Le désistement de Saad Hariri 9 mois après sa désignation pour former un nouveau gouvernement était plutôt attendu, faute d’accord avec le président de la République Michel Aoun.
Deux jours avant qu’il ne présente sa dernière mouture pour le cabinet ministériel, M. Aoun avait fait savoir qu’il n’est pas question pour lui de renoncer à ses prérogatives dictées par la Constitution libanaise.
Sur sa page Twitter, ce dernier avait écrit : « quiconque critique le président de la république sur ses prérogatives dans la formation du gouvernement devrait lire attentivement le quatrième paragraphe de l’article 53 de la Constitution ».
Celle-ci stipule que le che de l’Etat s’entend avec le Premier ministre sur la sélection des membres du gouvernement, publie le décret pour sa formation et ceux acceptant la démission ou la révocation des ministres.
Or, dans aucune de ses sélections durant ces 9 mois, M. Hariri n’a suivi cette procédure qu’il avait toutefois respectée dans les diverses fois au cours desquelles il avait formé les gouvernements, depuis l’élection de M. Aoun.
Depuis son histoire tragique en Arabie saoudite, le comportement de Hariri a diamétralement changé. Jugé trop laxiste avec le Hezbollah, il avait été humilié par le prince héritier Mohamad ben Salman. Selon des sources, sa libération grâce à une médiation du président français Emmanuel Macron, n’a été possible qu’après qu’il a donné sa parole de satisfaire aux désirs du prince héritier.
Dans un premier temp, après son retour, il avait adopté avec la présidence et le parti de la résistance libanaise un comportement plutôt conciliant, tellement tous les deux s’étaient eorcés d’obtenir son relâchement.
Mais peu de temps après, c’est contre le président et le chef de son parti Courant patriotique libre (CPL), Gebrane Bassil qu’il s’est retourné. Surtout depuis sa nomination en août dernier, au lendemain de la catastrophe meurtrière du port de Beyrouth, après la démission de Hassan Diab. Celui-ci avait été nommé après son abdication, dans la foulée du mouvement de contestation qui avait éclaté au pays du Cèdre, à partir d’octobre 2019 et qui le rendait responsable, parmi d’autres, de la pire crise économique que le Liban aura connu depuis son indépendance. S’illustrant par le manque de devises étrangères, indispensables dans un pays qui importe presque tout de ses besoins, elle ne faisait que commencer.
A aucun moment, le Premier ministre désigné ne voulait parvenir à une entente avec le président sur les portefeuilles ministériels, au motif que leur sélection relevait de ses prérogatives constitutionnelles, l’accusant sans cesse de vouloir le tiers de blocage dans le gouvernement, et lui imputant la crise qui continuait de sévir. Depuis sa démission, la livre libanaise est passée de 7.000 à près de 20.000, en parité avec le dollar.
Cette fois-ci encore, le jeudi 15 juillet, il est passé outre de la formule décidée de concert avec le chef du Parlement Nabih Berri et l’aval du Hezbollah. Alors qu’ils s’étaient convenus de laisser au chef de l’Etat le soin de désigner les deux ministres chrétiens, il s’est accaparé leur nomination. Il a même opéré des changements dans la distribution des portefeuilles refusant toute contribution du président.
Pour des observateurs libanais, quand bien même un gouvernement aurait été formé, ce n’était que le début d’une série de désaccords. L’un d’entre eux est que le président insiste pour mettre au point un plan de sauvetage financier, passant par le juricomptable auquel la Banque du Liban devrait se soumettre, pour ensuite passer au nettoyage du pays de la corruption endémique qui le ronge et qui est l’un des causes de sa chute. On lui reproche de ne pas avoir tenu la promesse de sa campagne électorale de lutter contre la corruption.
Une revendication qui ne serait pas du gout ni de Hariri, ni d’autres forces politiques principales du pays, estime al-Akhbar, selon lequel ces dernières, de concert avec le gouverneur de la Banque du Liban refusent tout plan de sauvetage. Tant elles pourraient être lésées en premier.
« Il veulent surtout sauver les banques au détriment du peuple et surtout des plus défavorisés », insiste le journal libanais selon lequel Hariri ne voulait pas non plus assumer la responsabilité gouvernementale des réactions qui découleraient des décisions qui devraient être imposées. Dont la levée des subventions pour les produits de première nécessité, les médicaments et les hydrocarbures entre autres. Dans un contexte d’effondrement du pouvoir d’achat, elle ferait exploser toutes les rues.
Selon le journal, à aucun moment, M. Hariri n’a jamais voulu former de gouvernement.
« Il s’est enfui vers les élections » législatives, a titré ce journal dans son édition ce vendredi 16 juillet. Celles-ci devraient se dérouler en principe l’an prochain.
