La dérision et le mépris du président américain Donald Trump pour les dirigeants du Golfe ont suscité l’indignation de nombreux observateurs et politiciens, contrairement à quelques intellectuels qui considèrent que l’homme traduit l’évaluation américaine réelle de pouvoirs qui n’ont pas été à la hauteur des États et qui fonctionnent sous la protection américaine totale depuis les années 1940.
Alors pourquoi cet étonnement ? Et pourquoi les Américains exposent-ils leurs « inféodés » ?
La surprise n’est pas dans la représentation américaine, mais dans son passage au niveau public et médiatique, sachant que la situation dans les États du Golfe est le produit naturel des relations américano-occidentales ininterrompues avec les familles régnantes du Golfe, qui ont formé un véritable mur militaire pour empêcher toute action hostile, qu’elle vienne de l’intérieur ou de l’extérieur, contre ces pays.
Le problème réside donc dans le cynisme américain public et sa transition vers un niveau sans précédent de menaces, à la manière du cow-boy qui attaque ses ennemis et ne ménage pas ses amis.
Pour être précis, il faut reconnaître que les bouffonneries trumpiennes ne sont pas seulement une nouveauté pour l’opinion publique, mais également dans le changement de la méthode historique pour engloutir l’argent du Golfe.
Les entreprises américaines, ainsi qu’une petite partie des entreprises occidentales, en prenaient déjà possession en inventant des accords dont la plupart ne répondaient pas aux besoins fondamentaux des pays consommateurs et de leurs armées.
Il suffit de regarder ce que le journal français Le Monde a publié il y a quelques années à propos des armes en Arabie Saoudite, qu’elles sont de la « ferraille qui rouille sous le soleil brûlant » et qu’elles sont inutilisables.
Ce vol « codifié » s’effectuait par l’imposition de prix prohibitifs et l’écoulement de biens et de marchandises invendus ou à la limite de la péremption. En plus, il faut compter l’aide du Golfe à des pays pauvres, ayant besoin de fonds et d’assistance, pour qu’ils restent dans la sphère d’influence américaine. Les oboles les sauvaient tout en permettant à la géopolitique étasunienne de continuer à les dominer sous la forme de déploiement ou d’installation de bases militaires.
La troisième méthode est celle des pots-de-vin et des dessous-de-table qui sont encore distribués aux politiciens des quatre coins du monde, surtout aux Américains selon des listes établies, à ce jour, par les services de renseignements américains. Il y a aussi des partis occidentaux et américains qui reçoivent de l’argent arabe sous forme de subventions, en particulier lors de leurs élections internes, ainsi que des centres d’études et des médias liés aux services de renseignement.
Ces institutions couvrent encore le sous-développement du Golfe, à tel point qu’elles dépeignent la danse du sabre, ou la course de chameaux, ou le choix de la plus belle chamelle, ou encore le roi Salman qui veille sur les pèlerins à la Mecque à partir de son palais, comme le summum du fonctionnement démocratique dans des pays développés.
Ceux qui observent le flux de la distribution mondiale de l’argent du pétrole du Golfe se rendent immédiatement compte de son accompagnement et peut-être même son anticipation des politiques coloniales américaines dans leur extension sous forme de bases militaires et d’hégémonies militaires, culturelles et économiques.
Si les ordres américains sont strictement exécutés dans le Golfe, pourquoi alors cette ironie trumpienne ?
Elle a deux impératifs, « Nécessité n’a point de loi ». Le premier est que l’empire américain, qui repose essentiellement sur ses fondements militaire et économique, vit une période où son rôle se réduit.
La Chine se prépare à occuper une position économique parallèle à celle des Etats-Unis, et cela n’est possible qu’en dévorant des parts de l’économie américaine mondiale.
Les Russes ont, quant à eux, consolidé une politique militariste de parité avec les Américains, commençant à revenir dans les zones d’influence de leur grand prédécesseur l’Union Soviétique et se dirigeant vers la préparation des marchés à l’ère du gaz, dont ils sont les premiers producteurs et détenteurs des plus grandes réserves. Ils cherchent à s’enraciner dans ses zones de production afin d’en contrôler les prix, et vendent des armes afin de regagner leur participation aux décisions internationales.
C’est ce qui inquiète les Américains pour la prochaine période, et ils veulent s’assurer des fonds supplémentaires très rapidement pour pousser les Russes et la Chine vers une course aux armements et des luttes territoriales régionales allant de la mer de Chine au Proche-Orient, afin d’épuiser ainsi les capacités chinoises et russes tout en assurant une solidité américaine avec l’argent du Golfe.
