L’armée irakienne a repris en 48 heures quasiment toutes les zones dont les combattants kurdes s’étaient emparés progressivement depuis 2003, notamment dans la province pétrolière de Kirkouk, infligeant un cuisant revers aux autorités du Kurdistan.
Trois semaines après le « oui » massif à leur référendum d’indépendance controversé, ce retrait aux allures de défaite a encore exacerbé les tensions entre les deux grands partis traditionnels de la région autonome kurde. Une réunion du Parlement local devant discuter des élections présidentielle et législatives du 1er novembre a été reportée sine die.
« Il ne s’agit pas d’une opération militaire mais d’un redéploiement des forces dans toutes les régions afin d’y appliquer la loi. D’autres communiqués suivront », a affirmé mercredi à l’AFP le général Yehya Rassoul, porte-parole du Commandement conjoint des opérations (JOC).
Les forces armées irakiennes ont affirmé avoir atteint leurs objectifs dans la région de Kirkouk, à l’issue d’une opération de 48 heures lancée dans des zones en dehors du Kurdistan autonome, prises par les peshmergas (combattants kurdes) en 2014, lors du chaos né de l’offensive éclair des jihadistes du groupe Etat islamique (EI).
‘Rétablissement de la sécurité’
« Le rétablissement de la sécurité dans des secteurs de Kirkouk a été achevé ». En outre, des « forces ont été redéployées et ont repris le contrôle de Khanaqine et Jalaoula, dans la province de Diyala, ainsi que Makhmour, Baachiqa, le barrage de Mossoul, Sinjar et d’autres zones de la plaine de Ninive », a indiqué le JOC.
A Kirkouk, selon le journaliste de l’AFP sur place, il ne reste plus de peshmergas visibles en ville, uniquement des forces du gouvernement central.
Les Kurdes ont « quasiment perdu » tous les territoires « qu’ils avaient progressivement grignotés depuis 2003 », souligne le géographe français Cyril Roussel.
« Il ne leur reste plus que quelque 5 à 6.000 km2 dans la province de Ninive et 520 km2 à Altun Kupri, sur la route Kirkouk-Erbil. C’est quasiment un retour aux limites des trois provinces qui forment la région autonome », a ajouté cet expert du Kurdistan irakien.
Depuis l’invasion américaine de 2003, les peshmergas s’étaient emparés progressivement de 23.000 des 37.000 km2 revendiqués par le Kurdistan autonome hors de ses limites administratives.
Cette large bande de plus de 1.000 km partant de la frontière syrienne jusqu’à celle avec l’Iran passe par les provinces de Kirkouk, Ninive, Diyala, Salaheddine et la province kurde d’Erbil.
« L’autorité du pouvoir central doit être rétablie partout en Irak, je dois être équitable avec tous les citoyens », a de son côté argué mardi soir le Premier ministre, Haider al-Abadi.
Chef de la police de Kirkouk, le général Khattab Omar a souligné que les forces irakiennes allaient patrouiller « dans les quartiers kurdes » afin de rassurer la population et « éviter que les gens partent du fait de rumeurs laissent entendre qu’il va y avoir des violences contre eux ».
Le coup le plus dur pour les Kurdes a été la perte des champs pétroliers de Kirkouk, qui ruine leur espoir d’un Etat indépendant détaché de l’Irak.
Jusqu’ici, près des trois quarts de la production pétrolière de Kirkouk étaient exportés par le Kurdistan, contre l’avis de Bagdad.
Divisions kurdes
Preuve que le pouvoir central veut pousser rapidement son avantage, le ministre irakien du pétrole, Jabbar al-Louaibi, a demandé mercredi à la compagnie British Petroleum (BP) « de prendre au plus vite les mesures nécessaires pour développer les infrastructures pétrolières de Kirkouk ».
Ce ministère avait signé en 2013 un contrat de consultant avec BP pour étudier les réserves et trouver les moyens de développer deux des champs de Kirkouk, un an avant que la percée de l’EI n’interrompe le projet.
Selon la compagnie publique irakienne, la North Oil Company (NOC), des techniciens sont par ailleurs déjà revenus sur deux champs du nord-ouest de Kirkouk afin de relancer la production.
« Avec la perte des champs (pétroliers), le portefeuille kurde est divisé par deux », a souligné le géographe Cyril Roussel, d’après qui « c’est la fin de l’autonomie économique » et « du rêve d’indépendance » du Kurdistan.
« L’Union patriotique du Kurdistan (UPK) a sabordé le bateau pour couler le capitaine » Massoud Barzani, président de la région autonome et dirigeant du grand parti rival, le Parti démocratique du Kurdistan (PDK), a-t-il ajouté.
Les deux grandes formations kurdes sont entrées en guerre ouverte après le succès des troupes irakiennes face aux peshmergas.
La réunion du Parlement kurde prévue mercredi a été annulée sine die.
« L’UPK veut un report de deux ans des élections mais nous n’acceptons que huit mois », a indiqué à l’AFP le député du PDK Farhan Johar.
Mais les divisions sont bien plus profondes.
« Pendant que nous étions occupés à protéger le peuple kurde, Massoud Barzani s’activait à voler le pétrole et à renforcer son influence », a accusé Lahour Cheikh Zengi, chef du contre-terrorisme kurde dans la région de Souleimaniyeh, fief de l’UPK.
« Désormais, nous ne sacrifierons plus nos fils pour le trône de Massoud Barzani », a-t-il ajouté dans un communiqué.
De son côté, M. Barzani a accusé l’UPK d’avoir « ouvert la voie à cette attaque qui a entraîné le retrait des peshmergas ».