Le président de la République, Michel Aoun, a reçu ce mercredi le corps diplomatique et a donné lecture à un mot.
Voici le texte intégral du mot du chef de l’Etat :
Excellence Monseigneur Joseph Spiteri, doyen du corps diplomatique au Liban,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les Représentants des Missions Diplomatiques accréditées au Liban,
En ce début de nouvelle année que nous espérons porteuse de paix et de prospérité pour le monde entier, je vous souhaite la bienvenue au Palais présidentiel et vous adresse mes meilleurs vœux, ainsi qu’à votre pays, votre peuple, tout comme vos familles et vos assistants. Je vous remercie, également, pour vos vœux chaleureux et les paroles adressées en votre nom par le doyen du corps diplomatique au Liban, Son Excellence Monseigneur Joseph Spiteri ; ses propos sont empreints d’une connaissance profonde du Liban et d’une grande estime à l’égard du peuple libanais et de ses sacrifices qui nous fait honneur.
Excellences,
Depuis près de 17 ans, une guerre internationale a été lancée sous le label « combattre le terrorisme et instaurer la démocratie et la liberté « . Des peuples de notre région, touchés par ces slogans, y ont pris part d’une manière ou d’une autre. Et au fil des ans, cette guerre s’est élargie enflammant plusieurs pays du Moyen Orient, provoquant leur implosion et entrainant des répercussions dans toutes les directions.
Aujourd’hui, ces peuples qui ont payé le prix fort sont en droit de demander si le printemps a fleuri dans leurs sociétés et leurs pays. Et si le monde est devenu plus juste et plus libre.
Bien au contraire, le terrorisme s’est malheureusement étendu pour se propager sur les cinq continents menant à des guerres mobiles, provoquant des séismes déstabilisateurs qui ont touché de nombreux pays. Outre le nombre important de victimes, d’handicapés et de déplacés, des sociétés entières se sont disloquées au sein d’une même nation, la coexistence entre des communautés habituées à vivre ensemble a été ébranlée, une atmosphère de divergence et de haine a émergé, de même que sont apparues des fractures profondes très difficiles à colmater dans le proche avenir.
Réfugiés syriens
Quant à la justice promise et la liberté tant proclamée, où les rechercher aujourd’hui ?
Est-ce dans la perte de Jérusalem ? Ou bien dans l’escroquerie du siècle qui spoliera les Palestiniens de leur terre et de leur identité ?
Est-ce dans les camps de réfugiés syriens que la communauté internationale veut perpétuer ? Ou dans le nouvel exil des peuples et la transformation démographique ?
Est-ce au Liban qui lutte de toutes ses forces pour conserver sa raison d’être ? Ou chez les peuples dont on décide le sort et l’avenir ?
Pourquoi tout cela, et au nom de quoi ? Voilà ce que les peuples qui ont payé le prix fort sont en droit de dire.
Excellences, Monseigneur Spiteri,
Oui, le Liban fait partie des Etats qui ont porté et continuent à porter le plus lourd des fardeaux, que ce soit au niveau des retombées négatives des guerres avoisinantes tout comme du flux des déplacés syriens.
Nous avons certes pu libérer notre territoire du terrorisme, en éradiquer la plupart des cellules dormantes et instaurer la sécurité. Cependant la quantité impressionnante de déplacés que le Liban a accueilli -et vous en êtes témoins- est un poids très lourd qui pèse sur notre système économique, sécuritaire, social, éducatif et hospitalier.
Le Liban: un pays d’immigration et non d’implantation
La superficie de notre pays, son infrastructure et ses ressources limitées ne peuvent supporter une telle croissance démographique devenue menaçante pour notre société. Le Liban est un pays d’immigration et non un pays d’implantation. Il n’est pas non plus un marché de travail ouvert. D’ailleurs, ses fils qui ont dû s’éparpiller à travers le monde en quête de meilleures opportunités, en sont une preuve tangible.
A cela s’ajoutent les conditions difficiles dans lesquelles vivent les déplacés dans les camps, alors qu’ils peuvent retourner dans leur pays en toute dignité et participer à sa reconstruction, vu que la guerre a cessé et que la vie a repris son cours normal dans la plupart des villes.
La prise de position de la communauté internationale ne semble, cependant, pas claire en ce qui concerne le retour des déplacés. Bien au contraire, ce qui transparait de l’attitude des organisations internationales est loin d’être rassurant. Que ce soit à travers les tentatives de lier leur retour à une solution politique qui pourrait prendre des années, voir des décennies ou d’évoquer un retour volontaire plutôt que d’encourager leur retour suscitant l’inquiétude. Sans oublier, plus récemment, l’appel à garder les déplacés là où ils se trouvent et leur assurer un emploi !
Des règlements obscurs
Où est la sagesse dans tout cela ?
Nous craignons que cette insistance à garder les déplacés au Liban ne soit un plan pour faire fuir un maximum de Libanais afin de faciliter les règlements obscurs qui se profilent à l’horizon.
Comment pourrait il être autrement alors que nous ne cessons de répéter dans les instances internationales et devant toutes les missions diplomatiques le tort que cela fait à notre pays à tous les niveaux, notamment économique et sécuritaire et d’expliquer les raisons valables de notre refus à les garder plus longtemps.
