Alors que les relations entre la Russie et le tandem transatlantique formé par Londres et Washington se dégradent fortement à cause de l’ «affaire Skripal», le «consensus d’experts» entrevoit une confrontation longue et très ferme entre la Russie et les USA en Syrie.
Сertains experts pointent à juste titre un certain risque que les faucons de l’administration Trump insistent pour tenter malgré tout de renverser le Président syrien Bachar al-Assad avec l’armée américaine puisqu’il a été impossible de le faire par le biais de Daech. La situation médiatique donnait suffisamment de raisons de croire au scénario parfaitement plausible selon lequel l’ensemble des pays occidentaux préparait une nouvelle provocation liée à l’usage de l’arme chimique, cette fois dans la Ghouta orientale. Le mode opératoire était très simple et fiable: il s’agissait d’accuser l’armée syrienne d’avoir utilisé de nouveau l’arme chimique et ensuite, compte tenu du scandale et de l’hystérie autour de l’empoisonnement de Skripal, essayer d’accuser la Russie de fournir des armes chimiques au gouvernement d’al-Assad. Inutile de souligner l’absence de logique dans ces accusations, qui auraient tout de même créé un fond médiatique et politique idéal pour «justifier» la décision d’intervenir directement en Syrie.
Ceci n’est pas une conspiration et s’appuie sur la déclaration sèche du ministère russe de la Défense:
«Nous avons des informations fiables concernant la préparation, par les terroristes, d’une mise en scène de l’usage de l’arme chimique par les forces gouvernementales contre la population civile. A ces fins, dans plusieurs quartiers de la Ghouta orientale ont été transportés des femmes, des enfants et des personnes âgées venus d’autres quartiers qui devront jouer le rôle de victimes d’un incident chimique. Il y a déjà sur places des activistes des Casques blancs et des équipes de tournage avec des équipements de diffusion par satellite.»
«Washington compte lancer une frappe de missiles contre les quartiers gouvernementaux de Damas», a souligné le général Guerassimov.
Cependant, au lieu d’une escalade du conflit, Donald Trump a déclaré (à la surprise de toute l’élite politique américaine) que les USA «se retireraient bientôt de Syrie». Voice of America relate la position du Président américain sans enthousiasme: pendant son discours de jeudi dernier à Richfield, Ohio, le Président Trump a déclaré que «l’heure était venue pour les USA de quitter la Syrie».
«Que d’autres s’en occupent, a déclaré le Président des USA. Très bientôt nous quitterons ce pays. Nous reviendrons dans notre pays, là […] où nous voulons être.»
La déclaration inattendue de Trump a coïncidé avec sa décision d’allouer 200 millions de dollars à la «reconstruction de la Syrie» dans les zones contrôlées par des groupes pro-américains. Cette décision a été rapportée par l’agence de presse Reuters et par le quotidien The Wall Street Journal. Cela indique que le Président américain a réellement décidé de s’engager sur la voie du retrait de la présence américaine dans la région. Dans le champ médiatique russe, les déclarations de Donald Trump sont passées pratiquement inaperçues. Mais ses opposants politiques y ont réagi très durement.
Selon l’influent sénateur républicain Lindsey Graham, le retrait des forces américaines de Syrie «entraînerait le rétablissement des positions de Daech et renforcerait l’influence de l’Iran sur le gouvernement syrien à Damas». De plus, dans une interview à Fox News, le sénateur a déclaré que «ce serait la pire des décisions à prendre par le Président». L’une des principales publications soutenant le parti démocrate, The Washington Post, a été encore plus dure en publiant un article à la franchise louable intitulé «Nous avons pris le pétrole de Syrie, et maintenant Trump veut le donner à l’Iran».
L’accent mis par les critiques du Président sur l’«influence iranienne» est dû au fait que Trump cherche actuellement à faire échouer l’accord nucléaire avec l’Iran et à décréter de nouvelles sanctions contre Téhéran, tout en l’accusant de soutenir le terrorisme et de vouloir créer une arme nucléaire à part entière. C’est pourquoi les critiques visent l’aspect iranien: une telle approche pourrait infliger un préjudice maximal à Trump. Cependant, le magazine Newsweek a déjà noté le fait que la déclaration concernant le retrait prévu des forces avait été faite par le Président américain parallèlement à l’annonce du ministère russe des Affaires étrangères indiquant que l’opération antiterroriste en Syrie touchait à sa fin. Il faut donc s’attendre prochainement à des désinformations selon lesquelles Trump coordonnerait ses décisions sur la sortie des forces américaines avec le Kremlin. C’est pratiquement inévitable.
Sous nos yeux se déroule la capitulation officielle des USA en Syrie, sachant que selon la vieille tradition hollywoodienne cette capitulation sera présentée comme une victoire résolue, héroïque et incontestable des USA et du Président personnellement.
