Au cours d’une présentation théâtrale de vingt minutes, le Premier ministre Benyamin Netanyahu a exposé une capture réelle des archives atomiques iraniennes. Cela aurait pu être le “grand exploit du renseignement” israélien… si seulement c’était vrai. Mais les allégations ne résistent pas à une observation minutieuse. Et les affirmations de Netanyahu selon lesquelles Israël dispose d’un vaste dossier documenté sur le programme secret d’armes nucléaires iraniennes sont certainement frauduleuses.
En effet, Netanyahu nous raconte qu’un raid du renseignement israélien a permis de mettre la main sur 55.000 documents papier et 55.000 autres CD provenant d’un “endroit hautement stratégique“. Mais cela exige que nous prenions pour argent comptant une proposition totalement absurde : les dirigeants iraniens auraient décidé de stocker leurs secrets militaires les plus sensibles dans une petite cabane avec un toit en tôle, sans rien pour la protéger de la chaleur (assurant ainsi certainement la perte de données sur CD dans quelques années) et dépourvue de tout signe de sécurité, comme le montre l’image satellite qui a été présentée sur le diaporama. (Comme Steve Simon l’a observé dans le New York Times, la porte ne semblait même pas avoir de verrou.)
Dans le Daily Telegraph, les responsables israéliens ont suggéré une explication risible: le gouvernement iranien craignait que les dossiers ne soient trouvés par des inspecteurs internationaux s’ils restaient sur des “bases majeures“. Ce qui révèle simplement le mépris total de Netanyahu envers les gouvernements et les médias occidentaux. Même si l’Iran développait secrètement des armes nucléaires, leurs dossiers sur ce sujet seraient conservés au ministère de la Défense, et non dans les bases militaires. Et bien sûr, le déplacement présumé, mais totalement invraisemblable vers un nouvel emplacement peu plausible est venu alors que Netanyahu avait besoin d’une nouvelle histoire dramatique pour galvaniser Trump et l’aider à résister à la forte insistance des alliés européens qui voulaient préserver l’accord nucléaire iranien.
En fait, il n’y a aucune découverte d’un trésor de fichiers secrets sur un éventuel «Manhattan Project» iranien. Les étagères de classeurs noirs et de CD que Netanyahu a révélées avec une telle effervescence remontent à 2003 (date après laquelle un rapport du renseignement US affirmait que l’Iran avait abandonné tout programme d’armement nucléaire). Bref, ce n’est rien de plus qu’un autre accessoire de scène, comme le dessin de bombe que Netanyahu avait utilisé aux Nations Unies en 2012.
Campagne de désinformation
L’affirmation de Netanyahou sur la manière dont Israël a acquis ces “archives atomiques” n’est que la dernière manifestation d’une campagne de désinformation à long terme sur laquelle le gouvernement israélien a commencé à travailler en 2002-2003. Les documents auxquels Netanyahu fait référence dans sa présentation ont été fournis aux médias et à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) début 2005. Ils étaient censés provenir d’un programme secret iranien de recherche d’armes nucléaires. Pendant de nombreuses années, les médias américains ont accepté ces documents comme authentiques. Mais, malgré le solide front uni des médias pour défendre ce récit, nous savons maintenant avec certitude que ces anciens documents étaient des fabrications et qu’ils ont été créés par le Mossad israélien.
La preuve de cette fraude commence par les prétendues origines de l’ensemble des documents. Les hauts responsables du renseignement de l’administration George W. Bush ont déclaré aux journalistes que les documents provenaient d’un “ordinateur portable iranien volé“, comme l’a rapporté le New York Times en novembre 2005. Le Times a cité des responsables des services de renseignement anonymes. Ils insistaient sur le fait que ces documents ne provenaient pas d’un groupe d’opposition iranien, ce qui aurait jeté un sérieux doute sur la fiabilité des documents en question.
Mais il s’est avéré que les affirmations de ces agents du renseignement faisaient partie d’une dissimulation officielle. En réalité, le premier compte-rendu fiable sur le cheminement de ces documents vers les États-Unis ne date que de 2013, lorsque Karsten Voigt, ancien haut fonctionnaire allemand des Affaires étrangères, a quitté son poste de coordinateur de la coopération germano-nord-américaine. À la retraite, il s’est confié, on the record, à l’auteur de ces lignes.
Voigt a rappelé comment de hauts responsables du BND, l’agence allemande de renseignements étrangers, lui avaient expliqué en novembre 2004 que ces documents sur le programme nucléaire iranien leur étaient familiers. En effet, une ancienne source – mais pas un agent du renseignement – leur avait fourni ces documents précédemment. En outre, les responsables du BND ont expliqué à Voigt qu’ils considéraient la source comme “douteuse”, parce que la source en question était membre de l’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien (OMPI), le groupe d’opposition armé iranien qui avait combattu l’Iran sous la bannière de l’Irak pendant la guerre de huit ans.
