Pékin et Riyad viennent d’organiser leurs premiers exercices antiterroristes conjoints. Cette coopération militaire peut sembler étonnante car elle réunit un adversaire géopolitique et un allié des États-Unis, mais les Chinois et les Saoudiens basent surtout leurs relations sur des liens économiques étroits.
Les exercices antiterroristes sont actuellement en vogue et constituent un maillon non négligeable de la grande politique, dans la mesure où la coopération militaire favorise les alliances commerciales de manière très efficace.
Ces dernières années, la Chine a organisé plusieurs manœuvres avec ses partenaires les plus proches au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS).
L’implication de Riyad dans ces nouvelles amitiés antiterroristes constitue donc une continuation logique de cet axe militaire et économique. « L’Arabie saoudite fournit son pétrole à la Chine depuis des dizaines d’années et reste l’un des leaders des exportations d’or noir sur le marché chinois », résume Evgueni Satanovski, président de l’Institut du Proche-Orient.
Les Chinois s’installent quant à eux sur le marché saoudien où ils construisent des réseaux ferroviaires, des entreprises industrielles, des sites de dessalement d’eau et des centres commerciaux titanesques.
L’importance de l’Arabie saoudite pour la Chine a été soulignée dans le cadre de la tournée proche-orientale de Xi Jinping en janvier dernier. Le leader chinois avait visité à l’époque trois pays: l’Arabie saoudite, l’Iran et l’Égypte.
La présence chinoise sur la péninsule arabique ne se limite pourtant pas à la coopération avec Riyad — la monarchie saoudienne n’est pas la seule à posséder des hydrocarbures. La Chine développe activement ses relations avec l’Iran, ennemi juré des Saoudiens, en suivant au Proche-Orient sa politique traditionnelle de « diplomatie pragmatique ».
Mais il est impossible de faire respecter et de protéger ses intérêts économiques ambitieux sans avoir garanti la sécurité dans la région.
D’après Pavel Kamennov, chef adjoint du Centre de recherches économiques et sociales, l’objectif principal des Chinois est de protéger les voies de transport maritime car leur dépendance pétrolière ne cesse de croître chaque année: aujourd’hui, le pays reçoit plus de 60% de son pétrole des pays d’Afrique et du Proche-Orient.
« Pékin a intérêt à coopérer avec tous ceux qui sont susceptibles d’influer réellement sur la situation dans le Golfe afin d’assurer la sécurité de ses bateaux-citernes. Il est donc peu étonnant que les Chinois aient organisé des exercices conjoints avec l’Arabie saoudite, l’un des acteurs principaux de la région, estime Andreï Karneev, directeur adjoint de l’Institut des pays d’Asie et d’Afrique.
Cela ne signifie pas pour autant que la Chine ait envie de se réorienter vers l’Arabie saoudite au détriment de ses relations avec l’Iran. Cela veut dire seulement que Pékin est prêt à développer des relations constructives avec tous les acteurs régionaux ».
La lutte contre le terrorisme fait partie de la politique de l’État chinois fixée dans la doctrine militaire du pays en 2015. Pékin veut combattre ce fléau par tous les moyens et partout sur la planète. Mais la Chine est-elle vraiment menacée par le terrorisme proche-oriental?
« La lutte contre le terrorisme est ici une sorte de légende, explique Semion Bagdassarov, directeur du Centre d’étude des pays du Proche-Orient et d’Asie centrale. La Chine fait bien face à des problèmes dans la Région autonome ouïgoure du Xinjiang, pendant que plusieurs milliers d’Ouïgours se trouvent actuellement au Proche-Orient et notamment au nord de la Syrie où ils combattent le gouvernement d’al-Assad, ce qui ne pose visiblement aucun problème aux Saoudiens ».
Ce fait ne semble pas non plus perturber les Chinois, même si une certaine inquiétude existe au sujet du retour éventuel des terroristes aguerris en Chine.