Les efforts internationaux, français et américains en particulier semblent favoriser cette option. Et le but serait de former une majorité parlementaire qui puisse être hostile au Hezbollah, toujours selon al-Akhbar.
Pour M. Hariri, la campagne électorale a d’ores et déjà été lancée, avec pour titre de tirer à boulets rouges contre le parti de la résistance en plus de celui du président.
Durant l’interview qu’il a réalisé le jeudi soir, après l’annonce de sa démission, avec la télévision libanaise al-Jadeed (New TV), il a accusé le Hezbollah d’avoir contribué à torpiller la formation du gouvernement en soutenant M.Aoun. Se contentant de remercier son allié, M.Berri. Il a rompu avec des mois d’accalmie de sa part. Contrairement aux membres de son parti.
« Il n’y a aucun contact avec le Hezbollah. Je laisserai au gens le soin de juger s’il a facilité et aidé à former le gouvernement », a-t-il dit.
S’adressant aux forces du 8-mars, et donc au Hezbollah implicitement, il a demandé de « cesser d’insulter l’Arabie saoudite et de lui envoyer des captagon ». Reprenant à son compte une accusation infondée sur l’implication du Hezbollah dans une contrebande de ces stupéfiants, dissimulés dans des grenadines exportées vers le royaume et qui avait été découverte depuis quelques mois.
Et il a demandé aussi de cesser de s’ingérer dans les affaires du Yémen. Une critique plus directe : le Hezbollah affiche son soutien infaillible à l’organisation houthie Ansarullah dans sa lutte contre les velléités hégémonistes saoudiennes dans ce pays en guerre depuis 2015.
« Le royaume saoudien n’a pas donné des armes au Liban, ni n’a réalisé de 7 mai », a-t-il objecté encore plus frontalement. Rappelant les évènements qui avaient éclaté dans la capitale libanaise lorsque l’ex-Premier ministre Fouad Siniora, du camp de Hariri, avait ordonné de confisquer le réseau de communication terrestre de la résistance.
L’Arabie saoudite « a donné au Liban la paix et elle ne lui veut que du bien, à l’instar des autres pays du Golfe. Mais ils ont un problème avec l’équipe qui s’appelle Hezbollah », a-t-il conclu sur ce dossier. Une initiative destinée selon les observateurs libanais à montrer qu’il tient sa parole, dans le but de concilier Riad, qui refuse de l’accueillir et dit ne pas soutenir sa candidature. Le rôle de l’Arabie au Liban, gardé jalousement dans la secret pour ne pas être taxée d’ingérence a été propulsé au devant de la scène par la visite au royaume des deux ambassadrices des USA et de France du Liban.
Et pour boucler la boucle, Hariri a même accusé le Hezbollah d’avoir entravé toutes les réformes que son équipe politique avait préconisées depuis les années 90 du siècle dernier, citant la TVA. C’est la prestance de son équipe qui est surtout mise en cause durant ces trois décennies qui ont suivi la fin de la guerre civile et au cours desquelles elle s’était accaparée le dossier économique.
Les observateurs constatent que lors de sa visite au palais présidentiel de Baabda, et pendant le point de presse durant lequel il a annoncé sa démission, il a lancé comme dernier mot : « que Dieu soit en aide pour ce pays »
Tout de suite après, la livre libanaise a chuté d’une façon vertigineuse, passant à 24 mille par rapport au dollar.
Des insurgés pro Hariri sont descendus dans les rues de Beyrouth et ont fait pleuvoir des pierres sur l’armée libanaise. Et les coupures de route dans plusieurs régions libanaises ont repris de plus fort.
Compte tenue du conseil donné par la Commission de Défense et de Sécurité du Parlement français, les plus pessimistes s’attendent à une intervention internationale, sous couverture humanitaire, pour prendre le pays en otage, lui imposer les dirigeants, neutraliser sa résistance, l’endetter encore plus sous la coupe du MI et de la banque mondiale… et piller entre autre ses richesses en hydrocarbures. Et finalement l’inclure dans le camp des pays qui normalisent avec l’ennemi israélien. Le scénario du pire, qui rappelle celuis de 1982. Curieusement, dans l’une de ses interventions, l’ambassadrice française avait parlé de cette année.
Mais le chef de l’Etat se veut plus rassurant: « Le Liban parviendra à surmonter ces circonstances difficiles qu’il traverse à tous les niveaux, parce que les évènements ont démontré que la volonté de vie chez les Libanais leur a permis de vaincre d’innombrable difficultés dans le passé . Rien ne devrait désespérer les Libanais, malgré la dureté de ce qu’ils endurent », a-t-il dit ce vendredi. Trop optimiste, dirait-on. Les Libanais n’ont d’autre choix que d’espérer. Il n’en sont pas à leur premier défi.
Source: Divers