Eclairage public inexistant, tas d’ordures, maisons inachevées… à quelques kilomètres du Centre spatial guyanais, dans le village Saramaca de Kourou, où un sit-in géant de protestation se tenait mardi, « la fusée décolle, mais nous on n’a pas de lumière », peste un habitant.
Ce n’est pas un hasard si le blocage d’un lancement d’Ariane 5 prévu le 20 mars pour lancer des satellites d’opérateurs brésilien et coréen constitue l’un des faits marquants de la mobilisation sociale qui agite depuis plusieurs jours ce territoire français d’Amérique du sud.
Mardi plusieurs milliers de manifestants ont convergé vers le centre spatial, d’où décollent les fusées européennes Ariane, pour affirmer leur « détermination » à obtenir les moyens financiers réclamés à l’Etat pour rattraper des décennies de sous-investissements.
Le collectif à l’origine de ce mouvement social inédit a fixé la barre à 2,5 milliards d’euros, mais le gouvernement n’a accepté qu’un milliard d’aides d’urgence.
Une trentaine de délégués de la manifestation, reçus à l’intérieur du centre par la direction, ont décidé d’occuper le site, symbole de la « fracture » guyanaise puisque l’Etat y investit d’importantes sommes alors qu’ailleurs en
Guyane les infrastructures manquent, expliquent des membres du collectif qui depuis plus de deux semaines porte des revendications sécuritaires, sanitaires et éducatives.
Lundi, Martin Marsi, 23 ans, le regard masqué par des lunettes à verres fumés, en fumant tranquillement assis sur un muret racontait son enfance « pas catastrophique » à Saramaca, un ancien bidonville réhabilité.
Dans « le village », les habitants louent les maisons qu’ils achèteront à terme, explique ce peintre. Toutes les bâtisses, mélange de bois et béton, coiffées d’un toit pointu, ont l’eau et l’électricité. Un réel progrès par rapport au bidonville du passé.
‘Pays sous-développé’
Mais les nids de poule ponctuent les routes. Des herbes hautes ont envahi les aires de jeu. Un panier de basket a été arraché sur le terrain de sports, où des adolescents jouent au foot. Et puis il y a ces lampadaires « qui ne fonctionnent pas depuis des années », se désole-t-il.
A Kourou, site internationalement reconnu, « dès qu’on ne travaille pas pour le centre spatial, on vit dans la misère », soupire Lason Koutou Agassi, qui vit avec sa femme et ses cinq enfants dans une maison de trois pièces, aux murs extérieurs non peints.
« Kourou, c’est une réussite politique, technologique et financière. C’est le fleuron de la technologie européenne », résume Youri Antoinette, un ingénieur du Centre national d’études spatiales et porte-parole du collectif à Kourou.
« Mais dès qu’on sort du centre spatial, on est dans un pays sous-développé ».
Alors que les images de fusée, symbole de progrès et de technologie dernier cri, sont omniprésentes dans Kourou, le « village », lui, n’est raccordé ni à internet ni au téléphone, souligne Lason Koutou Agassi.
Mais dans les quartiers où vivent les ingénieurs de l’aérospatiale, l’éclairage public fonctionne, les pelouses sont tondues. Des murs hauts entourent parfois les propriétés, « la police et une milice privée font des rondes régulières », note Atoune, 43 ans, rencontrée sur un barrage à l’entrée de la ville.
« On protège bien les experts », qui « vivent en vase clos », « on les traite bien », ironise-t-elle. « Et nous, on ne nous donne que ce qui reste » et « on doit vivre enfermés, barricadés », vitupère cette cadre hospitalière, dont la fille a été « agressée » devant la maison familiale, en plein jour, et dépouillée d’une chaîne en or, raconte-t-elle.
L’hôpital municipal de Kourou est également en plein marasme, à l’image d’un système de santé guyanais moribond, et les emplois se font rares.
Quand la Guyane, selon l’Institut national des statistiques (Insee) connaît un taux de chômage de 22%, « même les stages sont difficiles à trouver », déplore Gabrielle, une lycéenne du « village ». Qui reprend à son compte une récrimination du collectif : « Y’a la fusée qui décolle, et nous on reste ici ». Au sol.
Avec AFP