Les responsables du BND étaient préoccupés par le fait que l’administration Bush commençait à citer ces documents comme des preuves contre l’Iran. Ils étaient d’autant plus préoccupés qu’il y avait le précédent du “Curveball”, du surnom de cet ingénieur irakien résidant en Allemagne qui avait raconté des histoires de laboratoires d’armes biologiques en Irak totalement fausses. À la suite de cette rencontre avec les responsables du BND, Voigt avait accordé une interview au Wall Street Journal dans laquelle il contredisait les affirmations faites au quotidien par les responsables anonymes du renseignement US. Voigt mettait également en garde l’administration Bush de ne pas baser sa politique sur des documents qu’elle présentait comme des preuves d’un programme d’armes nucléaires iranien, parce que ces documents venaient en effet d’un “groupe de dissidents iraniens”, l’OMPI.
Utiliser l’OMPI
Sur cette supposée fuite interne de documents iraniens, l’administration Bush ne souhaitait pas attirer l’attention de la presse sur l’OMPI. Ce qui d’une certaine façon est compréhensible : la vérité sur le rôle de l’OMPI aurait immédiatement conduit à Israël, car il était de notoriété publique que les renseignements israéliens utilisaient l’OMPI pour diffuser des informations que les Israéliens ne voulaient pas s’attribuer. Par exemple, la localisation exacte du site d’enrichissement de Natanz, en Iran.
Comme les journalistes israéliens Yossi Melman et Meir Javadanfar l’ont observé dans leur livre de 2007 sur le programme nucléaire iranien, basé sur les confidences de responsables des renseignements américains, britanniques et israéliens : “l’information vers l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est filtrée par des groupes d’opposition iraniens, principalement le Conseil national de résistance iranien.” [organisation qui fédère différents mouvements d’opposition dont l’OMPI, NDT]
Le Mossad a utilisé l’OMPI à plusieurs reprises dans les années 1990 et au début des années 2000 afin que l’AIEA inspecte tout site que les Israéliens soupçonnaient d’être lié au programme nucléaire. Ce qui a d’ailleurs valu à leurs protégés iraniens une très mauvaise réputation auprès l’AIEA. Personne connaissant l’OMPI n’aurait pu croire qu’elle était capable de créer les documents détaillés transmis au gouvernement allemand. Il fallait une organisation dotée d’une expertise dans le domaine des armes nucléaires et d’une expérience dans la fabrication de documents – tout ce dont le Mossad israélien disposait en abondance.
Les responsables de l’administration Bush avaient mis en évidence un ensemble de 18 dessins schématiques du nez du missile Shahab-3. Sur chacun de ces dessins, il y avait une forme ronde représentant une arme nucléaire. Ces dessins ont été décrits aux gouvernements étrangers ainsi qu’à l’Agence internationale de l’énergie atomique comme 18 tentatives différentes d’intégrer une arme nucléaire dans le Shahab-3.
Netanyahou a donné au public un premier aperçu de l’un de ces dessins lundi [1er mai], quand il l’a triomphalement mis en évidence comme la preuve visuellement frappante de la perfidie nucléaire iranienne. Mais ce dessin schématique comportait une faille fondamentale qui prouvait que cette image et les autres ne pouvaient pas être authentiques : il montrait le design en forme de “bonnet d’âne” du nez du missile Shahab-3 original qui avait été testé de 1998 à 2000. Et en 2002 et 2003, les analystes du renseignement en dehors de l’Iran supposaient que Téhéran continuerai à utiliser cette forme pour son missile balistique.
Nouveau nez conique
Il est maintenant bien établi que l’Iran avait commencé à redessiner le missile Shahab-3 avec un nez de missile conique dès 2000. Il l’avait remplacé par un design complètement différent qui avait une forme «triconique» ou de «biberon». L’Iran a produit un missile avec des capacités de vol très différentes et l’a finalement appelé le Ghadr-1. Michael Elleman, le plus grand expert mondial sur les missiles balistiques iraniens, a documenté la nouvelle conception du missile dans son étude de 2010 sur le programme de missiles iranien.
Aux yeux du monde extérieur, l’Iran a gardé secret son missile nouvellement conçu avec ce nez en forme de biberon jusqu’à son premier test à la mi-2004. Elleman a conclu que l’Iran trompait délibérément le reste du monde – et en particulier les Israéliens, qui représentaient la menace la plus immédiate d’attaque contre l’Iran. L’Iran avait fait croire que l’ancien modèle était le missile de l’avenir alors qu’il concentrait ses efforts sur le nouveau missile qui, pour la première fois, mettrait à portée tout Israël.
Les auteurs des dessins que Netanyahu a passés n’étaient pas au courant de ce changement iranien. Parmi la collection de documents obtenus par le renseignement US, le tout premier mentionnant le remodelage du missile date du 28 août 2008 – environ deux ans après le début du remodelage. Cette erreur majeure indique sans équivoque que les dessins schématiques montrant une arme nucléaire dans un nez du Shahab-3 – ce que Netanyahu a appelé «le design de l’ogive intégrée» – étaient des fabrications.