Très récemment, une telle ruse politique a été utilisée par Emmanuel Macron qui a attribué à la France la victoire sur Daech en Syrie en dépit de l’absurdité évidente d’une telle déclaration. Dans le cas de Trump, l’utilité politique fonctionne de la même manière. Dans le monde contemporain la réalité objective n’intéresse personne et du point de vue de nombreux politiciens, c’est l’image médiatique qui a son importance. Autrement dit, ce n’est pas le nombre de corps et de trophées qui détermine qui a gagné ou perdu une guerre concrète, mais le nombre de likes et de commentaires positifs sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, les partisans de Trump ont réagi très positivement à sa déclaration sur la Syrie, et ces réactions positives étaient essentiellement basées sur deux thèses très simples. Premièrement, une fois de plus «l’Amérique a vaincu tout le monde et c’est super: bien joué Trump». Et deuxièmement, puisque l’Amérique a vaincu tout le monde à nouveau, il faut cesser de dépenser de l’argent pour le Moyen-Orient et enfin le dépenser aux USA pour «rendre l’Amérique grande à nouveau».
Curieusement, l’image américaine officielle du monde à laquelle ont été habitués tous les électeurs et une grande partie de la communauté d’experts ne permet pas aux politiciens de douter publiquement du fait que l’«Amérique a vaincu tout le monde». En d’autres termes, même les critiques de Trump doivent déclarer que l’«Amérique a vaincu tout le monde, et à présent Trump tente de rendre les résultats de la victoire». On remarque facilement qu’une telle approche du débat social et politique ne peut pas être qualifiée de constructive ou d’utile, avant tout pour les USA eux-mêmes. Dans le même temps, cette approche est très bénéfique pour la Russie. Car la disposition de Washington à voir dans toute défaite une victoire résolue permet à l’élite politique américaine de «sauver la face» et ne lui donne pas l’impression d’être au pied du mur, ce qui réduit le risque d’actions émotionnelles irréfléchies de la part de la puissance nucléaire. Dans ces conditions, il existe un seul grand risque pour la Russie: une certaine partie de la société russe, de la classe médiatique et de l’intelligentsia créative pourrait sérieusement croire aux futurs blockbusters hollywoodiens montrant que les États-Unis ont gagné en Syrie alors que la «Russie autoritaire attardée» a subi une défaite honteuse.
Bien sûr, Trump pourrait également changer d’avis ou être forcé à le faire. Mais pour l’instant la situation en Syrie évolue dans un sens favorable à la Russie. Alors qu’il faut chercher la genèse de la décision de Trump non pas dans la situation politique aux USA, mais en Russie. La déclaration officielle du ministère russe de la Défense sur le fait qu’«en cas de menace pour la vie des militaires russes les forces armées russes prendraient des contremesures aussi bien contre les missiles que contre leurs vecteurs» a probablement fait pencher la balance au profit de la réticence de Trump à l’escalade du conflit et du passage au plan B — c’est-à-dire des campagnes de communication transmettant le message selon lequel les USA auraient déjà tout gagné en Syrie.
Cependant, dans cette capitulation ne ressort pas seulement le mérite des militaires russes, mais également de toute la société russe qui a clairement montré sa disposition à soutenir jusqu’au bout le Président et l’armée dans la protection et la promotion des intérêts nationaux russes. En l’absence de ce soutien, les Américains auraient parfaitement pu prendre le risque. Simplement dans l’espoir que le soutien de l’armée et du gouvernement russe s’effondrerait, et que la Syrie constituerait pour la Russie contemporaine la même catastrophe que l’intervention en Afghanistan pour l’URSS.
Pour comprendre toute l’importance du succès syrien de la Russie, il faut analyser la situation de l’extérieur. Depuis de nombreuses années, l’un des principaux thèmes évoqués par les spécialistes chinois de la Russie et de l’espace postsoviétique est celui de la dégradation et de l’effondrement de l’URSS. Des centaines d’articles, de monographies, de rapports et d’autres travaux scientifiques ont été écrits à ce sujet en Chine. Aussi vexant que cela puisse paraître, depuis presque 30 ans les spécialistes chinois de l’administration publique étudient sur l’exemple soviétique comment il ne faut pas diriger l’État, la société, la culture, l’économie et ainsi de suite. De plus, les collègues chinois ont étudié en profondeur les erreurs commises par l’URSS dans le contexte de l’opération en Afghanistan, notamment du point de vue économique, diplomatique et propagandiste. L’URSS était un exemple négatif marquant et démonstratif, et à présent les médias américains écrivent avec horreur que les experts chinois étudient l’expérience positive de l’intervention russe en Syrie. L’étude de l’Académie chinoise des sciences sociales indique que l’opération russe a eu une «utilité significative», a permis à la Russie de «reprendre l’initiative dans la lutte contre l’Occident» et de «briser l’hégémonie de l’Occident dans la région». Dans ce contexte, certains experts américains craignent que la Chine décide de reproduire l’approche russe dans sa confrontation avec les USA. Pour la première fois depuis 30 ans, il y a des choses à apprendre sur l’exemple de la Russie. Elle est revenue au premier plan de la géopolitique, et aucun discours victorieux du Président américain ne pourra rien y changer.
Source: Sputnik