Alors que tous les projecteurs des médias occidentaux sont volontairement braqués sur la Ghouta (voir notre texte ici), fief terroriste que la Syrie et la Russie ont le malheur de combattre, alors que des larmes de crocodiles sont versées au rythme des montages réalisés par les Casques blancs sur un tempo donné par l’OSDH pour ces pauvres enfants dans la poussière, il est temps de rediriger le projecteur.
Le ministre russe de la Défense propose ainsi une nouvelle direction: Raqqa. Ville ravagée et abandonnée à elle-même après les bombardements de la coalition américaine.
Bonnes âmes occidentales, à vos mouchoirs, l’heure est venue.
Puisqu’une trêve humanitaire est décrétée sur l’ensemble du territoire de la Syrie, c’est le bon moment pour se souvenir de Raqqa. Raqqa, capitale de l’état islamique, qu’il a bien fallu sacrifier après que la Russie et l’armée syrienne régulière aient libéré Alep, malgré les critiques de la communauté internationale (voir notre article ici sur la bassesse des réactions internationales). La coalition américaine avait besoin d’une victoire et en urgence. Ce ne fut pas très rapide, même si le travail fut grossier (voir l’article dans Global Research de la journaliste indépendante L. Gottesdiener sur l’impact civil des bombardements américains). Il a bien fallu tout d’abord évacuer ses terroristes et ensuite détruire la ville. Une certaine conception de la libération.
Selon l’ONU, 80% de la ville a été détruite par les bombardements et la population ne peut pas revenir. Pour autant, le responsable de l’USAID pour cette ville explique clairement que les Etats-Unis n’ont absolument pas prévu la reconstruction de la ville, mais la stabilisation de la situation. Quid du déminage, du déblaiement, du retour de la population?
Cette position soulève de sérieuses questions. L’armée américaine, selon certains, a fait la guerre plus contre la population civile que contre Daesh et les destructions (officielles uniquement) en Syrie suite à ces raids laissent songeur (article du 30 juillet 2017, avant encore la chute de Raqqa):
These human rights groups and local reporters say that, across Syria in recent months, the U.S.-led coalition and U.S. Marines have bombed or shelled at least 12 schools, including primary schools and a girls’ high school; a health clinic and an obstetrics hospital; Raqqa’s Science College; residential neighborhoods; bakeries; post offices; a car wash; at least 15 mosques; a cultural center; a gas station; cars carrying civilians to the hospital; a funeral; water tanks; at least 15 bridges; a makeshift refugee camp; the ancient Rafiqah Wall that dates back to the eighth century; and an Internet café in Raqqa, where a Syrian media activist was killed as he was trying to smuggle news out of the besieged city.
The United States is now one of the deadliest warring parties in Syria. In May and June combined, the U.S.-led coalition killed more civilians than the Assad regime, the Russians, or ISIS, according to the Syrian Network for Human Rights, a nongovernmental organization that has been monitoring the death toll and human rights violations in Syria since 2011.
C’est peut-être pour cela que la communauté internationale, derrière la coalition américaine a tant besoin de rendre Assad et la Russie responsables de tous les maux. Ils se dédouanent ainsi. C’est aussi pour cela que les portes de Raqqa sont fermées. Une chape de plomb semble avoir été coulée sur la ville, pour cacher les horreurs et les odeurs au bon peuple qui doit s’indigner sur commande pour soutenir les terroristes modérés qui les feront ensuite exploser en Europe. Bref, la coalition américaine a repris la terre, les êtres qui l’habitent ne l’intéressent pas. Elle mène un combat de territoire, pas d’hommes.
Le ministre russe de la Défense, S. Choïgu, a lancé une idée en soi excellente, sur plusieurs plans. Selon les données du ministère de la Défense, la situation humanitaire à Raqqa est critique. Il existe des risques épidémiologiques, liés au fait que les travaux de déblaiement de la ville après les bombardements n’ont pas été réalisés jusqu’au bout et dans certains quartiers n’ont même pas été débutés, des corps gisent toujours sous les décombres, les opérations de déminages n’ont pas été menées de manière systématique alors que les terroristes ont miné la quasi-totalité des bâtiments avant d’abandonner la ville. Par ailleurs, les ONG et les journalistes n’ont pas accès à la ville. Evidemment, dans ces conditions, les gens ne peuvent pas rentrer chez eux. Il est donc nécessaire de mettre en place une Commission d’expertise de la situation sous l’égide de l’ONU.
Moment de terreur. Comment? La Russie propose d’aller voir sur place ce qui se passe après des bombardements américains? Mais de quoi se mêle-t-elle?
C’est en substance la réaction du porte-parole de la coalition américaine qui répond ne pas voir l’intérêt des efforts de la Russie parallèlement à la trêve et le sens d’une telle Commission. Point final, on passe, il n’y a rien à voir.
When asked whether they would support the creation of such a commission, Operation Inherent Resolve press office said, « The Coalition supports a United Nations-sanctioned peace process in Syria that will take into account the equities of all parties involved. We do not see value in a parallel effort by Russia, » the press office said. »
Comme l’écrivait Le Figaro, la ville a été pulvérisée. Maintenant, personne n’en parle. Pas un seul article dans la presse. Pas d’information, de problème. Le projecteur est détourné de ce qui dérange. La proposition russe ressemble à un éléphant entrant dans un magasin de porcelaine. Chaque chose est délicatement posée à sa place, pourrie tranquillement, les regards se détournent pudiquement. Que demander de plus? Si l’on expose un problème, il faut donner des justifications, proposer des solutions, ce qui n’entre absolument pas dans les projets américains. Stabilisation.
Le représentant spécial de l’ONU De Mistura demande, quant à lui, manifestement perturbé par une telle incongruité, quelques explications. Il ne comprend pas très bien ce qu’entendait par là le ministre russe.
En effet, quelle drôle d’idée? Ce n’est pas la Russie qui a bombardé, à quoi bon aller voir sur place l’étendue des dégâts, comment la population est laissée à elle-même, les épidémies etc. Il y a d’autres urgences: accuser Assad d’attaques chimiques, partager la Syrie, relancer les groupes terroristes un peu endormis pour permettre d’atteindre ce but. Bref, il y a beaucoup de travail.
PS: J’ai cherché dans toutes les photos diffusées sur Raqqa (et il n’y en a pas beaucoup), je n’en ai pas vues une seule avec un Casque blanc courant portant un enfant dans les bras plein de sang et de poussière blanche devant les caméras. J’en déduis que les enfants ne sont pas morts à Raqqa. En tout cas ceux sur lesquels la communauté internationale doit pleurer. D’un coté vous avez des victimes, réelles ou mises en scène, de l’autre des dégâts collatéraux.
Qui pleure des dégâts collatéraux? Quelle idée!
Par Karine Bechet-Golovko
Source: Russie politics