Peu avant de s’en prendre aux soldats israéliens, comme on l’a vu dans une vidéo rapidement devenue virale, la jeune Ahed Tamimi venait d’apprendre que son propre cousin, le jeune Mohammed Tamimi, avait été massacré par cette même armée qui occupait son village de Nabi Saleh.
Les journalistes du Haaretz Gideon Levy et Alex Levac sont allés à la rencontre de l’adolescent, qui a difficilement survécu au tir d’une balle en pleine tête, mais qui restera marqué toute sa vie par la barbarie de l’occupant. Ils ont filmé, et ils racontent, au terme d’une enquête méticuleuse.
La partie gauche de son visage est tordue, enflée, fragmentée, et couturée de cicatrices ; du sang coagulé sort de son nez, des agrafes plein le visage, et son cuir chevelu est barré d’une longue ligne. Un visage d’enfant devenu « Scarface », en somme.
Les chirurgiens ont dû prélever plusieurs os de son crâne pour les besoins de l’opération, qui ne pourront pas remis en place que dans six mois, au prix d’une nouvelle opération.
Mohammed Tamimi, qui vient d’avoir 15 ans, devenu un handicapé par un tir, a déjà connu lui aussi la détention.
Voilà ce qu’est l’existence à Nabi Saleh, un village où les habitants luttent contre l’occupation.
Environ une heure après le tir à bout portant d’un soldat (ou peut-être d’un garde-frontière) sur son cousin, Ahed est sortie dans la cour de la maison familiale, et a tenté d’en expulser les deux militaires qui s’y étaient positionnés, tandis qu’une caméra filmait la scène. Il est plus que raisonnable d’assumer que sa colère avait pour origine, au moins en partie, l’agression dont son cousin avait été victime.
La maison d’Ahed n’est en effet distante que de quelques dizaines de mètres de l’endroit où l’on a tiré sur Mohammed.
Des membres de la famille, que nous avons interrogés, nous ont déclaré qu’Ahed avait fondu en larmes quand elle appris le sort de son cousin. De chez elle, on aperçoit en effet le mur sur lequel Mohammed s’était juché. C’est là qu’il a été touché, par une balle tirée à quelques petits mètres seulement de distance, et qu’il est tombé au sol d’une hauteur de 3 mètres environ.
A l’heure où ces lignes sont écrites, Ahed est en prison et Mohammed commence à se remettre de ses blessures. Au vu de sa condition, les parents de Mohammed ont choisi de ne pas l’informer sur l’arrestation de sa cousine.
Nous l’avons pour notre part rencontré au domicile de son oncle, mitoyen de sa propre maison.
Il s’exprime d’une voix douce, passe de temps en temps sa main sur son crâne démoli, et a besoin par moments de s’allonger sur le canapé du salon. Il est élève en classe de seconde au village, dans un établissement où Ahed est elle-même en classe de 1ère.
Son père, Fadel, est chauffeur de taxi, et sa maman est mère au foyer. L’année dernière, Mohammed a été emprisonné trois mois par les Israéliens.
C’est précisément le 24 avril 2017, et à deux heures du matin, que les soldats avaient fait irruption dans sa maison, qu’ils avaient arraché Mohammed de son lit, avant de le menotter et de l’emmener. Le garçon se souvient qu’il avait été obligé d’implorer les soldats pour que ceux-ci l’autorisent à s’habiller avant de partir.
Le jeune Tamimi était soupçonné d’avoir lancé des pierres en direction d’une jeep de l’armée tombée en panne près de la station-service du village quelques jours auparavant.
Conduit au centre de police de la colonie d’Etzion, Mohammed y fut interrogé en présence d’un avocat, comme l’exige la loi. Mais on peut aussi se demander ce que vient faire la loi He was taken to the Etzion police facility for quand il est question de l’interrogatoire d’un gamin palestinien de 14 ans (l’âge de Mohammed à l’époque). Toujours est-il que personne ne lui avait dit qu’il avait le droit de rester silencieux. Mohammed a quand même eu la présence d’esprit de refuser de signer le papier qu’on lui tendait, rédigé en hébreu, une langue qu’il ne connaît pas.
