Alors que les démocrates dévoilent les nombreuses façons dont l’administration Trump a été redevable à l’Arabie Saoudite, le rôle de Kushner est particulièrement troublant.
Le rôle de Jared Kushner est particulièrement troublant car, en tant que gendre et conseiller principal du président, il a cultivé et renforcé la relation entre Trump et le prince héritier Muhammad Bin Salman. L’amitié Kushner-Prince Mohammad ben Salmane est aujourd’hui au cœur des relations entre les États-Unis et les Saoudiens, et c’est l’une des raisons pour lesquelles Trump a essayé de protéger le prince héritier du blâme face au meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi.
Trump et Kushner, tous deux habitués à des transactions immobilières obscures, se sont rapidement adaptés au système clientéliste de l’Arabie Saoudite: soutien indéfectible de l’administration Trump en échange de la promesse de ventes d’armes et autres transactions commerciales.
Le projet de vente de centrales nucléaires à l’Arabie Saoudite a débuté fin 2016, pendant la transition présidentielle, lorsqu’un groupe de généraux américains à la retraite et de responsables de la sécurité nationale se sont réunis autour de Flynn, premier conseiller de Trump pour la sécurité nationale. Même après le licenciement de Flynn en Février 2017, d’autres responsables de la Maison-Blanche ont relancé le plan, malgré les objections des avocats de l’administration qui craignaient que la proposition ne viole les lois américaines visant à stopper la prolifération nucléaire. Par conséquent, l’idée est toujours «vivante » : M. Trump a rencontré le mois dernier les PDG de plusieurs sociétés privées d’énergie nucléaire qui lui ont demandé de les aider à construire des centrales électriques au Moyen-Orient.
Bien que l’attention se soit surtout portée sur le rôle de M. Flynn, M. Kushner est mêlé à plusieurs conflits d’intérêts concernant le projet saoudien, selon le rapport de 24 pages du comité de surveillance et de réforme de la Chambre. L’un des bénéficiaires potentiels d’une transaction nucléaire saoudienne est Westinghouse Electric, qui appartient à une filiale de Brookfield Asset Management, une société immobilière qui a récemment renfloué Kushner et la société de sa famille dans leur malheureuse acquisition, pour 1,8 milliards de dollars, d’une tour à bureaux au 666 Cinquième Avenue à Manhattan.
L’alliance entre Kushner et le prince Muhammad a des conséquences sur la politique américaine : Le mois dernier, M. Trump n’a pas tenu compte de la date limite pour soumettre un rapport au Congrès sur la question de savoir si le prince héritier était personnellement responsable du meurtre et du démembrement de Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul, comme l’ont conclu les services secrets américains. Mais comme les précédentes tentatives de Trump pour protéger le prince du blâme face au meurtre de Khashoggi, celle-ci se retournera contre lui. En défendant si fermement le prince Muhammad, Trump a aggravé la crise et a favorisé une réaction plus dure encore au Congrès.
Peu après l’élection de Trump, le prince héritier saoudien et ses conseillers ont ciblé Kushner comme leur porte d’entrée dans le cercle restreint de Trump. Ils ont réalisé que Kushner était vulnérable en raison de ses relations d’affaires, de sa méconnaissance du Moyen-Orient et de son empressement à négocier un accord de paix entre Israël et les Palestiniens. Le « cercle restreint de Trump est principalement composé de négociateurs qui ne connaissent pas les coutumes politiques et les institutions profondes, et qui soutiennent Jared Kushner », a écrit une délégation de responsables saoudiens envoyée aux États-Unis par le prince Muhammad en novembre 2016 dans une présentation qui a ensuite été publiée par le journal libanais Al Akhbar.
Les Saoudiens ont « accroché » Kushner depuis cette visite. Et en mars 2017, celui-ci a organisé un déjeuner officiel à la Maison Blanche pour Trump et le prince Mohammad , qui a été reçu tel un chef d’État. Kushner a ensuite convaincu Trump de faire de l’Arabie Saoudite la première étape de son premier voyage à l’étranger en tant que président en mai 2017. À ce moment-là, les Saoudiens se sont rendus compte que Trump avait « soif de flatterie et de respect », et ils lui ont réservé un accueil extravagant avec de multiples banquets et démonstrations de fidélité. Il n’est pas surprenant que le prince Mohammad se vantera plus tard, selon INTERCEPTION, que Kushner était « dans sa poche » et avait fourni des informations sur ses rivaux dans la famille royale saoudienne.
