À moins d’une semaine du Mondial en Russie, beIN Sports monte au créneau contre une chaîne pirate qui retransmet illégalement ses programmes dans le monde arabe. Cet épisode traduit la prégnance d’une crise qui s’enlise entre les pays du Golfe
La tension qui traverse les pays du Golfe se joue également sur le terrain sportif. Dernière péripétie en date, l’attaque qui vise la chaîne qatarie beIN Sports, dont le signal a été détourné par une chaîne pirate installée en Arabie Saoudite.
Profitant de l’approche de la Coupe du monde de football, les auteurs du forfait ont souhaité sévir contre l’opérateur qui détient les droits exclusifs de retransmission du tournoi sur l’ensemble de la région Moyen-Orient Afrique du Nord (MENA).
Révélé par la presse ces derniers jours, ce nouvel épisode conflictuel entre frères ennemis du Golfe intervient presque un an jour pour jour après l’éclatement de la crise du blocus. Loin de s’aplanir, celle-ci semble gagner tous les milieux, y compris le domaine du sport jusque-là relativement épargné par une querelle qui a fait voler en éclat le Conseil de coopération du Golfe (CCG).
D’après le site d’information suisse The Local, qui a rapporté l’information en juillet dernier, l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, Bahreïn et l’Égypte ont communément fait une demande auprès de l’organisation mère du football mondial pour revenir sur sa décision prise à Zurich en décembre 2010, d’octroyer à l’émirat gazier l’organisation du Mondial 2022. Cette requête aurait été introduite sur la base de l’article 85 du code de la FIFA qui permet pareille possibilité en cas d’urgence.
Cette bataille autour du Mondial et cette volonté d’isoler le Qatar jusqu’à vouloir lui retirer un événement sportif qui est au centre de son soft power ont d’ailleurs clairement été exprimées par les plus hauts responsables émiriens.
Du ministre d’État aux Affaires étrangères, Anwar Gargash, à l’ex-chef de la police de Dubaï, Dahi Khalfan, connu pour ses sorties tapageuses, nombreux sont ceux à avoir avoué que la crise actuelle pourrait se clore dès lors que Doha se désisterait du Mondial prévu dans quatre ans.
Un diktat naturellement rejeté par Doha qui, loin de se plier, semble plus que jamais décidé à riposter.
C’est donc dans ce cadre qu’il faut replacer l’entreprise malheureuse avec beIN Sports. Depuis août 2017, soit deux mois après l’éclatement de la crise, tous les programmes du groupe se sont retrouvés diffusés en Arabie Saoudite sur l’écran d’une télévision pirate, dénommée «BeOutQ ».
Inconnu jusqu’alors du paysage télévisuel local, le nouveau signal a fait sa place dans l’univers médiatique de la région en reprenant le même programme que la maison-mère mais en accusant un retard de dix secondes.
La FIFA obligée de réagir
Superposant leur logo BeOutQ sur celui du groupe qatari, les auteurs du hackage visent à saper le monopole de beIN Sports dans un moment éminemment sensible qui est celui de l’approche de la Coupe du monde de football.
Avec quatre équipes arabes participant au tournoi (Maroc, Arabie Saoudite, Tunisie, Égypte), les audimats risquent en effet d’exploser quand on connaît l’engouement du public de la région pour ce genre de compétition. Et comme l’abonnement à BeOutQ ne coûte que 107 dollars par an (91 euros, chiffre bien moins élevé que le tarif normal), beIN Sports est en passe d’accuser un manque à gagner considérable, tant sur le plan financier que sur le plan symbolique.
Face à ce que certains observateurs ont déploré comme « l’opération de sabotage d’une ampleur jamais vue dans l’histoire de la télévision », Doha a décidé de réagir en ciblant directement son puissant voisin.
Pour Tom Keaveny, directeur général de beIN Media Group, c’est en effet l’Arabie Saoudite qui a téléguidé ce piratage : « Le signal pirate est transmis par le fournisseur satellite basé à Riyad, Arabsat, dont le principal actionnaire est le royaume saoudien. Cette opération coûtant plusieurs millions de dollars est le résultat de moyens et de connaissances industriels importants ».
Sans convaincre grand monde, Riyad a formellement nié ces accusations. Pour prouver leur bonne foi, les autorités ont lancé une opération contre la vente des décodeurs illégaux. Cinq mille appareils auraient été ainsi saisis, rapporte la presse saoudienne. De son côté, beIN Sports est montée au créneau en demandant à la FIFA de prendre les dispositions nécessaires pour punir un tel détournement qui met en péril le modèle économique sur lequel est basée l’organisation du Mondial.
Si la structure mère du ballon rond accepte en effet un tel forfait, c’est tout le système de l’attribution des droits exclusifs de retransmission qui se trouvera menacé avec un manque à gagner financier considérable. Car aux yeux des opérateurs du marché, à quoi bon s’arracher à prix d’or les droits d’attribution si la diffusion des matchs se fait ainsi détourner en toute impunité ?
En attendant la réaction de la FIFA, les responsables américains ont de leur côté opté pour la sanction. Sous la pression de plusieurs détenteurs de droits sportifs, le bureau du représentant au commerce à Washington a récemment inscrit l’Arabie Saoudite dans sa liste noire des pays portant atteinte à la propriété intellectuelle. Une première depuis une décennie.
Pour nombre d’acteurs du ballon rond, la FIFA n’aura, elle aussi, pas d’autre choix que d’emboîter le pas des sanctions si elle souhaite rester crédible à quelques jours du premier coup de sifflet du Mondial en Russie.
Par Nabil Ennasri : docteur en science politique, spécialiste de la région du Golfe, et directeur de L’Observatoire du Qatar. Il est aussi l’auteur de L’énigme du Qatar (Armand Colin).
Source: Middle east eye