Le problème est que le Golfe est prêt à payer, comme d’habitude, mais doucement et avec des mécanismes qui ne conduisent pas à sa faillite. Trump ne peut pas attendre, car son empire régresse d’une façon réelle et préoccupante.
Les justifications de Trump peuvent nécessiter de raisons supplémentaires pour hâter le soulagement des dirigeants du Golfe de l’essentiel de leur richesse comptée en trillions, comme disent les Américains.
Trump n’a pas été en mesure d’affirmer sa présence en tant que président américain prestigieux, et a porté ombrage à la position du Parti républicain dont il est issu pour devenir président. Ses adversaires du Parti démocrate ont pu lui porter diverses accusations, comme l’utilisation d’experts russes pour influencer l’élection présidentielle qu’il a remportée, les viols et abus sexuels dans le passé, l’évasion fiscale, la fraude et les malversations ainsi que l’escroquerie de l’Etat.
Trump consacre donc l’essentiel de son temps à se procurer des ressources supplémentaires pour réduire les dépenses des classes moyenne et populaire, obtenant ainsi leur soutien et donc leurs voix, en particulier lors des élections de mi-mandat du mois prochain, qui pourraient le conduire à assurer un nouveau mandat présidentiel.
Il reste deux points : le premier est que Trump pourrait, par son arrogance, fâcher les pays du Golfe qui sortiraient de l’influence américaine ; le second tend à explorer le profilage américain réel de ces pays.
Trump et les spécialistes américains savent que le Golfe n’a pas d’échappatoire au parapluie américain. Il est concerné par la protection étasunienne depuis le traité de Quincy conclu en 1945 entre le président américain Roosevelt et le fondateur de l’actuelle Arabie saoudite, Abdelaziz. Cela signifie que les concurrents internationaux n’osent pas s’aventurer sur les lignes stratégiques américaines, sans parler des dizaines de bases terrestres, maritimes et aériennes des États-Unis qui peuvent enrayer toute mesure nationale qui ne répond pas à leur politique dans ces pays. Ces bases sont disséminées depuis Oman, en passant par les frontières irako-turques, et jusqu’à la Syrie orientale et en Jordanie.
Quant au profilage des pays du Golfe, les Américains savent très bien que ce sont des pouvoirs faibles, car non fondés sur le soutien populaire. Ce ne sont que des mécanismes tribaux dictatoriaux qui extraient le pétrole, en distribuent un peu à leurs peuples pour les faire taire, et le reste est partagé avec les Américains et les Occidentaux.
Ils se moquent en affirmant que ces pays sommeillent en dehors de l’histoire et n’ont pas entendu parler ni de démocratie ni d’élections, puisque le pouvoir judiciaire s’exerce par décision orale qui convient aux autorités dans l’unique but de maintenir leur stabilité.
Certains universitaires américains pensent que les dirigeants du Golfe sont une continuité du Moyen Age et n’expriment pas la foi islamique qui repose sur la consultation (choura).
Lorsqu’ils se sont rendus auprès de l’ancien président américain Obama pour accuser l’Iran de déstabiliser leurs régimes, ne leur a-t-il pas dit : « votre problème réside dans dans vos régimes autocratiques hostiles à vos peuples, allez changer vos régimes vers la démocratie et vous gagnerez des forces » ?
C’est ce dont Trump profite en ridiculisant les dirigeants du Golfe, parce qu’il est conscient de la limite de leurs réactions et de leurs peurs face à leurs peuples, ainsi que des bouleversements régionaux accélérés.
C’est ce que les observateurs notent de leur silence sur les menaces de Trump, de ses moqueries et de ses tentatives d’extorsion permanentes.
Trump a-t-il menti dans leur description ? Non …. Au regard de la profonde position américaine à l’égard des dirigeants du Golfe, les relations entre les Etats-Unis et le Golfe, vont-elles évoluer vers le pire ?
Pas dans un proche avenir, tant que l’intérêt des dirigeants du Golfe consiste à se blottir derrière le cow-boy pour pérenniser leurs règnes dictatoriaux tyranniques.
Par Dr Wafik Ibrahim : professeur universitaire et analyste politique libanais
Sources : le quotidien libanais al-binaa ; traduit par Rania Tahar ; Réseau international; revu par notre rédaction.