois des répercussions économiques comme la limitation des ventes d’armes au royaume. Une option redoutable, mais qui serait sans doute trop sensible pour l’économie américaine alors que le slogan «America First» reste le fil conducteur de la ligne menée par la Maison-Blanche.
Des contrats pour plus d’un milliard de dollars, concernant notamment des missiles antichars, avaient déjà été approuvés fin mars au début de la visite du roi Mohammed ben Salmane, l’homme fort du royaume. S’ajoute à cela un nouveau contrat d’armement pour un montant de 1,31 milliard auquel l’administration américaine a donné son feu vert en avril dernier.
Un autre lien rattachant Washington à son allié saoudien est l’Iran. Épine dans le pied des États-Unis, la République islamique est également l’ennemi numéro un de l’Arabie saoudite. Et comme on le sait, rien ne renforce plus l’amitié qu’un ennemi commun.
«Châtiment sévère»
Mais s’il n’est pas question de toucher aux contrats d’armement conclus avec un pays qui demeure l’un des principaux belligérants dans la guerre ravageant le Yémen, reste-t-il encore à Trump des moyens pour infliger à Riyad ce «châtiment sévère» qu’il a évoqué?
«Il y a tout un tas d’aspects de la politique saoudienne qui suscitent l’inquiétude et sur lesquels les États-Unis ferment les yeux», observe Iouri Rogoulev avant de poursuivre: «Or, ces yeux pourraient se dessiller à un moment donné.»
L’américaniste évoque à cette occasion les «moyens barbares» utilisés par Riyad dans la guerre au Yémen, le problème des droits de l’Homme dans le royaume ainsi que la politique qu’il a adoptée au sein de l’OPEP par rapport aux prix du pétrole.
«Et ce sans aborder les moyens financiers de pression, car tout l’argent saoudien, public comme privé, est stocké dans les banques américaines», ajoute le politologue.
Affaire à suivre
Quelles mesures avaient donc en tête Donald Trump alors qu’il évoquait des «choses» «très puissantes, très fortes» en développant samedi l’hypothèse de sanctions contre Riyad? Difficile de dire. Mais une chose est claire, le Président américain n’est aucunement intéressé à gâcher les relations avec son ancien allié saoudien. Alors que rien n’est encore prouvé dans la disparition de Jamal Khashoggi, le locataire de la Maison-Blanche a abordé lundi ce sujet au téléphone avec le roi Salmane avant de dépêcher le secrétaire d’État Mike Pompeo à Riyad. L’affaire est donc à suivre…
Source: Sputnik