Kushner a particulièrement été vulnérable en raison de l’achat par sa famille de la tour située au 666 Cinquième Avenue en 2007, au plus fort du marché immobilier qui s’est effondré un an plus tard. Au cours des deux dernières années, Kushner Companies a négocié un plan de sauvetage de la propriété avec des investisseurs de Chine et du Qatar, qui avaient des liens étroits avec les deux gouvernements. Mais ces transactions se sont effondrées alors que les investisseurs s’inquiétaient de l’examen minutieux supplémentaire généré sous le contrôle de Kushner à la Maison-Blanche.
Au printemps dernier (2018), Kushner Companies a conclu une entente de principe avec Brookfield Asset Management, l’une des plus importantes sociétés immobilières au monde, pour un bail de 99 ans sur la tour à bureaux en difficulté. Au moment même où la branche immobilière de Brookfield concluait son entente avec les Kushner, une autre unité de Brookfield annonçait l’achat de Westinghouse Electric, une société de services nucléaires en faillite qui faisait partie du consortium en vue de construire des centrales électriques en Arabie Saoudite, au coût de 4,6 milliards de dollars.
Cet achat devait être approuvé par l’administration Trump : il était soumis à l’examen du Committee on Foreign Investment (Comité des Investissements Etrangers) aux États-Unis, qui comprend de hauts fonctionnaires de neuf organismes gouvernementaux américains. L’opération devait être approuvée par les États-Unis parce que Brookfield, dont le siège social est situé au Canada, est une société étrangère qui cherche à acheter une entreprise américaine de l’industrie nucléaire. Par le passé, le comité exigeait de certaines sociétés étrangères qu’elles abandonnent ou qu’elles apportent des changements à leurs projets de transaction. Mais la prise de contrôle de Westinghouse Electric par Brookfield a été approuvée et la transaction a été conclue le 1er août.
Le 3 août 2018, l’unité des biens immobiliers de Brookfield a annoncé qu’elle avait conclu son entente avec Kushner Companies et qu’elle paierait d’avance le loyer pour la totalité du bail de 99 ans, à savoir un versement d’environ 1,1 G$ qui aiderait les Kushner à rembourser une grande partie des 1,4 G$ de prêts hypothécaires échéant en février 2019. Sans un accord, ces paiements hypothécaires imminents auraient pu forcer les Kushner à vendre la tour de la Cinquième Avenue à perte.
Il n’est pas étonnant de s’interroger sur l’influence des intérêts commerciaux de Kushner dans l’approbation par les États-Unis de l’acquisition d’une société nucléaire par Brookfield. Mais ces conflits soulignent toute l’approche de l’administration Trump à l’égard de l’Arabie Saoudite et de ses alliés. De part son soutien aveugle au prince héritier imprudent, M. Trump a renoncé à prétendre désormais que l’alliance Américano-Saoudienne n’est qu’un arrangement transactionnel fondé sur le pétrole, les ventes d’armes et certains intérêts de sécurité perçus.
Le 16 Octobre 2018, le même jour où le secrétaire d’État, Mike Pompeo, est arrivé à Riyad pour rencontrer le roi et le prince héritier Saoudien au sujet du sort de Khashoggi, des responsables Saoudiens ont déposé 100 millions de dollars de fonds qui avaient été promis au gouvernement Trump en août pour aider à stabiliser certaines parties de la Syrie libérées de l’État Islamique. Les diplomates américains ne savaient pas à quel moment l’argent arriverait, jusqu’à ce qu’il apparaisse soudainement dans les comptes américains.
Le « timing » des fonds était un signal à Trump dans le langage de négociation qu’il comprend le mieux à savoir que le royaume continuerait à honorer ses promesses financières et ses engagements commerciaux envers les États-Unis si Trump coopère dans la crise précipitée par le meurtre de Khashoggi. Les dirigeants saoudiens ont fait savoir à Trump et à Kushner qu’eux aussi attachent de l’importance à la loyauté familiale et aux intérêts financiers avant toute chose.
Par Mohamad Bazzi : Professeur de journalisme à l’Université de New York et ancien chef du bureau du Moyen-Orient à Newsday.
Sources : The Guardian ; Traduit par Actuarabe