L’initiative russe pour le retour des déplacés syriens chez eux est une aubaine pour le Liban. Mais encore faudrait-il qu’il sache en profiter !
C’est justement pour ne pas laisser passer cette occasion que le président de la République Michel Aoun a demandé au Premier ministre dans leur entretien de la veille et au président de la Chambre, ainsi qu’aux différentes parties concernées, sécuritaires, militaires et diplomatiques, d’être présents lors de sa rencontre avec la délégation russe à Baabda dans l’après-midi d’hier. Dans un dossier aussi important pour le pays, le Liban doit donc faire front commun et prendre des décisions qui ont l’aval de toutes les parties concernées pour qu’il n’y ait pas de polémique interne qui pourrait pousser les parties internationales à laisser le Liban de côté dans le traitement de ce dossier.
Selon des sources libanaises qui suivent de près ce dossier, c’est le président russe Vladimir Poutine qui est à l’origine du projet dont il a parlé avec son homologue américain Donald Trump au cours du sommet de Helsinki, le 16 juillet. Ce dernier ayant donné son accord, les Russes ont dès le lendemain du sommet dévoilé le projet. Il comporte en effet deux volets, celui du retour chez eux des déplacés syriens installés dans les pays plus ou moins voisins de la Syrie, à savoir le Liban, la Turquie, l’Irak, l’Égypte et la Jordanie, et celui de la reconstruction de la Syrie, avec une concomitance entre les deux processus.
D’ailleurs, tout en formant une délégation chargée de discuter du processus du retour des déplacés avec les pays concernés, la Russie a commencé à introduire en Syrie des matériaux de construction en vue de la reconstruction.
Les Russes ont donc proposé de former des commissions conjointes, pour chaque pays concerné, regroupant des représentants russes, américains et syriens, en plus du pays hôte, pour adopter des mesures concrètes, selon les règles en vigueur dans chaque pays.
Selon les mêmes sources, ce projet devrait profiter en premier au Liban, car d’après les informations qui ont été données aux autorités concernées, les Russes prévoient le retour d’un million sept cent mille déplacés syriens chez eux, dans une première étape, distribués comme suit : 890 000 du Liban, 300 000 de Turquie, 150 000 de Jordanie et 100 000 d’Égypte et d’Irak. Avant d’officialiser ce projet, les Russes avaient tâté le terrain avec des interlocuteurs européens, notamment l’Allemagne et la France, qui auraient promis de fournir des aides humanitaires aux déplacés syriens de retour chez eux en Syrie même, alors que depuis le déclenchement de la guerre dans ce pays, ils avaient suspendu toute aide aux Syriens dans les zones contrôlées par le régime.
Les Russes ont aussi chargé les ministères de la Défense et des Affaires étrangères de cette mission. La Défense parce que la base militaire de Hmeïmim en Syrie, tenue par les militaires russes, est considérée comme le quartier général de toute cette opération, et les Affaires étrangères pour entreprendre les contacts nécessaires.
Du côté syrien, on ignore encore qui aura la charge du suivi, mais jusqu’à présent, c’est le ministère de la Réconciliation, dirigé par le Dr Ali Haïdar, présent à Hmeïmim, qui a pris en charge le traitement des dossiers des combattants souhaitant se réconcilier avec l’État syrien. Toutefois, il ne s’agit plus désormais de réconciliation, mais de retour.
La délégation russe chargée de ce dossier s’est donc rendue en Jordanie où elle a rencontré le ministre des Affaires étrangères du pays, et un mécanisme a déjà été mis en place dans le but d’assurer le retour de 150 000 déplacés syriens chez eux. Elle est ensuite arrivée au Liban où elle a eu des entretiens séparés avant la rencontre générale au palais de Baabda.
Selon Ola Boutros, qui a la charge du dossier des déplacés syriens au ministère des Affaires étrangères, de grands espoirs sont attachés à l’initiative russe, car elle devrait aboutir au retour de 890. 000 déplacés syriens chez eux.
« Cette initiative, dit-elle, confirme aussi la position libanaise qui refusait depuis le début de lier le retour des déplacés à une solution politique en Syrie. Aujourd’hui, après le sommet de Helsinki, le président américain a accepté cette idée et le processus a été enclenché. » Ola Boutros affirme aussi qu’au Liban, le dossier est plus compliqué qu’en Jordanie, parce qu’il y a eu un problème dans l’inscription des déplacés syriens. Il y a eu ainsi des lacunes dans l’enregistrement des naissances et des mariages, tout comme il y a un grand nombre de déplacés qui sont venus au Liban par des chemins clandestins et n’ont jamais régularisé leurs papiers. Toutes ces failles compliquent les procédures et exigent la participation de la Sûreté générale au processus. Mais le plus important est de mettre en place un mécanisme concret.
Toujours selon Ola Boutros, les recensements russes effectués auprès des déplacés syriens au Liban ont montré que 30 000 d’entre eux ont combattu le régime dans différents groupes d’opposition. Certains d’entre eux souhaitent rentrer en Syrie, après avoir réglé leur problème avec le régime, et d’autres ne veulent pas entendre parler d’un tel retour.
Mais ce qui est important dans ce chiffre, estime la responsable, c’est qu’il confirme la thèse du ministère des AE qui insistait sur le fait que la plus grande partie des déplacés syriens au Liban n’a pas fui la Syrie parce qu’elle est opposée au régime, mais à cause des combats et des destructions. Ce qui signifie qu’une fois qu’on leur assure la sécurité et un toit, ces déplacés peuvent rentrer chez eux.
À une question sur l’absence du ministre des AE à la réunion de Baabda, Ola Boutros répond que le congrès qui se tient aux États-Unis et auquel participe le ministre Gebran Bassil, était fixé à l’avance. Mais à Washington, ce dernier continue de suivre le dossier, ayant eu un entretien avec la secrétaire d’État adjointe chargée du dossier des réfugiés. De même, il a eu un entretien téléphonique avec le vice-ministre russe des Affaires étrangères, en charge du Proche-Orient, Mikhaïl Bogdanov.
Ola Boutros ajoute qu’« au lieu de chercher des conflits là où il n’y en a pas, il vaut mieux mettre tout en œuvre pour profiter de cette initiative russe ». Le dossier des déplacés syriens est donc plus que jamais d’actualité, et il pourrait même être en voie de règlement.
Par Scarlett Haddad : journaliste libanaise