Au lendemain de la libération spectaculaire du sud Liban il y a déjà 17 ans, une question centrale a été adressée au Hezbollah victorieux: Et après, quel rôle allez-vous jouer après avoir accompli votre mission ? Autrement dit : Comment allez-vous investir cette victoire réalisée ?
Chaque partie politique — alliée ou adversaire du Hezbollah soit-elle — avait ses propres calculs via ces interrogations. Evidemment, les réponses étaient multiples, tout comme les spéculations. Mais personne ne s’est figuré que le Hezbollah parviendra après une décennie et demie à s’étendre de la sorte dans la région et à jouer ce rôle transfrontalier, influent dans toutes les équations politiques et stratégiques du conflit dans la région.
Maintien des armes de la résistance
A cette époque, les aspirations du Hezbollah étaient minimes et ses réponses ambigües mais rassurantes : Nos armes ne seront pas un fardeau dans le jeu interne, nous ne sommes pas avides de pouvoir. Au lendemain de la libération, le secrétaire général du Hezbollah Sayed Hassan Nasrallah avait offert cet exploit à tous les Libanais sans exception.
Ensuite, le Hezbollah a clairement affirmé être à la disposition du gouvernement qui déterminera notre future destination.
Dans ce contexte, une seule équation se raffermissait de plus en plus : les armes de la résistance seront maintenues aux mains de leurs détenteurs. La jusrtification annoncée publiquement stipulait que l’ennemi israélien ne s’est pas complètement retiré de tout le territoire libanais, comme dans les fermes de Chebaa, les collines de Kafarchouba, et une partie du village al-Ghajar. De même, la ligne bleue ne constituait en aucun cas le tracé définitif des frontières entre le Liban et la Palestine occupée.
Au-dessous des fenêtres des colons
Pour le Hezbollah, qui recevait les félicitations et accueillait les délégations, ce fut le « repos du guerrier ». A la porte Fatima jouxtant la frontière avec la Palestine occupée, on jetait des pierres vers les positions israéliennes. Sur son slogan tant scandé, « nous viendrons à al-Qods en rampant », aucune position claire n’a été faite.
Mais pratiquement, le Hezbollah se trouve aujourd’hui au-dessous des fenêtres des colons israéliens, qui entendent les voix des combattants.
L’exploit libanais se fait voir en Palestine
Ensuite, le Hezbollah s’est attelé à organiser ses affaires, après avoir annoncé qu’il n’était pas en mesure de déposer ses armes ni de dissoudre son aile militaire. Rien ne l’obligeait à déterminer le slogan de la période post-libération, surtout après l’éclatement de la deuxième intifada palestinienne. Cette intifada, déclenchée deux mois après la libération du sud Liban, a constitué une occasion en or pour le Hezbollah, qui a affirmé que les résultats de l’exploit libanais ont commencé à se faire pressentir dans les territoires occupés.
Bref, le Hezbollah a trouvé cet événement propice pour ouvrir les portes d’une nouvelle ère du conflit arabo-israélien, surtout après que la bannière jaune du parti a été hissée sur le minaret de la sainte mosquée d’al-Aqsa.
A travers cette intifada prometteuse, le Hezbollah comptait pénétrer au cœur des territoires occupés par Israël. Il a mené des attaques bien calculées, tendu des embuscades, pilonné des positions et des patrouilles israéliennes dans les fermes de Chebaa, profitant du fait qu’elles sont des zones controversées sur le plan international. L’événement majeur dans ce contexte fut la capture des deux soldats israéliens, dans une tentative claire de consacrer de nouvelles règles d’engagement, alors que l’ennemi cherchait à travers son retrait irrévocable du Liban à tourner cette page à jamais.
Le Hezbollah dans le bourbier interne…
Parallèlement, le Hezbollah était rassuré sur le plan interne. Il ne faisait pas partie du gouvernement, et était donc loin des conflits d’intérêts et des envies des envieux. Il était rassuré quant à la capacité de la Syrie d’établir un équilibre du jeu interne avec une main de fer.
Mais tout ceci s’est rapidement effondré : l’intifada palestinienne s’est calmée après avoir essuyé des coups durs, le président Rafic Hariri est tombé en martyre, et avec lui toutes les équations favorables et rassurantes pour le Hezbollah. Et comme conséquence à cet incident horrible, la Syrie a dû retirer son armée du Liban, et les adversaires du Hezbollah en recueillant la majorité parlementaire ont eu la main haute sur le gouvernement. Cette nouvelle majorité a ensuite expulsé tous ceux qui entretenaient de bonnes relations avec Damas.
