Les liens qui unissent le Royaume saoudien et les Etats-Unis d’Amérique sont incarnés par une protection tutélaire qui a fait du Royaume depuis la fin de la seconde guerre mondiale un protectorat de Washington, même si cette tutelle américaine n’a pas été officiellement consacrée comme le Protectorat d’Aden, sous tutelle britannique jusqu’en 1967, ou le Soudan anglo-égyptien jusqu’en 1956.
La nationalisation n’a pas mis fin à la dépendance du Royaume envers son protecteur américain, loin de là
Chacun sait que cette relation est basée sur le pétrole. Les sociétés américaines ont contrôlé le pétrole du Royaume depuis son extraction à grande échelle à la veille de la seconde guerre mondiale, jusqu’à la nationalisation du secteur pétrolier dans les années 70. Cette nationalisation n’a pas mis fin à la dépendance du Royaume envers son protecteur américain, loin de là. Il y a juste eu une modification des conditions d’exploitation de la richesse pétrolière : le taux de rente pétrolière du Royaume a augmenté aux dépens des sociétés américaines sans que le bénéfice général apporté par le Royaume aux Etats-Unis ni la tutelle ne diminuent ; d’autant que la révolution islamique iranienne à la fin des années 70 a renforcé la dépendance sécuritaire de Riyad envers Washington.
La fonction pétrolière du Royaume pour Washington s’est ensuite diversifiée. S’il est vrai que les bénéfices des entreprises américaines tirés de l’exploitation directe du pétrole du Royaume ont diminué après la nationalisation, les profits de l’Etat tutélaire tirés de la rentre pétrolière du Royaume ont augmenté avec la croissance de cette rente, dont une grande partie va aux Etats-Unis sous diverses formes : l’achat d’armes américaines par le Royaume, son financement de la présence américaine au Moyen-Orient, les gros contrats accordés aux entreprises américaines par le Royaume, notamment celles du bâtiment, et l’achat de bons du Trésor américains avec les capitaux saoudiens, etc…
Riyad peut influencer les prix mondiaux du pétrole comme aucun autre Etat
L’Arabie saoudite remplit une fonction pétrolière décisive pour l’hégémonie mondiale américaine : Riyad peut influencer les prix mondiaux du pétrole comme aucun autre Etat, en raison de ses réserves considérables et du fait qu’elle soit un des premiers exportateurs de pétrole au monde. L’Arabie saoudite est aussi le plus riche des grands exportateurs en ce qui concerne le revenu pétrolier par habitant. Toutes ces données permettent à l’Arabie saoudite de faire preuve d’une grande souplesse pour supporter la baisse des prix du pétrole suite à l’augmentation des exportations, ou baisser les exportations pour faire monter les prix.
Cette fonction cruciale est ignorée par ceux qui se concentrent sur la relance du gaz de schiste. Ils en déduisent que le Royaume n’a plus d’importance pour les Etats-Unis. Comme si son importance avait un jour reposé sur les importations de pétrole saoudien aux Etats-Unis. La vérité est que les Etats-Unis ont toujours moins misés sur le pétrole du Golfe que leurs concurrents économiques et/ou politiques que sont l’Europe occidentale, le Japon et la Chine. Il s’agit là d’un facteur majeur dans l’importance stratégique du Royaume pour Washington : les Etats-Unis supervisent l’exportation du pétrole par le Royaume et ses voisins du Golfe. Ils possèdent ainsi un moyen de pression majeur sur leurs concurrents cités précédemment, que cette pression soit économique, militaire ou stratégique en ce qui concerne la Chine. Ainsi, la montée considérable des prix du pétrole suite à la guerre arabo-israélienne de 1973, que beaucoup ont pris pour une révolte de l’Arabie saoudite face à son protecteur américain, a permis aux sociétés pétrolières américaines de combler les pertes causées par la nationalisation et d’augmenter la production pétrolière aux Etats-Unis après un coup d’arrêt suite à la baisse des prix. Tout cela a renforcé la compétitivité de l’économie américaine face à l’Europe et au Japon. Sans parler du fait que la fortune accumulée par Riyad a largement profité aux Etats-Unis, avec le renforcement du rôle politique de leur protectorat saoudien dans le monde arabe et dans le monde entier.
La confrontation entre les Etats-Unis et l’Iran
Ces dernières années, nous avons assisté à un chapitre très important du contrôle par Washington des exportations saoudiennes de pétrole : celui de la confrontation entre les Etats-Unis et l’Iran. On sait que Riyad a joué un rôle décisif dans la chute des prix du pétrole il y a quatre ans. La plupart des commentateurs ont alors interprété cette baisse comme une guerre de l’Arabie contre le gaz de schiste américain. Comme si le Royaume ne savait pas que cette technologie se développait rapidement et qu’on ne pouvait la stopper en baissant les prix ! De plus, quelle naïveté de croire que l’Arabie saoudite puisse se révolter contre sa puissance tutélaire !
La vérité est que le Royaume a fait baisser les prix à partir de 2014 pour l’administration Obama, qui voulait augmenter la pression sur l’Iran et l’étrangler économiquement afin qu’il accepte les conditions américaines dans le dossier nucléaire en négociation. Il faut ajouter que la baisse des prix du pétrole a dynamisé l’économie américaine dans son ensemble, même si les producteurs de gaz de schiste en ont pâti : ils ne représentent qu’un secteur secondaire de l’économie du pays. Téhéran a bien compris cela et a alors accusé Riyad de lui livrer une « guerre du pétrole », par l’intermédiaire de son Président Hassan Rohani.
D’ailleurs, le Royaume a diminué ses exportations de pétrole et les prix sont repartis à la hausse après la conclusion de l’accord nucléaire entre Washington et Téhéran.
On comprend alors pourquoi l’Arabie saoudite a augmenté ses exportations suite à la sortie de Donald Trump de l’accord nucléaire et au retour des pressions. Malgré l’embargo et l’escalade imposés à l’Iran, Trump a pris la précaution de ne pas faire exploser les prix du pétrole pour ne pas impacter l’économie américaine, sur laquelle il concentre sa présidence. Il a laissé plusieurs mois aux importateurs de pétrole iranien pour trouver d’autres fournisseurs et a demandé au protectorat saoudien d’augmenter sa production et ses exportations afin que les prix diminuent. Trump a d’ailleurs fièrement déclaré que cette baisse des prix était un bénéfice apporté par ce protectorat, dont il s’est servi pour fermer les yeux sur la responsabilité du Prince héritier Mohammed Ben Salman dans l’assassinat de Jamal Khashoggi. (…)
Par Gilbert Achcar, écrivain et chercheur libanais
Sources : Al-Quds al-Arabi ; traduit par Actuarabe