Après trois mois de détention provisoire, d’interrogatoires et d’auditions au tribunal, Mohammed a été condamné, dans le cadre d’une procédure de « plaider coupable », à trois mois de prison plus une amende de 3.000 shekels (750 € environ), après que le procureur avait initialement requis 1 an et 15.000 shekels. Mohammed avait été libéré le surlendemain, le 19 juillet, ayant déjà purgé ses trois mois.
On doit savoir que Mohammed n’a pas eu droit à une seule visite de ses parents au cours de ses trois mois de détention.
On demande à Mohammed ce qui a été le plus éprouvant pour lui, en prison. Il nous répond que c’était le fait de ne pas avoir de nouvelles de sa famille, qui l’empêchait de dormir. L’armée effectue des raids sur Nabi Saleh pratiquement tous les jours et toutes les nuits, et Mohammed vivait dans l’angoisse constante de ce qui pouvait arriver aux siens. Son frère Sharef, qui est âgé de 24 ans, et leur père ont déjà été arrêtés à plusieurs reprises, et même blessés.
En 2015, par exemple, des hommes se présentant comme étant des employés de la Compagnie Electrique arrivent à la maison, en plein jour. Ce sont en fait des soldats, habillés en civil. Ils enferment tout le monde dans une pièce. Mohammed parvient à leur échapper par une porte de derrière, et à se réfugier dans la maison de son oncle, où il prévient que des étrangers ont envahi son domicile.
Son cousin, qui s’appelle lui aussi Mohammed Tamimi –une centaine des habitants de Nabi Saleh ont le même patronyme- indique que dans un premier temps, personne ne savait qui étaient les intrus en question.
On comprit ensuite que les soldats étaient venus pour arrêter Sharef, absent au moment des faits. Sharef venait d’être condamné à deux mois de prison par un tribunal, et les soldats étaient là pour l’arrêter. Cet épisode fait lui aussi partie des mémoires de Mohammed enfant.
Mais on arrête un moment l’interview, l’adolescent ayant besoin de se reposer un peu.
Après sa libération, Mohammed reprit le chemin des manifestations régulières à Nabi Saleh –« parce qu’ils ont volé nos terres », explique-t-il.
De fait, l’essentiel des terres du village de Nabi Saleh ont été ruinées, soit pour faire place à la construction de la colonie de Halamish, soit parce que les habitants n’ont plus accès à leurs champs, du fait précisément de la présence de la colonie !
La répression israélienne s’est considérablement aggravée au cours du dernier trimestre.
UN RAID PAR JOUR !
Selon Iyad Hadad, chercheur de terrain pour l’ONG de défense des droits de l’homme B’Tselem, les forces d’occupation ont effectué entre 70 et 80 raids à Nabi Saleh au cours des trois derniers mois !
Dans certains cas, l’armée ferme le portail en fer à l’entrée du village, ce qui emprisonne complètement la population, incapable de rejoindre la route principale. Et cela, surtout au petit matin, autrement dit quand les gens vont au travail, à l’école, ou encore à l’hôpital et au dispensaire.
Les habitants que nous avons interrogés attribuent le durcissement au comportement du nouveau commandant militaire de la zone, qu’ils ne connaissent que sous un prénom, « Eyal ».
Le vendredi 15 décembre fut encore une fois une journée de tumulte à Nabi Salh.
La déclaration fracassante de Trump sur Jérusalem datait de la semaine précédente. Comme tous les vendredis, une manifestation était prévue.
Mohammed Tamimi nous raconte que ce matin-là, avec un groupe de copains, il était parti en « éclaireur », pour voir si les soldats étaient déjà positionnés en embuscade, avant le début de la manifestation.
Les manifestants du vendredi ont l’habitude de se diriger vers la tour de guet fortifiée de l’armée israélienne, située à l’entrée du village.
