Sortir de l’accord sur le nucléaire iranien et rétablir les sanctions contre Téhéran est « l’une des plus grandes erreurs de la politique étrangère américaine depuis la guerre en Irak », affirme à l’AFP le chercheur Ali Vaez.
Expert sur l’Iran pour le centre de réflexion International Crisis Group (ICG), il met en garde, lors d’une rencontre à Washington, contre une situation explosive où le moindre faux pas « pourrait déclencher une confrontation catastrophique pour la région ».
Q: Comment percevez-vous la stratégie de l’administration Trump face à l’Iran?
R: « Le gouvernement américain semble divisé sur l’objectif. Le président Trump est assez attiré par l’idée d’un accord avec l’Iran qui serait plus grand, plus vaste et meilleur que l’accord de (Barak) Obama, qui résoudrait du même coup de nombreux problèmes au Moyen-Orient, de la Syrie au Yémen. C’est une perspective alléchante pour un maître en négociations comme lui.
Mais pour son entourage et son cabinet, depuis son conseiller à la Sécurité nationale John Bolton jusqu’à son secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, je pense que l’objectif est d’affaiblir de façon significative le système politique iranien, voire potentiellement de changer de régime.
Il ne fait aucun doute qu’il s’agit de l’une des plus grandes erreurs de la politique étrangère américaine depuis la guerre en Irak. Nous devons désormais nous en remettre aux dirigeants iraniens pour qu’ils fassent preuve de logique et de retenue. S’ils décident au contraire de riposter, de relancer leur programme nucléaire, Israël ou les Etats-Unis pourraient frapper l’Iran et déstabiliser le seul pays stable en ce moment dans cette région du monde. Une seule erreur de calcul pourrait déclencher une confrontation catastrophique pour la région. »
Q: Téhéran viendra-t-il se rasseoir à la table des négociations?
« La possibilité d’une négociation entre l’Iran et les Etats-Unis à ce stade est proche de zéro.
L’Iran a pour stratégie d’endurer la tempête pendant les deux prochaines années en attendant que le président Trump ne parte. La question reste de savoir si les autres signataires de l’accord nucléaire de 2015 –Allemagne, Chine, France, Royaume-Uni, Russie et Union européenne– peuvent aider l’Iran à gagner du temps. C’est une course contre la montre.
Compte tenu du niveau d’intégration de leur économie avec l’économie américaine, les Européens ont une marge de manoeuvre limitée. Mais la Russie et la Chine, ainsi que l’Inde, ont beaucoup plus d’espace de manoeuvre et peuvent potentiellement maintenir des voies commerciales avec l’Iran qui lui permettrait de résister à la tempête. »
Quel sera l’impact sur l’économie iranienne?
« L’Iran a de nombreux problèmes économiques. La plupart sont structurels et ont peu à voir avec les sanctions américaines. Mais elles vont sans aucun doute infliger un dommage considérable aux Iraniens.
La première vague n’est pas trop douloureuse parce que l’impact psychologique de leur retour affecte déjà l’économie iranienne depuis trois mois. En visant la capacité de l’Iran à exporter du pétrole –le coeur (de son économie)– , la deuxième vague va être plus douloureuse.
Mais ce n’est pas la première fois que les dirigeants iraniens font face à des sanctions, ils savent comment les gérer. Certes, le mécontentement face à la situation économique est généralisé et il y a des manifestations disséminées à travers le pays mais pour l’instant, elles ne sont pas connectées entre elles, (…) l’opposition n’a pas de dirigeant et il n’existe pas d’alternative viable au système. Le régime iranien a en outre la volonté et la capacité de réprimer. Je doute donc que nous voyions le gouvernement ou le régime s’effondrer à Téhéran dans les deux prochaines années. »
Source: AFP