Là, une question se pose : Est-ce que le Liban est voué à payer le prix de la paix dans cette région de la même manière qu’il a déjà payé le prix de ses guerres ?
Conspiration du siècle
Excellences,
Sur un autre plan, pourtant pas si différent, apparaît aujourd’hui sur le devant de la scène la conspiration du siècle, à savoir le sort que l’on réserve à Jérusalem. Cette affaire coïncide avec des pressions israéliennes incessantes sur le Liban, que ce soit à travers les violations continues de la résolution 1701, de la souveraineté territoriale, maritime ou aérienne. Mon pays subit 150 violations mensuelles en moyenne, ou à travers les allégations, accusations et menaces en tout genre. Et malgré tout cela, on reste engagé à l’application de la résolution 1701 et à la préservation de la sécurité et de la stabilité au Liban Sud.
Les menaces israéliennes, leurs pressions incessantes, les pseudo règlements obscurs avec tout ce qu’ils cachent de pans secrets, de même que le fait de porter atteinte à l’identité plurielle de la Terre Sainte avec l’adoption de Jérusalem comme capitale d’Israël et la proclamation de sa judaïsation, sont autant de signes alarmants qui sont loin de mettre fin au guerres en cours, mais plutôt attisent le feu de nouvelles guerres, de nouveaux exils et d’une nouvelle purification ethnique.
Jérusalem, cette ville qui recèle le patrimoine des religions monothéistes, ne peut être isolée ou interdite. Bien au contraire, Jérusalem ou » Ourachalim » qui signifie » ville de la paix » ou » terre de la paix » porte bien son nom. Ce qui la protège ne sont ni ses murs, ni ses remparts. Tout au long de l’histoire, depuis l’époque du Roi Salomon jusqu’à nos jours, ils l’ont entourée mais point protégée.
Pour réellement instaurer la paix, il ne faut ni murs, ni remparts qui isolent, ni chars ni avions de combat qui détruisent et tuent. Tout cela ne constitue nullement les fondements de la paix.
Excellences,
Je profite de cette occasion pour m’adresser, à travers vous, à la communauté internationale que vous représentez. J’insiste à dire que la paix -si la paix est réellement le but- ne peut être établie à l’heure où des marchés sont conclus au détriment des réfugiés chassés de leur terre et spoliés de leur identité, la paix ne peut être établie en sapant les droits légitimes des peuples, la paix ne peut être établie en manipulant la démographie et en changeant l’aspect géographique et sociologique d’un Etat. La paix ne peut être établie en se basant sur le racisme et le rejet de l’Autre.
La véritable paix ne peut être établie sans justice, ni respect des droits des peuples, les petits avant les grands, les pauvres avant les riches et les faibles avant les puissants. C’est justement pour garantir les droits de ces peuples que les instances internationales ont été créées, c’est du moins ce que stipulent leur Charte. Ainsi, toute solution qui ne prend pas cette logique en considération est vouée à l’échec avant même le début de son application.
La paix est établie sur la reconnaissance des droits (aussi coûteux qu’ils soient) et l’acceptation de l’Autre (aussi différent qu’il soit). Si elle n’est pas juste, elle restera lettre morte. Si elle ne peut être appliquée par le peuple, elle ne sera pas durable.
Excellences,
Le Liban passe par une période difficile au niveau interne et souffre des répercussions de la question des déplacés. En tant que président de la République, je déploie tous les efforts pour préserver les grandes orientations nationales qui protègent notre nation depuis des décennies, sauvegardent sa structure, son régime démocratique et l’esprit de coexistence entre ses fils.
L’essence de la démocratie libanaise se trouve dans le consensus. Partant de là, nous œuvrons en vue de réaliser un consensus large et complet afin de former le gouvernement en concertation avec le PM désigné. Les expériences antérieures ont prouvé que ce processus nécessitait du temps et de longs pourparlers car il ne se faisait pas sur des bases et des critères clairs. Toutefois, à présent, après l’adoption du système électoral de la proportionnelle, la formation du gouvernement n’aurait pas du traîner en longueur si on avait adopté d’emblée les critères de représentation justes et précis issus des résultats des élections et qui permettent de trancher en cas de conflit. D’autant plus que les pressions qui nous entourent, les crises et défis internes que nous vivons notamment au niveau économique, ne permettent plus de tergiverser ou de préférer ses propres intérêts au détriment de ceux de la nation et du peuple.
Aujourd’hui, à l’heure où le monde est prêt à se tenir à nos côtés, j’exhorte toutes les parties à assumer leurs responsabilités pour être à la hauteur des défis colossaux qu’il nous faut affronter ensemble. Redresser notre pays pour qu’il occupe la place qu’il mérite au niveau régional et international. Lancer sans hésitation la renaissance du Liban que méritent nos enfants, qui sont notre présent et les garants de l’avenir.
Excellences,
En cette nouvelle année, je réitère mes vœux à vous, vos pays et vos peuples, en espérant que 2019 apportera à tous la paix et la prospérité. Bonne année
Source: Avec ANI