Le Premier ministre sortant Hassan Diab a rejeté les dernières déclarations du gouverneur de la Banque du Liban de lever les subventions sur les denrées de première nécessité au Liban avertissant que cela causerait un énorme préjudice aux Libanais.
Le Liban traverse l’une de ses pires crises économiques depuis sa création. Elle est causée par les politiques économiques et financières des gouvernements qui ont dirigé le pays depuis la fin de la guerre civile. En plus de l’adoption d’un système économique rentier et non productif, le pays du cèdre est gangrené par la corruption, le clientélisme, le partage sectaire, la dilapidation de l’argent public.
La livre libanaise a été dramatiquement dévaluée perdant beaucoup de sa valeur.
Lors d’un discours prononcé ce vendredi 9 octobre, M Diab a décortiqué devant Libanais les maux du système libanais qui ont causé cet effondrement.
Voici ci-dessous son discours intégral.
« Quelques jours nous séparent de l’anniversaire du soulèvement du 17 octobre contre les politiques qui ont été adoptées pendant des décennies et qui ont provoqué le grave effondrement du pays à différents niveaux, monétaires, financiers, économiques, sociaux et de subsistance. Nous devons donc faire une pause et réfléchir au moment solennel que vivent le Liban et les Libanais. Il faut donc un réveil qui éveille les consciences et les responsabilités restantes et qui brise le cercle vicieux auquel nous assistons.
La responsabilité nationale exige que tous les hommes politiques, quel que soit leur poste de direction, leur parti, s’élèvent au niveau de l’anxiété qui hante l’esprit et le cœur des Libanais. Ils doivent sentir les larmes de peur et de tristesse versées par les Libanais; ils doivent être conscients que la tolérance des Libanais à la douleur s’affaiblit en raison des contraintes de la vie et des pressions sociales au quotidien; ils doivent tenir compte du fait que les Libanais sont à bout de patience, et que le soulèvement du 17 octobre 2019 a été un signal d’alarme, alors que le prochain soulèvement sera une révolution à part entière, en termes de composition, de performance et de responsabilité.
Le Liban est aujourd’hui à une étape cruciale de son histoire et les Libanais traversent une période difficile. En effet, les tensions politiques, les calculs sectaires, ainsi que les intérêts partisans, factionnels et personnels l’emportent toujours sur le sort de la patrie et les préoccupations des Libanais qui payent aujourd’hui le prix de ces politiques vieilles de plusieurs décennies, qui ont ouvert grande la porte à la corruption, laquelle a renforcé son emprise sur l’État.
Malheureusement, le concept d’État au Liban est discrétionnaire; il est sujet à une interprétation changeante en fonction des besoins et des intérêts mesquins. Il n’existe aucun concept permanent qui intègre l’idée d’un État fort, juste, gardien et soucieux des intérêts de tous ses citoyens, quelles que soient leurs affiliations.
Par conséquent, ces interprétations du concept d’État ont soumis la qualité d’État à des critères qui servent les différents calculs et le favoritisme. Ainsi, l’emploi est sous-tendu par des calculs mesquins; l’affiliation dicte principalement les profils de recrutement dans les administrations de l’État, et la valeur et les normes de compétence, d’intégrité et de transparence ont dégénéré.
Tout cela a entraîné la transformation des administrations de l’État en fédérations politiques, confessionnelles, sectaires, partisanes ou personnelles, qui ont servi d’ombrelle de protection au système corrompu et ont entretenu les pratiques de corruption. La responsabilité a donc été fondée sur la règle du « 6-6 bis », qui a constamment favorisé la corruption et fourni un refuge pratique aux corrompus et à ceux qui les protègent.
La situation actuelle exige de chacun un sursaut de conscience. Nous devons tous nous élever au-dessus des gains immédiats, transcender les tensions politiques et faire passer l’intérêt national et l’intérêt du peuple avant les intérêts personnels. La jeunesse libanaise cherche la possibilité d’immigrer n’importe où dans le monde, en quête de sécurité et de stabilité, dont les dernières caractéristiques s’estompent au Liban. Les bateaux de la mort des migrants donnent une indication sérieuse de l’état de désespoir dans lequel se trouve le peuple libanais, qui a perdu tout espoir dans sa capacité à apporter le changement qui lui permettrait de réunir les critères minimums pour des moyens de subsistance décents.
En outre, d’aucuns défendent l’idée de lever les subventions sur les médicaments, la farine, les denrées alimentaires et le carburant.
La tendance de la Banque du Liban (BDL) à lever les subventions est inacceptable à l’heure actuelle, car les Libanais sont aux prises avec de graves pressions sociales et de subsistance; le pouvoir d’achat a été fortement érodé en raison de l’effondrement monétaire résultant des politiques financières précédentes qui ont épuisé les ressources du pays, appauvri les Libanais et causé ces énormes déficits dans les finances de l’État, de la BDL et des dépôts du peuple libanais.
Que personne ne s’adonne à des surenchères portant sur notre préoccupation pour les réserves de la BDL, car c’est nous qui avons pris la décision historique de ne plus payer la dette; si nous avions payé les Eurobonds cette année, qui s’élevaient à près de 5 milliards de dollars, les réserves seraient passées de 22,5 milliards de dollars à 17,5 milliards de dollars, et la levée des subventions sur les médicaments, les denrées alimentaires, la farine et le carburant, telle que préconisée par la BDL aujourd’hui, aurait été mise en œuvre depuis mars dernier.
Les dépenses relatives à l’importation des médicaments, des denrées alimentaires, de la farine et du carburant se sont élevées à environ 4 milliards de dollars, depuis le début de cette année jusqu’à aujourd’hui, et elles pourraient atteindre, d’ici la fin de cette année, l’équivalent des échéances de la dette de cette année, que nous avons refusé de payer, outre le fait que ce montant est inférieur à la facture annuelle habituelle d’environ 7 milliards de dollars.
