Opération de barbouzerie ou erreur de navigation? Selon la Défense vénézuélienne, le 22 juillet, un avion militaire américain a pénétré son espace aérien durant trois minutes. Maurice Lemoine, auteur de «Venezuela, Chronique d’une déstabilisation», y voit plutôt un moyen de pression contre Caracas en vue des négociations avec l’opposition.
Les États-Unis font une nouvelle fois parler d’eux au Venezuela.
Un communiqué diffusé le 23 juillet par l’armée locale a dénoncé la violation de son espace aérien la veille par un avion militaire américain, un acte qualifié de «flagrante provocation». Selon le ministre de la Défense, l’intrusion aérienne a eu lieu au nord-ouest de son territoire, à la frontière colombienne, durant «trois minutes», «parcourant 14 milles nautiques au-dessus de la zone la plus occidentale de la Sierra de Perija».
Un raid aérien qui serait intervenu dans le cadre d’exercices militaires conjoints entre les forces armées colombiennes et américaines.
Un coup de pression en faveur d’«un clan d’irréductibles»
Si un tel raid aérien «n’est ni légal ni surprenant», «c’est plus de la provocation et de la pression», estime Maurice Lemoine. Car l’auteur de Venezuela, Chronique d’une déstabilisation (Éd. Le Temps des Cerises) perçoit surtout la volonté de Washington de renforcer sa position avant les négociations avec l’opposition. «Ce sont les rapports de forces», déclare-t-il réaliste. Ce qui ne signifie évidement pas que cela soit «acceptable», estimant que Caracas a «toutes les raisons de protester». Ainsi, un dialogue entre Caracas et une majorité de l’opposition de droite devrait avoir lieu au mois d’août au Mexique «sous les auspices de la Norvège».
Le 22 juillet, le Président vénézuélien a indiqué une nouvelle fois à la télévision nationale être «prêt» à ces échanges, désireux de faire lever les sanctions contre son pays. Une condition que les États-Unis ne devraient «pas accepter», relève notre interlocuteur. S’il remarque un quasi-consensus au sein de l’opposition sur ce dialogue avec Maduro afin de participer aux élections régionales de novembre 2021, il resterait toutefois «un clan d’irréductibles», qui ne le souhaite pas. Des radicaux qui étaient justement en faveur des sanctions contre le pays pour essayer d’évincer Maduro du pouvoir. Il sera «difficile pour les États-Unis de les abandonner, parce que ce sont eux qui les ont portés. Ça revendrait à avouer à la face du monde qu’ils ont échoué et qu’ils se sont plantés.» C’est le cas de Juan Guaido, encore reconnu par Washington comme Président par intérim.
«Guaido subit une double pression, une pression des radicaux qui ne veulent évidemment pas de négociations qui veulent dégager Maduro, puis la pression de l’opposition de droite plus raisonnable, qui en a marre de ses clowneries.
En réalité, il n’existe plus. Il n’y a plus personne pour l’appuyer réellement. Même les US de Biden ont pris leurs distances, l’UE suit bien évidemment les USA, enfin le groupe de Lima –qui l’appuyait [Guaido] en Amérique latine– n’existe plus. Donc Guaido vit ses derniers jours de vedette américaine.»
Mais le spécialiste n’écarte pas un autre scénario, renforçant les soupçons d’une éventuelle opération. Car ce n’est pas la première fois que l’espace aérien vénézuélien est violé. Selon le communiqué de l’armée vénézuélienne, des avions américains l’ont fait à «vingt et une reprises» cette année.
Une intervention militaire en vue?
Ainsi Caracas affirme ne pas «écarter d’autres actions hostiles» portant atteinte à la «souveraineté» du pays et à son «intégrité territoriale». La Force armée nationale bolivarienne indique en outre, avoir reçu des ordres du Président, lui demandant de «répondre avec force à toute agression». Des moyens de riposte que l’ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique précise: «protester et prendre à témoin la communauté internationale. Puis, après, surveiller de très près». En outre, Venezuela ne serait pas forcément perdant dans le conflit qui l’oppose aux Etats-Unis. Ainsi, c’est «grâce à l’aide des Cubains et des Russes» que Caracas aurait «réussi à démanteler l’opération Gedeon».
En mai 2020, l’opération Gedeon, la principale tentative de changement de régime au Venezuela s’était ainsi soldée par un échec retentissant. Une soixantaine de paramilitaires déserteurs menés par des mercenaires américains avaient opéré un débarquement nocturne pour s’attaquer au gouvernement vénézuélien. Bilan de l’opération, huit insurgés tués et la capture des survivants, dont deux citoyens américains.
Évoquée par Maurice Lemoine, la présence de spécialistes russes est ainsi réglementée par un accord de coopération militaire datant de 2011. Selon l’attaché militaire de l’ambassade du Venezuela à Moscou, il s’agit de «de coopération technico-militaire». La porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, l’expliquait en mars 2019, déclarant que «la Russie ne change pas l’équilibre des forces dans la région, la Russie ne menace personne, contrairement aux citoyens de Washington». Ce qui avait fortement déplu aux États-Unis, le représentant spécial des USA pour le Venezuela, Elliott Abrams, promettant que «les Russes en paieront le prix». Face à une éventuelle escalade dans la région, le spécialiste de l’Amérique latine appelle donc à rester prudent:
«L’inquiétude est légitime, car la politique de Washington n’est pas toujours rationnelle. Il faut toujours se méfier de ces débordements. Les deux éléments à prendre en compte sont les récentes visites du chef du South Command à Bogota et du chef de la CIA. Mais s’il y a un danger, ce sont plus des opérations de type Gedeon qu’une intervention militaire massive […] Depuis la Colombie ou depuis le Brésil, c’est même toujours envisagé.»
Se référant aux visites de ces deux fonctionnaires américains, Nicolas Maduro s’était d’ailleurs ému de la possibilité d’un attentat américain visant sa personne, sans pour autant avancer de preuve.
Source: Sputnik