« Nous étions cinq ou six jeunes. On a ensuite aperçu une douzaine de soldats, venant du sud du village, qui se mettaient à couvert pour se placer en embuscade. On leur a crié dessus qu’on les avait repérés. Ils nous ont balancé des lacrymos. Pendant ce temps, les marcheurs approchaient », raconte Mohammed.
Les militaires se sont alors positionnés dans ce qu’on appelle ici « La Villa », une magnifique structure encore en construction, qui appartient à un riche Palestinien vivant à l’étranger, en Espagne.
Le site est prévu pour servir de clinique, mais son ouverture a sans cesse été retardée, du fait de l’occupation.
Des dizaines de manifestants entourent alors « La Villa ».
Mohammed s’approche du mur d’enceinte de la propriété, et en escalade le mur. Il voulait vérifier si les soldats étaient toujours dedans, ou s’ils avaient déguerpi, comme la rumeur en avait couru.
Mais à l’instant même où il arrive sur le mur, il reçoit en pleine tête une balle en acier recouverte de caoutchouc tirée à quelques petits mètres. Tamimi se rappelle avoir vu le soldat armer son fusil et le viser, mais ensuite c’est le trou noir.
L’enfant est inconscient quand il est transporté à bord d’une voiture particulière à la clinique de Beit Rama, un village proche.
Son cousin Mohammed l’accompagnait. Il indique que les soignants de Beit Rama, démunis, suggèrent de conduire le blessé à Salfit, une localité un peu mieux équipée. Mais ce même cousin décline la proposition, car à son avis, la blessure est trop sérieuse pour pouvoir être prise en charge à Salfit. Le chauffeur d’une ambulance du Croissant-Rouge Palestinien prévient de son côté qu’en cas de blocage par un checkpoint, le blessé est susceptible d’être arrêté par les soldats.
De fait, les soldats positionnés à la sortie de Nabi Saleh arrêtent l’ambulance. Mohammed (le cousin) se souvient qu’ils étaient très agressifs, et pointaient leurs armes sur eux. Quand ils ont vu le blessé, on leur a dit : « Vous avez 30 secondes pour décider : ou vous nous laissez passer, ou vous emmenez le blessé dans un hôpital israélien ».
Une ambulance militaire israélienne était garée à côté. Un des soldats a passé un appel radio, et a donné l’ordre à l’ambulance palestinienne de se diriger sur Ramallah, refusant catégoriquement la prise en charge du blessé dans un hôpital israélien.
L’ambulance fonce alors vers l’hôpital Istishari, un établissement privé d’ouverture récente à Ramallah. Les parents de Mohammed, qui s’étaient dans l’intervalle précipités en panique vers le checkpoint, en furent refoulés à la pointe des fusils, malgré leurs explications.
L’état de Mohammed était manifestement grave : il souffrait notamment d’une hémorragie intracrânienne. Des chirurgiens décidèrent qu’il fallait opérer d’urgence, sans avoir pu se faire une idée de l’étendue de l’atteinte cérébrale. L’opération chirurgicale a duré six longues heures, jusqu’au milieu de la nuit.
Des photographies du jeune patient, inconscient et intubé de partout, ont essaimé sur les réseaux sociaux dès le lendemain.
Puis Mohammed s’est éveillé, et a été en mesure de reconnaître son entourage et son environnement. Tout le monde à Nabi Saleh évoque maintenant un miracle, tant la frayeur a été grande.
Mohammed Tamimi est sorti de l’hôpital au bout d’une semaine. A ce jour, il ne souffre pas de séquelles motrices ou cognitives identifiées.
Mohammed se repose maintenant à côté de son père, qui vient de rentrer du travail. La maison à côté, un peu plus haut sur la colline, est celle d’Ahed Tamimi. Mais cette dernière est en prison, ainsi que sa mère Nariman Tamimi. Le père, Bassem, est au tribunal, pour soutenir leur moral alors qu’un procureur lit la longue liste d’inculpations qu’il veut retenir contre les deux femmes.
Source : Haaretz
Traduit par CAPJPO-EuroPalestine