Il va falloir des conseillers bien plus subtils à l’intrépide Ben Salmane que ceux qu’il a recrutés auprès des think tanks sionistes pour inverser la donne : le coup yéménite de l’intrépide Ben Salmane s’avère être un fiasco royal ; pis encore, il risque de lui être fatal.
Tout le monde sait que le charismatique Abdellah Saleh était loin d’être en odeur de sainteté auprès de Riyad. Les Saoud lui reprochaient sa trahison de 2012, puis son alliance avec Ansarallah depuis l’agression qu’ils ont lancée contre le Yémen sur l’ordre du binôme Israël/USA et dans le strict objectif de s’emparer de la profondeur géostratégique de Bab el-Mandeb et de la mer Rouge, le pétrole faisant depuis longtemps l’objet des pillages saoudiens.
Cela a pris des mois aux cheikhs des Émirats pour convaincre Ben Salmane de recevoir le fils du défunt Saleh, Ahmed, résidant à Abou Dhabi, afin que les deux hommes se rencontrent et se mettent d’accord sur le projet de coup d’État. Cette rencontre-là aussi a été un désastre. Humilié, voire brusqué, Ahmed a eu droit à des injures non seulement à son endroit, mais aussi à l’endroit de son père avant de rentrer bredouille aux Émirats.
Personne ne sait ce qui s’est réellement passé en coulisse ni les promesses qui ont été faites à Saleh, pour que ce vieux routier de la politique, homme qui savait danser avec les serpents, finisse par croire que Riyad mettrait un terme à sa tuerie et rendrait à son fils ou à lui « son fauteuil présidentiel ». Mais l’homme y a cru et il en a payé le prix cher.
Mais qui est sorti gagnant de ce coup de force interyéménite d’origine exogène ?
Sans doute pas Ben Salame, encore moins Ben Zayed, qui agit en mentor et chef spirituel du jeune prince. La victoire n’est pas non plus du côté de l’axe israélo-américain, qui a tout fait depuis 2015 pour que Ben Salmane s’englue chaque jour un peu plus dans le bourbier yéménite. Le coup d’État manqué du premier décembre a extrait des ruines de trois années de guerre un acteur politique et militaire dans la péninsule arabique du nom d’Ansarallah.
Que le convoi de Saleh ait tenté de fuir Sanaa sous l’escorte des avions saoudiens, sans toutefois y parvenir, cela dit beaucoup de choses : Ansarallah s’est imposé en rassembleur et a réussi à souder la mosaïque tribale ô combien complexe de la société yéménite pour la réunir sous le drapeau national. Sans l’aide des tribus et de l’armée nationale, voire des proches de Saleh, ce dernier aurait pu fuir la capitale pour s’installer à Maarib, voire à Aden, et remplacer le stérile personnage qu’est Mansour Hadi. Cela aurait ouvert une longue période de dissensions et de divergences internes susceptibles d’inverser la donne militaire en faveur de la « coalition » pro-saoudienne, qui vit ses dernières heures.
Mais ce n’est pas tout : le second jour du coup d’État, soit le 2 décembre, l’armée yéménite et Ansarallah ont réservé une énorme surprise au camp des agresseurs : un missile de croisière d’une portée de 1 600 kilomètres s’est abattu sur la centrale nucléaire « Barakah » à 35 kilomètres d’Abou Dhabi, pulvérisant l’un de ses quatre réacteurs. Le site devait être opérationnel en 2018. Ce missile a transformé d’un coup d’Ansarallah en une « partie régionale » avec qui il faut compter, une partie que Riyad et consorts devraient cesser de mépriser et avec qui ils ont tout intérêt à amorcer au plus vite le dialogue avant qu’il ne soit trop tard. Et Ansarallah pourrait ne pas en rester là : son leader a affirmé lundi dans les heures suivant la trahison puis la mort de Saleh : « Que les investisseurs quittent les Émirats et l’Arabie saoudite. Qu’ils aillent investir en Irak, en Syrie voire au Koweït… » Cette mise en garde veut dire très explicitement que désormais le sol saoudien, tout comme le sol émirati, est exposé au pire danger et que d’autres missiles de croisière yéménites pourraient suivre le premier. Qu’Abou Dhabi le reconnaisse ou pas, cela ne changera rien à la donne.
Il est grand temps donc pour Ben Salmane qu’il cesse sa folie, qu’il se mette à la table des négociations avec les forces yéménites, non pas pour leur imposer ses conditions dictées par Washington ou Tel-Aviv, mais pour discuter de la fin des massacres, de l’indemnisation les victimes, de la reconstruction du Yémen et du rétablissement des conditions d’un bon voisinage. Le plus tôt sera le mieux, car il y a péril en la demeure.
Source: Press TV