Autrement dit, le Hezbollah s’est vu englouti dans les conflits internes, et soumis à un siège dans le but de l’asphyxier.
Sortir de l’œil du cyclone
Néanmoins, il est parvenu à surmonter ces obstacles par le biais de son entente historique avec le Courant Patriotique Libre, et de la guerre du juillet 2006. Bien que le Hezbollah ait trouvé que cette guerre était dans son intérêt, ses adversaires politiques ont poursuivi leurs campagnes contre lui. Ces derniers ont aussi profité de la résolution onusienne 1701, et de l’accusation faite au Hezbollah d’implication dans l’assassinat du président Hariri.
Plus tard, le chef du parti socialiste progressiste le député Walid Joumblatt a prononcé son fameux discours sur les armes du Hezbollah : « N’ayez pas peur dorénavant des armes du Hezbollah, elles seront bientôt rouillées dans les dépôts parce que le Hezbollah ne pourra les utiliser nulle part ».
Deux ans étaient suffisants pour que le Hezbollah contourne la campagne adverse et « disloque le front des ennemis ». Ce fut après les incidents du mai 2008, qui ont imposé de nouvelles données, renversé le premier gouvernement du président Saad Hariri et assuré l’expulsion de tout le camp du 14 mars du pouvoir. Il a pu ensuite restituer ce qu’il a perdu, arrivant enfin à l’élection du général Michel Aoun, son candidat exclusif, à la tête de l’Etat.
Un parti comme plusieurs armées
Nul besoin de dire que l’éclatement de la guerre en Syrie a constitué un tournant dans l’expérience interne et régionale du parti. Les adversaires s’attendaient au renversement de tout l’axe qui soutient le Hezbollah, mais en moins de deux ans, le Hezbollah s’est impliqué dans la guerre syrienne, affrontant ainsi un défi existentiel.
Mais à travers cette guerre syrienne, le Hezbollah s’est transformé d’un parti libanais dont l’action et l’influence se limitaient au Liban, en un parti transfrontalier ayant son poids dans les équations du conflit régional puis international. Le Hezbollah dipose désormais de la puissance de plusieurs armées.
Estimations de la force du Hezbollah : entre hier et aujourd’hui
Lorsqu’Israël a mené sa guerre contre le Liban en juillet 2006, les estimations israéliennes avançaient que le corps militaire du parti ne dépasse pas les six mille combattants, entrainés aux combats des guérillas, mais inexpérimentés face aux grandes armées. Ces mêmes estimations prétendaient que l’arsenal militaire du Hezbollah ne comprenait pas plus que 40.000 roquettes.
Mais aujourd’hui, et en moins d’une décennie, les estimations évoquent que le Hezbollah est capable de mobiliser plus de 150.000 combattants, et possède un arsenal de 140.000 missiles, dont des missiles très sophistiqués en termes de portée et de force destructrice.
Présence active en Irak et en Syrie
Dans les calculs internes du parti, la scène irakienne était complètement fermée devant lui en 2006. Actuellement, le parti est actif sur la scène irakienne via des ailes militaires qui s’entrainent à sa doctrine et brandissent ses slogans. De plus, la présence du Hezbollah sur la scène syrienne ne se limite pas aux combattants. Le parti aspire à une présence durable plus profonde et plus large.
Soutien financier accru
Avant les sanctions financières américaines et occidentales sur le Hezbollah, les donations faites au profit du parti étaient modestes et très limitées. Aujourd’hui, le nombre de caisses distribuées par le comité de soutien à la résistance sur les maisons, les magasins, les rues et les quartiers dépasse les 200 mille, et le Hezbollah récoltent quotidiennement des millions de livres.
Par conséquent, le Hezbollah à l’époque de la libération 2000 diffère largement du Hezbollah d’aujourd’hui, devenu une force régionale.
L’essentiel c’est qu’après cette longue période, les développements successifs ont répondu à la question qui lui avait été adressée en mai 2000. Une réponse que le Hezbollah lui-même ignorait.
Par Ibrahim Bayram: journaliste libanais
Traduit par notre rédaction du site du journal Annahar
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