En refusant la défaite stratégique dont les dernières lignes s’écrivent, en particulier sur les scènes irakienne et syrienne, l’Amérique s’est engagée dans un plan complexe qui, s’il réussit, permettra d’atténuer les impacts de la défaite et d’empêcher le vainqueur dans les deux pays d’investir dans ses réalisations.
En Irak, le plan est de contrôler la formation du gouvernement, et en Syrie, contrôler particulièrement la région d’Idlib et empêcher sa libération pour éviter que la Syrie ne se consacre à l’action politique qui rétablit la sécurité et une paix globale dans tout le pays et permet la sortie de tout occupant, y compris les occupants américains et turcs.
Parce que sa politique agressive à l’égard de la région échoue, en particulier en Syrie et en Irak, l’Amérique s’est concentrée sur ces deux pays, considérant qu’un retour effectif en Irak couperait le lien de l’axe de la résistance d’est en ouest et lui permettrait de prendre le contrôle d’une réserve pétrolière mondiale que l’Occident a longtemps rêvé de posséder.
En Syrie, l’Amérique considère que la poursuite de la guerre, conformément à son concept de « pérennisation du conflit », est une occasion inestimable dont elle a désespérément besoin pour imposer ce qu’il est convenu d’appeler « le deal du siècle » visant à liquider la cause palestinienne et à consacrer l’existence d’Israël, son rôle et son influence dans toute la région arabe, à commencer par le Golfe.
En Irak, l’Amérique a trouvé l’ouverture appropriée en passant par la porte de la formation d’un gouvernement, après les élections législatives dont elle a estimé que les résultats lui permettaient d’intervenir et d’exercer un contrôle sur l’ensemble du gouvernement, tant que la formation du bloc dont sera issu le Premier ministre peut être négociable ; la réunion de 165 députés pour former le bloc majoritaire nécessite en effet la coalition d’au moins 5 blocs majeurs ayant remporté les meilleurs résultats lors des élections, le plus grand compte 54 députés et le plus petit 14 députés.
C’est pour exploiter cet espace que l’Amérique a nommé un émissaire en Irak, dont la mission principale est de former le plus grand bloc pro-saoudien et américain et qui puisse être hostile à l’axe de la résistance. Les USA volaient aussi mettre en œuvre une politique définie en Irak qui lui garantit une colonisation masquée, en révisant l’accord-cadre stratégique signé entre l’Irak et les États-Unis, et dénoncé alors par l’ex-Premier ministre Nouri al-Maliki . Celui-ci avait alors refusé d’accorder aux Américains tout avantage affectant la souveraineté, l’indépendance de l’Irak et son droit exclusif de contrôler son ciel et sa richesse, pétrolière essentiellement.
C’est ainsi que l’Amérique a trouvé en Haider al-Abadi, l’actuel Premier ministre, son Père Noël, surtout après qu’il ait affiché son antagonisme à l’Iran et exprimé sa volonté d’acquiescer les exigences américaines et saoudiennes. Elle a mobilisé les forces nécessaires pour lui permettre de reprendre le pouvoir pour un nouveau mandat de Premier Ministre irakien, lequel en véritable gouvernant détient de larges prérogatives en matière de politique, d’administration, de forces armées et même de justice.
Durant les dernières semaines, elle a pu constituer un bloc soutenant Abadi et comprenant près de 150 députés, mais il lui manquait quelques votes pour atteindre les 165. Le tout en veillant à écarter les candidats qui croient en de bonnes relations avec l’Iran voisin, la Syrie et l’axe de la résistance.
Afin d’atteindre son objectif, l’envoyé américain en Irak, Brett McGurk, a agi sur trois fronts :
– les chefs des blocs, quelle que soit la taille du bloc, pour solliciter leur soutien
– les députés pour les empêcher de soutenir un bloc dans lequel le al-Hachd al-Chaabi « qui doit être dissolu » est représenté
– sur le terrain et dans la rue pour démontrer « l’importance du rejet populaire » pour ce qu’il appelle « l’influence iranienne en Irak ».
Les événements de Bassora, qui ont été déclenchés pour des raisons de revendications liées à l’eau et à l’électricité, se sont transformés en une vague de violence contre l’Iran et les forces qui tiennent à préserver de bonnes relations avec lui.
Ils constituent un scandale qui entache tout le plan américain lequel s’est soldé par un échec. Ils ont eu l’effet inverse de ce que l’envoyé McGurk espérait.
