Le positionnement de la France dans la crise vénézuélienne pose plusieurs questions. Constitue-t-il un alignement sur celui de Washington ? Est-il constructif ? Légal ? Reflète-t-il une position majoritaire sur la scène internationale ?
Au lendemain de l’auto-proclamation de Juan Guaido comme président par intérim du Venezuela, Emmanuel Macron a tenu, dans un message en français et en espagnol diffusé via Twitter le 24 janvier, à montrer son soutien à l’opposition : «Depuis l’élection illégitime de Nicolas Maduro en mai 2018, l’Europe soutient la restauration de la démocratie. Je salue le courage des centaines de milliers de vénézuéliens qui marchent pour leur liberté», a-t-il écrit.
L’Espagne s’est rapidement agacée de la réaction d’Emmanuel Macron. Interrogé au sujet de la position de l’Espagne, juste après la diffusion de ce tweet, le ministre espagnol des Affaires étrangères Josep Borrell a expliqué devant la presse à Madrid : «Qu’est-ce que cette position ajoute à la déclaration d’hier ?», qu’avait déjà exprimée, au nom des 28 Etats membres, la Haute représentante de l’UE, Federica Mogherini. «Si certains veulent tenir le premier rôle, qu’ils le fassent», a-t-il ironisé. «Que voulez-vous ? Que nous disions la même chose ?», s’est-il agacé, avant d’ajouter : «Nous pouvons tous faire les intéressants en répétant la même chose.»
La réaction espagnole vient rappeler la difficulté, pour l’Union européenne, de concrétiser sa volonté de parler d’une seule voix. D’autant que cette voix ne se distingue pas foncièrement de celle des Etats-Unis. Invité sur le plateau de RT France à réagir quelques heures après le discours de l’opposant pro-américain, l’ambassadeur du Venezuela en France affirmait que Washington appuierait selon lui «n’importe quelle action de l’opposition» afin de déstabiliser le pays.
Force est de constater que la position française met en effet l’accent sur un soutien de l’opposition, davantage que sur une opposition absolue à Nicolas Maduro. Le 25 janvier, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, appelait «fermement» Nicolas Maduro à «s’interdire toute forme de répression de l’opposition, tout usage de la violence contre des manifestants pacifiques.»
Le chef de la diplomatie française a ajouté que Paris apportait son «plein soutien» à l’Assemblée nationale vénézuélienne et à son président, deux institutions dont l’ambassadeur du Venezuela rappelait pourtant qu’elles avaient été «mises à l’écart par la Cour suprême de justice», que les opposants à Nicolas Maduro accusent eux-mêmes d’être aux ordres du gouvernement.
La position française n’est pas réellement surprenante. La France avait déjà, notamment par la voix de l’Union européenne, critiqué «des obstacles majeurs à la participation des partis politiques de l’opposition et de leurs dirigeants», ainsi que «de nombreuses irrégularités signalées le jour du scrutin, y compris l’achat de votes», après la réélection de Nicolas Maduro en mai 2018.
C’est ce que souligne Rafael Correa, ancien président de l’Equateur et proche des chavistes, qui rappelle que les Etats soutenant l’initiative de Juan Guaido avaient déjà appelé à un changement de régime au Venezuela, bien avant la tentative de renversement de Nicolas Maduro. Ils ne se préoccupent pas, selon lui, des formalités légales, mais uniquement de leurs propres intérêts. «Ils évitent de recourir à [des actions] militaires, aux assassinats ou aux enlèvements pour le moment, car ils n’en ont pas besoin. Mais on ne peut exclure qu’ils puissent recourir à de telles méthodes», a-t-il prévenu.
Pour l’instant, la France est encore loin d’évoquer une action militaire au Venezuela. Elle semble au contraire privilégier la voix diplomatique. Mais la mise en cause par Emmanuel Macron de la «légitimité» de l’élection de Nicolas Maduro est déjà considérée comme abusive, notamment par Jean-Luc Mélenchon, l’un des rares à avoir officiellement apporté son soutien au président du Venezuela. Il a ainsi qualifié l’entreprise de Juan Guaido de «tentative de coup d’Etat en violation de tous les principes admis jusque là dans le monde après une élection».
Le secrétaire national du Parti communiste français (PCF), Fabien Roussel, a également réagi au message publié par Emmanuel Macron sur la situation au Venezuela, estimant que le chef de l’Etat français soutenait «un putsch». Et de dénoncer ce qu’il voit comme une forme d’hypocrisie, au vu de la situation en France : «Lui qui est si contesté, élu par 24% des Français, rejeté par 75% au bout de 18 mois et qui subit une révolte sociale qui demande sa destitution ?!»
Les soutiens du gouvernement vénézuélien sur la scène politique française sont minoritaires ; comme sont d’ailleurs minoritaires les soutiens à la tentative de renversement de Nicolas Maduro sur la scène internationale. C’est ce que rappelle d’ailleurs l’écrivain et journaliste Romain Migus. «La grande majorité des pays dans le monde a déjà reconnu Nicolas Maduro comme président légitime», souligne-t-il, rappelant en outre que seuls quelques Etats sur les 193 siégeant à l’ONU ont reconnu Juan Guaido.
«Dès l’instant où Moscou, Pékin, l’Inde, le Pakistan, la Turquie, l’Iran et d’autres grandes nations reconnaissent le président Maduro et lui ont apporté leur soutien, la situation n’est pas la même», précise-t-il. De quoi nuancer l’importance de la position adoptée par Paris.
Source: RT