La lune de miel entre Donald Trump et le monde de l’entreprise s’est gâtée après la réaction jugée inadéquate du président américain aux violences de Charlottesville, qui a incité plusieurs grands patrons à quitter ses conseils économiques.
L’élection il y a neuf mois d’un homme d’affaires à la Maison Blanche avait suscité l’enthousiasme des dirigeants de grands groupes.
Mais quand le milliardaire a renvoyé dos à dos militants d’extrême droite et contre-manifestants après les affrontements ayant fait un mort samedi en Virginie, certains ont fait volte-face.
Et mardi, le président, qui la veille avait finalement dénoncé sous la pression les groupuscules racistes, a fait marche arrière en affirmant qu’à Charlottesville « il y avait des torts des deux côtés ».
Le patron du géant pharmaceutique Merck, Kenneth Frazier, qui est Noir, a pris la tête de la rébellion en claquant dès lundi la porte du Conseil pour l’industrie américaine.
Il a été rapidement suivi par Kevin Plank, PDG de l’équipementier sportif Under Armour, et par Brian Krzanich, PDG du géant des puces informatiques Intel.
Scott Paul, président de l’Alliance pour l’industrie américaine, leur a emboîté le pas mardi en expliquant simplement sur Twitter: « C’est la bonne chose à faire ».
« Je suspecte que d’autres patrons auraient voulu protester, en démissionnant ou en prenant publiquement position. Mais ils sont un peu coincés », estime l’économiste Joel Naroff.
« D’un côté, ils doivent maximiser le retour pour les actionnaires et, de l’autre côté, ils ne peuvent pas rester indifférents aux implications sociales de leurs décisions, ne serait-ce que pour leurs salariés », relève-t-il.
Peur des PDG ?
En janvier, plusieurs dirigeants ont dénoncé un décret controversé restreignant l’immigration aux Etats-Unis, dont les patrons d’Apple Tim Cook et de Google Sundar Pichai.
En juin, le médiatique fondateur du constructeur de voitures électriques Tesla, Elon Musk, et celui de Disney, Bob Iger, ont claqué la porte de différents cénacles conseillant le président américain après sa décision de quitter l’accord de Paris sur le climat.
Les départs annoncés depuis lundi prennent un tour un peu plus personnel.
Pour M. Frazier, les dirigeants américains doivent « honorer » les valeurs fondamentales du pays « en rejetant clairement les manifestations de haine, de sectarisme et toute revendication de suprématie qui nient l’idéal américain voulant que tous les hommes ont été créés égaux ».
Il est l’un des rares patrons noirs d’une grande entreprise américaine.
Le groupe Under Armour est basé à Baltimore, cité portuaire de l’est du pays en proie à des problèmes liés à la pauvreté et aux tensions raciales.
Kevin Plank y soutient de nombreux projets de réhabilitation.
« En démissionnant, ils rendent un groupe théoriquement non partisan encore plus partisan, ils perdent l’influence qu’ils auraient pu avoir », regrette Charles Elson, spécialiste de la gouvernance d’entreprise à l’université du Delaware. Ces départs ne devraient avoir, selon lui, aucune influence sur les décisions prises par la Maison Blanche.
« Aucun conseiller croyant sincèrement en la tradition américaine d’un gouvernement bi-partisan ne peut vraiment croire qu’il ou elle sert réellement à quelque chose » en siégeant aux côtés de M. Trump, considère Larry Summers, ancien secrétaire au Trésor de Bill Clinton.
« Ils devraient avoir honte d’apporter leur caution aux paroles et actes de Trump », écrit-il dans le Washington Post.
Le président n’a en tout cas pas apprécié ces camouflets.
« Pour chaque PDG qui quitte le Conseil, j’en ai plein qui veulent prendre leur place. Les beaux parleurs n’auraient pas dû venir. DES EMPLOIS! », a-t-il tweeté mardi matin.
« Ils ne prennent par leur travail sérieusement en ce qui concerne le pays », a-t-il insisté au cours d’une conférence de presse en avançant que « certaines des personnes qui vont partir le font par gêne, parce qu’ils fabriquent leurs produits à l’étranger ».
Il s’en était pris personnellement la veille à M. Frazier, estimant qu’il aurait ainsi « plus de temps pour se consacrer à réduire les prix totalement abusifs des médicaments ».
« Personne n’a pris sa défense », s’étonne M. Naroff. Les patrons américains « ne sont pas des timides, ils n’ont aucun problème à faire valoir leur point de vue. Ont-ils peur pour leurs entreprises, pour leur poste ? ».
Le patron de numéro un mondial de la distribution Wal-Mart a regretté que le président n’ait, dans un premier temps, « pas saisi l’opportunité cruciale de rassembler notre pays en rejetant sans équivoque les actions horribles des suprémacistes blancs ».
Mais Doug McMillon, qui siège au Forum stratégique et politique de M. Trump, a ajouté: « Nous pensons que nous devrions rester engagés pour essayer d’influencer les décisions de façon positive et d’aider à rassembler les gens ».
Source: AFP