La BDL, ainsi que tous ceux qui soutiennent ou couvrent une telle décision, portent la responsabilité de toute mesure prise en faveur de la levée des subventions ; en effet, une telle mesure entraînera une explosion sociale aux conséquences désastreuses. Par conséquent, la poursuite des subventions sera beaucoup moins préjudiciable que les pertes qui résulteraient d’une décision subjective de lever les subventions. Nous aurions souhaité que la BDL soit alertée des politiques financières qui ont conduit à l’impasse dans laquelle se trouve le pays. Nous aurions souhaité que la BDL prenne une seule décision au cours des dernières décennies pour arrêter la trajectoire descendante, et qu’elle cesse de soutenir le financement des politiques des gouvernements successifs qui ont causé cet effondrement financier, social et des moyens de subsistance. Nous aurions souhaité que la BDL réduise le financement des politiques de gaspillage au sein de l’État, à travers l’utilisation des fonds des déposants qui auraient dû être protégés. Si la BDL n’a pas pu résister aux pressions politiques des gouvernements successifs dans le passé, il serait inconcevable aujourd’hui d’intimider le peuple libanais en supprimant les subventions et en le privant ainsi de pain et de médicaments.
Nous le disons haut et fort: nous sommes contre la levée des subventions sur les médicaments, la farine, les denrées alimentaires et le carburant à l’heure actuelle. Oui, il est possible, au vu de la situation financière actuelle, de rationaliser les subventions au profit des personnes qui en ont vraiment besoin; cependant, je préviens que la levée des subventions aura des conséquences désastreuses pour les Libanais et le pays. Nous disons haut et fort que les dépôts du peuple libanais doivent lui être restitués; c’est la responsabilité des trois parties concernées: les banques, la BDL et l’État. Le gouvernement a établi une feuille de route pour la restitution des fonds des déposants, et cela devrait être une priorité pour le prochain gouvernement.
Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre plus de temps; nous ne pouvons plus tolérer les chamailleries politiques, les pratiques vexatoires et vengeresses, ainsi que les conditions onéreuses réciproques.
Lorsque le gouvernement actuel est entré en fonction, il y a eu un effondrement continu, en termes économiques et financiers, qui a poussé les Libanais dans la rue et renversé le gouvernement précédent. Puis a sévi la pandémie du coronavirus, qui a drainé une large part de nos moyens financiers et a accru la pression sur une économie déjà épuisée. Après cela, l’explosion dévastatrice du port de Beyrouth s’est produite.
Le gouvernement actuel n’a pas manqué d’assumer ses responsabilités, même après sa démission; il a pleinement œuvré en vue d’expédier les affaires courantes, dans le cadre de tous ses pouvoirs constitutionnels, car il travaille dans un esprit de responsabilité nationale, surtout à la lumière des circonstances difficiles que traverse le pays.
Nous devons aujourd’hui, deux mois après la démission du gouvernement, œuvrer en faveur de la formation d’un gouvernement actif, capable de relever les grands défis auxquels le Liban et les Libanais sont confrontés, et ce le plus rapidement possible. En fait, le pays ne peut pas attendre deux mois de plus. Ainsi, tout en espérant que les consultations parlementaires contraignantes qui se tiendront le 15 octobre porteront leurs fruits, je souhaite bonne chance au Premier ministre désigné et je l’appelle à accélérer la formation d’un gouvernement; il n’est pas admissible que le Liban reste aux prises avec ses crises, en attendant les prochaines élections dans tel ou tel pays.
De plus, il est urgent de former un gouvernement pour faire face aux répercussions de l’explosion du port de Beyrouth, en assurant le suivi des enquêtes en cours pour tenir responsables les coupables, et la reconstruction de tout ce qui a été détruit. Le gouvernement actuel a décidé d’indemniser les personnes touchées; nous avons mis en place un mécanisme, qui sera bientôt déployé, pour la mise en œuvre progressive de cette décision.
Je lance un appel sincère en faveur du rétablissement de l’initiative lancée par le président français Emmanuel Macron, qui se concentre sur des réformes qui convergent largement avec le programme de réformes que notre gouvernement a mis en place depuis sa formation.
Ces faits confirment que le Liban a besoin d’un gouvernement actif MAINTENANT.
Nous avons déployé tous les efforts possibles pour mettre le processus de réforme sur les rails; nous avons même déclenché le sifflet du train et nous avons réalisé certaines réformes, car nous pensons qu’il n’est pas possible de faire passer le Liban de sa réalité actuelle basée sur le partage de l’État entre les forces politiques, à un État unitaire au service de tous ses citoyens, sans une stratégie fixe qui envisage le Liban comme une nation où tous les citoyens ont des droits et des devoirs égaux, devant l’État et la justice. Ladite stratégie formulera donc une vision claire de l’identité du système politique qui assure la stabilité nationale, protège toutes les composantes et rassure tous les citoyens sur le fait que l’État est la seule référence à invoquer.
Je suis convaincu que les Libanais façonneront leur avenir à travers leur solide détermination; ils préserveront leur patrie grâce à leur ferme appartenance; ils protégeront l’unité du Liban avec leurs liens solides; et ils écriront une histoire honorable pour les générations à venir.
Les Libanais sont un peuple qui aime la vie, et ils ne manqueraient pas de protéger le Liban, pour eux-mêmes, leurs enfants, leurs petits-enfants et les générations à venir.
Que Dieu protège le Liban du mal des envieux!
Que Dieu protège le Liban contre les traqueurs rancuniers!
Que Dieu protège le Liban !
Vive le Liban ! »
Source: Avec ANI