Le diaporama de Netanyahu a mis en évidence une série de prétendues révélations. Elles provenaient selon lui des “archives atomiques” nouvellement acquises. Les révélations concernaient le “Plan Amad” et les activités que l’Iran aurait poursuivies pour mener son projet secret d’armes nucléaires. Mais les seules quelques pages en farsi parmi les documents que Netanyahu a projetés provenaient clairement du même dépôt secret que les autres documents dont nous savons à présent qu’ils venaient de l’alliance OMPI-Israël. Ces documents en farsi n’ont jamais été authentifiés. Et le directeur de l’AIEA, Mohamed El Baradei, sceptique sur leur origine, a insisté que sans authentification, il ne pourrait pas accuser l’Iran d’avoir un programme d’armement nucléaire.
Plus de fraude
Il y a d’autres indices de fraude dans cette collection de documents. En effet, un deuxième élément du prétendu programme d’armes secrètes, le Plan Amad, était un diagramme qui représentait un procédé d’essai d’enrichissement d’uranium. Nom de code, “Projet 5.13”. Et selon le directeur adjoint de l’AIEA, Olli Heinonen, il faisait partie d’un plus large “Projet 5”. Un autre sous-projet de cette rubrique était le “Projet 5.15”, qui impliquait le traitement de l’uranium à la mine de Gchine. Ces deux sous-projets auraient été menés par une firme de sous-traitance appelée Kimia Maadan.
Les documents que l’Iran a ultérieurement fournis à l’AIEA ont prouvé que le “Projet 5.15” existait bien. Toutefois, il s’agissait d’un projet civil de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, et pas d’un programme secret d’armes nucléaires. De plus, cette décision remontait à août 1999 – deux ans avant le début du prétendu “plan Amad”.
Le rôle de Kimia Maadan dans les deux sous-projets explique pourquoi un projet de traitement du minerai serait inclus dans le prétendu programme d’armes nucléaires secrètes. En effet, l’un des rares documents inclus dans le dépôt secret et qui pouvait être authentifié était une lettre de Kimia Maadan. Mais sur un tout autre sujet. Ce qui suggère que les auteurs des fuites ont construit leur collection autour de quelques documents qui pouvaient être authentifiés.
Autre point que Netanyahu a souligné : la technologie MPI (ou Multi-Point Initiation) à “géométrie hémisphérique”. L’Iran s’est toujours défendu d’avoir travaillé là-dessus. Mais Netanyahu a affirmé que les “documents” montraient que l’Iran avait réalisé un “travail intensif” sur des expériences de MPI. Il n’a pas donné plus de détails sur ce point. Israël n’a pas découvert de preuves de telles expériences dans la petite cabane au toit en tôle, à Téhéran. La question de savoir si l’Iran avait réalisé de telles expériences était un enjeu central de l’enquête menée par l’AIEA après 2008. L’agence l’a développé dans un rapport de septembre 2008 qui portait sur les “expériences [iraniennes] en rapport avec l’initiation symétrique d’une charge explosive hémisphérique appropriée pour un engin d’implosion de type nucléaire.”
Aucun sceau officiel
L’AIEA a refusé de révéler quel pays membre lui avait fourni le document. Mais l’ancien directeur général El Baradei a révélé dans ses mémoires qu’Israël avait transmis une série de documents à l’Agence afin d’établir que l’Iran avait poursuivi ses expérimentations d’armes nucléaires jusqu’à “au moins 2007”. El Baradei faisait référence au timing opportun de l’apparition du rapport, seulement quelque temps après l’enquête du NIE américain qui concluait en novembre 2007 que l’Iran avait mis fin à ses recherches sur les armes nucléaires en 2003. Et le document sur la technologie “Multi-Point Initiation” remplissait précisément cette fonction.
Netanyahu a projeté une série de documents ainsi qu’un certain nombre de dessins, de photographies et de figures techniques, et même un vieux film en noir et blanc granuleux, comme preuves du travail d’armement nucléaire iranien. Mais absolument rien de tout cela n’offre un lien probant avec le gouvernement iranien. Tariq Rauf, qui dirigeait le Bureau de coordination de la politique de vérification et de sécurité de l’AIEA de 2002 à 2012, a noté dans un courriel qu’aucun des documents ne montre de sceaux officiels ou d’autres marques qui les identifieraient comme des documents du gouvernement iranien. Les prétendus documents iraniens remis à l’AIEA en 2005 manquaient également de telles marques officielles, comme un fonctionnaire de l’AIEA me l’a concédé en 2008.
Finalement, le diaporama de Netanyahu nous en apprend surtout sur le style de persuasion du Premier ministre israélien. Il a fourni des preuves supplémentaires sur ces revendications qui avaient réussi à convaincre les Etats-Unis et les autres alliés d’Israël de se joindre pour punir l’Iran et son prétendu programme d’armement nucléaire. Des preuves qui montrent que ces revendications étaient basées sur des documents fabriqués par l’État qui avait le plus d’intérêt à faire punir l’Iran : Israël.
Par Gareth Porter : journaliste d’investigation indépendant et historien de la politique de sécurité nationale des États-Unis. Il a reçu le prix Gellhorn 2012 du journalisme. Son livre le plus récent est Manufactured Crisis : The Untold Story of the Iran Nuclear Scare, publié en 2014.
Sources : Consortium News; Traduit de l’anglais par Investig’Action