Dans ce contexte, il faut noter les efforts déployés par l’autorité religieuse pour assurer, à ses frais, la disponibilité des stations d’eau à Bassora et désamorcer ainsi les débordements chaotiques. Ces stations, qu’Abadi avait refusé de fournir tout au long de son mandat, ont été une cause directe de l’éclatement des protestations et du chaos dans la ville, conduisant à l’incendie de bâtiments à caractère symbolique de la relation entre l’Iran et l’Irak, y compris le consulat iranien à Bassora.
En incendiant le consulat iranien à Bassora, ainsi que les locaux des Hachd al-Chaabi et des forces pro-iraniennes, les Etats-Unis voulaient montrer le rejet populaire de la présence et du rôle de l’Iran en Irak et enrayer ainsi tout espoir de trouver une figure rivale à Abadi ou un partisan de l’axe de la résistance.
Mais la découverte de la machination américaine a pratiquement anéanti les chances d’Abadi de revenir au pouvoir et barré la route à toute autre figure alternative pro-américaine et pro-saoudienne.
En conséquence, le plan américain qui n’a pas réussi à rétablir son emprise sur le pouvoir en Irak a en revanche créé les conditions pour la formation d’un gouvernement qui devrait être en mesure de protéger les acquis de l’Irak en matière de souveraineté, d’indépendance, de richesse et de rôle stratégique régional en harmonie avec l’axe de la résistance.
En Syrie, les USA essaient toujours d’empêcher la Syrie de lancer l’opération de libération d’Idlib pour la purger du terrorisme et de s’occuper ensuite du dernier dossier sur terrain dans l’est de l’Euphrate, où se trouvent ses bases militaires dont le nombre dépasse les 13 et ses 9.000 soldats, après les derniers renforts arrivés à Al-Tanf.
Pour empêcher le lancement de la libération d’Idlib, Washington a mis sur pied un plan également formé de trois lignes :
– L’intimidation et la menace d’une intervention militaire si l’armée syrienne et ses alliés pénètrent dans Idlib, menace accompagnée d’une exigence de s’abstenir de toute opération militaire et d’activer les zones de désescalade avec des délais indéterminés. Washington ayant investi dans le rôle négatif de la Turquie au sommet de Téhéran, sa demande de trêve et son rejet de l’action militaire.
– Les exercices et les renforts militaires, la mobilisation de forces aéronavales disposant de 220 missiles Tomahawk prêts à cibler de grands objectifs en Syrie en réponse à « l’utilisation hypothétique d’armes chimiques », comme colporté par les allégations américaines et occidentales.
– Les manœuvres militaires menées à Al-Tanf et ailleurs pour suggérer une forte capacité militaire américaine prête à une intervention militaire directe, accompagnée d’une « fuite » de la Maison-Blanche selon laquelle Trump envisage sérieusement une attaque contre les troupes russes en Syrie.
Une fois encore, nous constatons l’échec de la démarche américaine ; la trêve a été rejetée ainsi que le report de la bataille d’Idlib, l’heure H de celle-ci pourra sonner à tout moment. Certaines opérations préliminaires ont même déjà commencé avec des raids massifs et sélectifs, effectués il y a deux jours par les forces aériennes russes et syriennes, sur des cibles terroristes en épargnant totalement les civils.
La réponse à la deuxième ligne a été principalement donnée par la Russie grâce à son important renforcement naval en Méditerranée. Elle a mobilisé des navires de guerre, des bâtiments de soutien et des forces professionnelles de reconnaissance et de brouillage pour perturber l’efficacité des Tomahawk, dans le cadre des manœuvres militaires les plus importantes ces 40 dernières années.
Pour le troisième point, l’Amérique sait que personne ne prend au sérieux sa décision d’une confrontation terrestre avec ses adversaires sur le sol syrien. Cette confrontation ne sera pas du tout dans son intérêt et à tous les niveaux.
En résumé, nous pouvons affirmer que l’Amérique, qui avait l’intention de s’emparer de l’Irak en confisquant son gouvernement, est sur le point d’échouer . Elle ne pourra non plus empêcher la Syrie d’achever la libération du fief terroriste (Province d’Idleb, ndlr) , quelle que soit la menace ou l’intimidation.
Cette Amérique qui clame qu’elle ne permettra pas à la Syrie et à ses alliés, l’Iran et le Hezbollah, d’entrer à Idlib, sait parfaitement que cela n’est pas envisageable. La Syrie est souveraine sur son sol et les États-Unis sont les intrus qui doivent le quitter. S’ils ne le font pas volontairement, ils seront forcés d’en sortir par la force, comme ils quitteront l’Irak. C’est alors que la Syrie et l’Irak redessineront un paysage politique et pratique sans aucune place pour les Américains.
Par Amine Htaite: Général libanais à la retraite et professeur universitaire et expert stratégique.
Sources: le journal libanais al-binaa; traduit par Rania Tahar