Les médias grand public remettent leurs compteurs à zéro : à l’affût du moindre mouvement social en Iran pour en faire » une révolution » comme ils l’ont fait au mois de janvier, France 24, BBC et CNN diffusent depuis lundi les images » des manifestations d’envergure » qu’ils attribuent encore » à une population iranienne » excédée par ses conditions. La presse israélienne en rajoute et y prête une coloration politique contre la « présence iranienne en Syrie » ou encore contre le soutien de l’Iran à la Palestine! Aux dernières nouvelles, les syndicats ont décidé de mettre fin au mouvement de débrayage et les commerces sont partiellement ouverts.
Qu’en est-il réellement ?
Depuis trois jours, le Grand Bazar de Téhéran qui contient le gros des commerces de la capitale est le théâtre d’un mouvement de grève contre la hausse du dollar face à la monnaie nationale, le Toman et la dépréciation de celle-ci. Il est vrai que cette chute porte atteinte aux petites et moyennes entreprises ou encore aux petits commerces. Peut-on y voir pour autant un début de la crise économique liée aux sanctions US de retour après le retrait américain de l’accord nucléaire?
Les experts tendent à répondre par négation : en effet l’économie iranienne se porte plutôt bien et la hausse du prix du pétrole, accentuée depuis le retrait US, lui a bien profité. « Avec un taux de croissance variable, selon le FMI, pour cette année 2018 entre 3.8% et 4% et des réserves en devise bien amples, le pays tiendra longtemps le coup », souligne Hadi Mohammadi, expert politique.
« Après 72 heures d’interruption des échanges, due au week-end et à un jour férié pour la fin du ramadan, la Bourse de Téhéran a enregistré un niveau jamais atteint depuis son ouverture, en 1967. L’indice TEDPIX a passé dans la matinée pour la première fois la barre des 100.000 points pour finir la séance au niveau record de 102.452,4 points, en hausse de 3,33%. « C’est qu’il y a de grosses liquidités dans le pays et qu’on ne manque pas de fond », ajoute-t-il.
La réaction du gouvernement
Face à la dévaluation, l’exécutif iranien n’est pas resté les bras croisés : des mesures ont été entreprises lundi pour détendre les marchés et elles n’ont pas été inefficaces puisque le dollar a pris une courbe descendante passant sous la barre des 8000 tomans alors qu’il tendait à s’échanger la veille à 9000 tomans pour un dollar. Le président iranien, Hassan Rohani a dénoncé de son côté « une bulle spéculative » qui renvoie « à une guerre des nerfs » destinée à provoquer des « tensions sociales » et saper l’action du gouvernement sur fond d’hostilités de plus en plus ouvertes de Washington contre Téhéran. Le cercle « néo-con » qui entoure le président US (Pompeo, Bolton) n’a d’ailleurs jamais caché son intention de « faire plier l’Iran via des pressions économiques ».
C’est dans ce contexte que le Grand Bazar de Téhéran a été ces deux derniers jours le théâtre d’un mouvement social : inquiets pour leur avenir, les commerçants ont décidé, lundi 25 juin, de baisser le rideau pendant une partie de la matinée. Mais ce mouvement civique, on ne peut plus naturel, et prévu dans la Constitution iranienne a été détourné par des éléments « inconnus des commerçants du Bazar » et interprété par les médias comme une « révolte contre le pouvoir ». Ce mardi, ces mêmes éléments se sont infiltrés dans les rangs des commerçants qui ouvraient leurs boutiques cherchant à perturber la reprise du travail. Pour l’heure, les forces de sécurité ont la consigne de faire preuve de retenue, mais quelques arrestations ont été rapportées. Certains vendeurs sont inquiets de voir les casseurs « s’introduire » dans leurs rangs et s’en prendre aux commerces.
Une révolution colorée?!
À l’occasion de la journée nationale de la justice, le chef du pouvoir judiciaire a affirmé ce mardi 26 juin que « les ennemis de l’Iran cherchent à frapper au porte-monnaie de la population. C’est une guerre des nerfs dont la cible est la sécurité de l’État, mais que nous allons tout faire pour contrer ».
L’Ayatollah Amoli a promis de poursuivre « les terroristes économiques » qui cherchent » à pêcher en eaux troubles » et à « tirer profit des craintes justifiées de la population ». Incapables de mettre au pas l’Iran sur le front de guerre, nos ennemis veulent nous étrangler économiquement. Or, c’est une illusion qui ne se réalisera jamais, a-t-il souligné.
« Soumis depuis 40 ans aux sanctions américaines, l’Iran a ses propres moyens pour contourner les restrictions, ajoute l’expert Mohamadi. « D’ailleurs, de plus en plus de pays (Russie, Chine, Venezuela, Turquie…) empruntent les voies que l’Iran a déjà empruntées pour faire face au régime illégal des sanctions et la dé-dollarisation en est une. L’administration Trump croit pouvoir mettre au pas l’Iran via des pressions économiques, mais elle se trompe lourdement. Cela fait 40 ans que les États-Unis, Israël et Cie, veulent pousser les Iraniens à bout pour qu’ils se révoltent et renversent « le régime ». Or, cette méthode n’a jamais fonctionné. Des protestations sociales existent partout comme on en voit tous les jours en France, en Allemagne, aux États-Unis et en Israël. Mais ces contestations sont bien le signe d’une démocratie qui marche. Ce serait une grave erreur que d’y voir autre chose que l’expression des revendications d’un peuple qui exige de ses responsables des réponses à ses inquiétudes et l’exige par des moyens purement pacifiques, ajoute-t-il.
Source: PressTV