Les sanctions américaines contre l’Iran sont entrées en vigueur. Elles concernent notamment l’interdiction d’accès de l’Iran au dollar américain et aux transactions financières en dollars et des tentatives pour l’empêcher d’acquérir de l’or et des métaux précieux. En vertu de ces sanctions les entreprises, banques, individus et gouvernements impliqués dans des activités entravant la mise en œuvre de cette interdiction seront sanctionnés.
Dans la pratique, ces sanctions signifient : assiéger l’Iran sur les marchés internationaux pour l’empêcher de vendre ses exportations, en particulier le pétrole, afin de donner le coup d’envoi à une ruée des Iraniens pour l’acquisition de dollars jusqu’à provoquer l’effondrement de la monnaie iranienne et de son pouvoir d’achat, et l’éruption de troubles sociaux qui peuvent être alimentés par des moyens logistiques, politiques et médiatiques.
C’est sur cet environnement que Washington mise pour que l’Iran assouplisse ses conditions sur le maintien de son dossier nucléaire et de son rôle régional. Autrement, c’est l’agitation grandissante et l’entrée de l’Iran dans une période de chaos politique et sécuritaire, offrant des opportunités d’attaquer son système politique et sécuritaire, ses références religieuses, ainsi que des alternatives internes et externes qui satisfont aux conditions américaines.
Dans cette confrontation, le plan américain ne peut réussir que sous trois conditions, actuellement non disponibles :
Premièrement, que Washington réussisse à créer un environnement international favorable pour contenir l’Iran sur le marché pétrolier de manière à affecter la plupart de ses exportations. En comparaison aux périodes précédentes de sanctions, l’Iran est certes plus solide qu’avant l’accord sur son dossier nucléaire. La Russie et la Chine, qui avaient participé alors à l’adoption et à la mise en œuvre des sanctions approuvées par le Conseil de sécurité de l’ONU, se tiennent aux côtés de l’Iran après l’accord sur le dossier nucléaire et la levée des sanctions de l’ONU, et cherchent à contribuer à lui fournir de sérieuses opportunités sur le marché pétrolier en dehors du système de sanctions américaines.
L’Europe, qui a été le principal théâtre des sanctions contre l’Iran, semble déterminée à rassurer l’Iran sur ses importations de pétrole, malgré son incapacité à faire face à des sanctions dans le domaine des investissements en Iran.
Parallèlement, les principaux partenaires de l’Iran sur le marché du pétrole et du gaz, les voisins turcs et pakistanais, qui n’ont pas de ressources énergétiques, ne semblent pas craindre ces sanctions, soucieux des intérêts vitaux de leurs économies et de la nécessité d’un flux régulier et à bon marché du pétrole et du gaz fournis par l’Iran géographiquement proche. Les sanctions qui embarrassent l’Iran sur les marchés pétrolier et gazier, et donc l’encaissement des ressources en devises, semblent plus tolérables que celles qui étaient en vigueur avant l’accord sur le dossier nucléaire. Et les chances d’abandonner le dollar US en faveur de l’indexation du Toman iranien sont basées sur l’euro, le yuan chinois, le rouble russe et l’or.
Quant à la deuxième condition pour la réussite du plan américain, censée provoquer dans ses premières étapes la confusion sur le marché, la confusion dans l’indexation des prix ainsi que la ruée vers le dollar, elle nécessite qu’il y ait en Iran une force politique sérieuse et puissante prête à profiter des sanctions et de leurs effets et à les utiliser pour préconiser une approche autre que celle adoptée par les anti-Washington, comme accepter des concessions dans le dossier nucléaire, ou changer les politiques régionales, surtout la position envers « Israël », l’Arabie Saoudite et les forces de résistance.
Les nouvelles activités américaines se déroulent dans des conditions différentes de celles de 2008, lorsque la confrontation sur le dossier nucléaire iranien et les politiques régionales se déroulaient dans le sillage d’un affrontement entre le courant conservateur, présenté par le président Ahmadinejad et un mouvement réformiste et populaire, dirigé par des leaders tels que Hussein Moussavi, Mehdi Karoubi et le président Mohammad Khatami. La radicalisation envers la politique américaine était alors menée par le courant conservateur tandis que la tendance réformiste appelait à la flexibilité. Aujourd’hui, la confrontation a lieu alors que le mouvement réformiste est au pouvoir. C’est lui qui adopte des politiques appelant à s’opposer à Washington et ses plans, et qui cherche à unifier la communauté politique du régime républicain islamique derrière le président Hassan Rouhani, à travers la forte relation avec l’Imam Ali Khamenei et la Garde révolutionnaire et ses dirigeants, d’une part, et la libération de leaders du courant réformiste emprisonnés ou en résidence surveillée, d’autre part. La période actuelle est plus que jamais une période d’unité nationale dans la confrontation.
Malgré quelques tensions provoquées par certains conservateurs contre Rohani pour lui faire payer le prix de son option de souplesse et de négociation, les batailles s’engagent sur le présent et l’avenir et non sur le passé. Il semble qu’il n’y a pas de différends entre conservateurs et réformistes sur ce qu’il faut faire, en dépit de la controverse sur ce qui a été fait, au niveau des négociations, des illusions qui ont été miroitées sur ses acquis. Sans compter les conséquences économiques qui ont ruiné les chances de l’économie iranienne à résister, de l’engagement dans des investissements coûteux dans des domaines dont l’inauguration est liée à l’Occident et qui sont plus que jamais menacés de faillite avec le déclin de ces possibilités d’ouverture et de consommation.