« L’Arabie saoudite finance et organise les terroristes, alors que la Chine les combat. Elles sont donc tout à fait complémentaires de ce point de vue », estime Evgueni Satanovski en analysant l’alliance antiterroriste de Pékin et de Riyad. Araïk Stepanian, secrétaire responsable de l’Académie des problèmes géopolitiques, fait remarquer que les Chinois ont décidé de jouer cette carte avec les Saoudiens pour « obtenir des lignes supplémentaires d’approvisionnement en pétrole ».
On ne sait pas jusqu’où la présence militaire chinoise au Proche-Orient va s’étendre. Dans tous les cas, l’apparition éventuelle de bases militaires chinoises en Arabie saoudite semble peu probable dans un avenir proche mais la Chine en serait capable techniquement.
« La Chine crée des bases militaires le long des océans Indien, Atlantique et Pacifique. Outre la mer de Chine méridionale il s’agit du Sri Lanka, du Bangladesh, du Gwadar pakistanais et de Djibouti dans la Corne de l’Afrique, ainsi que de bases sur le territoire du Mozambique, de l’Angola, de l’Afrique du sud, de la Namibie et de la Guinée », souligne Evgueni Satanovski.
Compte tenu d’une telle approche, large et universelle, la création d’une base chinoise au Proche-Orient semble tout à fait plausible. Elle nécessiterait pourtant des fonds supplémentaires — qui manquent aujourd’hui. Mais l’argent n’est pas ici le problème principal: les Américains n’apprécieront sans doute une telle initiative et les Chinois ne sont pas prêts à leur lancer un défi ouvert. Les Saoudiens seraient eux-aussi contre une telle aventure.
« Si les Saoudiens acceptaient la construction de bases chinoises, leurs jours seraient comptés », estime Konstantin Sivkov, membre correspondant de l’Académie des sciences de Russie. Comme ses importations pétrolières ne sont pas actuellement menacées directement, la Chine adopte une position prudente et se limite à la présence de ses conseillers militaires en Syrie.
Et les USA? Il est peu probable que Washington apprécie ce rapprochement entre Pékin et Riyad. L’Arabie saoudite le comprend parfaitement mais poursuit son jeu sans tenir compte des USA.
« L’Arabie saoudite suit ses propres impératifs, pas les besoins américains. Elle pourrait même attaquer les USA si nécessaire, comme le 11 septembre 2001, fait remarquer Evgueni Satanovski. En même temps, si les intérêts américains l’exigent, Washington pourrait sans problème trahir Riyad comme il l’a fait avec l’accord nucléaire iranien ».
La coopération militaire ostentatoire entre l’Arabie saoudite et la Chine s’explique dans une mesure importante par le mécontentement saoudien contre la décision de la Chambre des représentants du Congrès américain qui a adopté un projet de loi permettant aux familles des victimes des attentats du 11 septembre 2001 de porter plainte contre l’Arabie saoudite.
« Comme les Saoudiens sont mécontents de la politique américaine et d’un grand nombre de décisions, concernant notamment la possibilité de plaintes relatives aux événements du 11 septembre, ils tentent de montrer aux Américains qu’ils peuvent coopérer avec leur adversaire géopolitique », explique Semion Bagdassarov.
Toutefois, ce rapprochement entre les Saoudiens et les Chinois n’est pas seulement un « camouflet aux Américains »: il a un aspect positif permettant au royaume de différencier ses forces dans le domaine de la sécurité internationale et d’obtenir des atouts dans le jeu politique compliqué avec les pays du Golfe. Il est pourtant trop tôt pour parler d’une reconfiguration géopolitique de la région.
La Chine a encore une fois fait preuve du caractère diversifié de sa politique, alors que les Saoudiens ont montré la force de leur caractère aux Américains mais n’ont pas vraiment envie de changer leur orientation géopolitique dans un avenir proche. Quoi qu’il en soit, la Chine et l’Arabie saoudite envisagent d’organiser de nouveaux exercices antiterroristes en 2017.
Source: Sputnik