La troisième condition concerne la situation régionale et les activités nécessaires pour pénétrer l’intérieur iranien à partir des plates-formes adjacentes capables de s’infiltrer en Iran et d’en déplacer les lignes.
Compte tenu de l’environnement géopolitique iranien, on peut déstabiliser l’Iran en investissant dans les démographies kurdes à l’Ouest, ou les régions baloutches à l’Est ou les Arabes au Sud, et au moins un voisin disposé à rompre avec l’Iran et à offrir sa géographie à Washington pour lui permettre d’infiltrer des adversaires à l’intérieur iranien. En observant ces options, nous pouvons affirmer que l’Iran s’est protégé de manière proactive dans le dossier kurde, en coopération avec la Turquie, en faisant avorter le projet de sécession du Kurdistan irakien, qui était une possible double plate-forme vers les Kurdes iraniens et vers l’intérieur géographique iranien en général.
Il apparaît que l’Arabie saoudite et les États du Golfe, épuisés par la guerre au Yémen et connaissant la capacité de l’Iran à influer sur leur sécurité et leur situation économique, sont plus faibles qu’il y a dix ans.
A l’Est, le Pakistan est en train de passer d’un projet de ressentiment contre l’Iran à une bénédiction après le changement politique issu des élections. Elle peut déjouer les investissements sur les ethnies baloutches, kurdes et arabes et couper la voie à un voisin utilisé comme plate-forme pour les incursions en Iran.
En revanche, ce que révèle l’expérience d’il y a dix ans est que Washington, qui rêvait encore de réorganiser ses cartes après l’échec de ses guerres en Irak, en Afghanistan et au Liban, et qui était dirigé par un président extrémiste, George W. Bush, entouré d’une équipe idéologique homogène que sont les néoconservateurs, a été forcé de chercher secrètement des issues pour ne pas atteindre le point de non-retour dans la confrontation, lorsqu’il est apparu que l’Iran sauterait le pas pour fermer le détroit d’Ormuz et perturber le mouvement de la navigation pétrolière dans le monde. Dubaï a été alors la fenêtre pour décompresser l’économie iranienne, avec l’approbation américaine.
A commencé également la recherche de moyens pour éviter l’impact de la fermeture du détroit d’Ormuz sur la navigation pétrolière dans les batailles futures avec l’Iran. Dix ans après, les projets de Washington dans la guerre contre la Syrie, dont un des objectifs était de relier le Golfe à l’Europe par un réseau de pipelines traversant la Syrie en contournant le détroit d’Ormuz, échouent et triomphe Ormuz dans sa fonction de corridor obligatoire vers le marché mondial du pétrole et du gaz tenu par l’Iran qui en a moins besoin que ses voisins, du fait que l’Iran utilise un gazoduc pour fournir la Turquie et des oléoducs pour fournir le Pakistan et la chine en pétrole.
Alors que dans la guerre du Yémen, les signes avant-coureurs d’une perturbation de la navigation pétrolière semblent beaucoup plus importants que par le passé, il apparaît également que chaque menace qui pèse sur le détroit d’Ormuz offre à la Russie l’opportunité de devenir une source unique et sûre de pétrole et de gaz dans le monde, avec une hausse des prix causée par la crise d’Ormuz et des milliards de dollars qui seront injectés dans le trésor russe. La recherche d’un autre poumon pour l’économie iranienne semble donc être une mission américaine, et la Turquie pourrait être le choix pour cette fenêtre plutôt que Dubaï, après que le président turc ait annoncé qu’il avait informé le président américain de l’intention de son gouvernement de continuer à acheter du gaz iranien malgré les sanctions.
Il y aura des tourments, des troubles et des pressions sur le marché des changes en Iran. Une grande partie des nouvelles dans (et à travers) la presse occidentale signalera la chute imminente de l’Iran. Mais les faits indiquent que tout cela sera superficiel, alors que dans le fond, l’Iran est plus fort qu’il ne l’était et semble dire : « Ne vous inquiétez pas pour l’Iran ». Il a connu des jours plus difficiles et les a surmontés. Il surmontera aussi cette crise et imposera à nouveau ses équations, dans son dossier nucléaire et dans les affaires régionales. Le monde, qui a été changé par la force de fermeté de l’Iran, ne peut tolérer une retraite iranienne. Ceux qui, profitant de la fermeté de l’Iran, se tiennent dans le rang des vainqueurs et cueillent les fruits du déclin de la poigne américaine, pèseront de tout leur poids pour que les équilibres ne changent pas. Ceux qui ont amené leurs armées en Syrie pour empêcher la victoire du projet américain, défendant l’avenir de leur pays, leur position et leur sécurité nationale, comme la Russie, n’épargneront pas leurs efforts pour empêcher l’affaiblissement de l’Iran. Ils en connaissent parfaitement les incidences et le meilleur exemple pour l’illustrer est ce qui s’est passé dans les négociations d’Helsinki sur le rôle de l’Iran en Syrie, et le rejet catégorique par la Russie de la tentative américaine et israélienne de lui offrir le prix de la victoire en Syrie en échange de la défaite iranienne.
Par Nasser Kandil
Sources : Article en arabe : Al-binaa : quotidien libanais ;Traduit par Rania Tahar ; Réseau international