Dans une note consacrée aux réactions dans les « quartiers sensibles » après le meurtre de Nahel, le Renseignement territorial souligne les prétendus risques générés par de simples appels à manifester. Même les commentaires publics d’Omar Sy et de l’attaquant du PSG sont cités.
Dans un entretien publié, le mercredi 28 juin, par Le Point, Bernard Émié, patron de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), rappelait ainsi la finalité d’un service de renseignements : « éclairer » le politique, lui permettre de « voir le dessous des cartes ».
On se demande bien ce qu’ont pu penser ce même jour celles et ceux qui, à l’Élysée, à Matignon et place Beauvau, au ministère de l’intérieur, ont lu la note signée du Service central du renseignement territorial (SCRT, les anciens RG).
Datée de ce mercredi, elle est intitulée « Réactions dans les quartiers sensibles à la suite de la mort de Nahel à Nanterre » et avait pour vocation d’informer les décideurs politiques des risques de contestation violente.
La note émane des « D3 » et « D4 », c’est-à-dire les divisions des dérives urbaines (D3) et de la documentation et de la veille technique (D4) du Renseignement territorial. Ses auteurs reproduisent sur neuf pages un catalogue de clichés. Avec, en appui, une revue de presse des réseaux sociaux, dont la pertinence pourra laisser certains perplexes.
La lecture de la page de garde, qui résume l’ensemble, ne trompe pas quant à la nature du danger encouru par la République après le meurtre d’un adolescent de 17 ans par les forces de l’ordre.
« La présence de militants d’ultra-gauche dans [les] différentes manifestations est susceptible de générer des incidents. L’activité des réseaux sociaux sur ce thème met en exergue la volonté des groupuscules d’ultra-gauche de faire “converger les luttes” avec en dénominateur commun “les violences policières”. »
Et comment l’ultragauche compte-t-elle s’y prendre pour générer des incidents ? En relayant « des appels à mobiliser, vendredi soir à 20 h devant les mairies ». Donc à manifester.
Si sept lignes sont consacrées à l’ultradroite qui « se positionne en faveur de la police » et dont les commentaires « évoquent un tir jugé légitime contre “la racaille” », la « mouvance contestataire d’ultra-gauche » a le droit, elle, à une page pleine et entière. Pourquoi autant ?
Sans doute parce que les propos que cette mouvance tiendrait sont d’une virulence rare. Eh bien non. La note détaille le contenu de la page Twitter du collectif Cerveaux non disponibles, dont le tort semble d’avoir relayé le message « Justice pour Nahel ».
Les Cerveaux non disponibles aggravent leur cas, selon le service de renseignements, en diffusant des photos de l’adolescent tué par un policier, ainsi que des illustrations de feux de poubelles.
« Ces images génèrent des discours anti-police tels que “nos enfants ne sont pas du gibier à flics” », s’inquiète le SCRT.
Tout aussi alarmant, selon eux : sur sa page Twitter, l’Offensive antifasciste Bordeaux « parle d’une liste des victimes de la police qui s’allonge une fois de plus ».
Enfin, il n’échappe pas aux limiers du Renseignement territorial qu’Attac France a retweeté un message d’une de ses porte-parole qui dénonce le fait que l’on puisse « mourir d’un contrôle routier » et que la « police ment ». Difficile, en l’état, d’y voir les germes d’une contestation violente.
Les messages de Kylian Mbappé et d’Omar Sy cités
Les auteurs de la note relèvent en outre que le terme « Nanterre » est utilisé dans plus de 80 000 tweets.
« Et de 400 000 retweets », insistent les officiers de renseignements. Principalement du fait, selon eux, « de la mouvance contestataire d’ultra-gauche, de la contestation environnementale et des organisations lycéennes ». Mais pas seulement.
« Des personnalités populaires dans les quartiers sensibles » sont aussi évoquées. Ainsi, souligne la note des RT, « Kylian Mbappé et Omar Sy ont posté des messages en hommage à la victime, en dénonçant également “une situation inacceptable” ».
Ne se contentant pas de l’ultragauche et des ultracélèbres, les officiers de renseignements consacrent deux tiers de page à une catégorie dont jusque-là on ignorait l’existence dans les rapports des services concernés : « les influenceurs islamistes ».
En effet, selon les RT, certains influenceurs et militants de cette mouvance propageraient l’idée « d’une islamophobie d’état » et « d’un racisme récurrent dans les forces de police ». Plusieurs publications en ce sens auraient été détectées sur les réseaux sociaux.
Et de citer la journaliste Feïza Ben Mohamed, qui travaille au bureau France de l’Agence Anadolu, l’agence de presse du gouvernement turc.
Celle qui se revendique sur son profil Twitter « spécialiste des questions d’islamophobie » a conseillé sur son compte : « Filmez la police. Toujours. Partout. Surtout quand elle s’approche de noirs ou d’arabes »…
La seconde à être suivie par le SCRT est une autre journaliste militante : Sihame Assbague. Et pourquoi a-t-elle attiré l’attention du service de renseignements ? Parce que Sihame Assbague « relaie le hashtag “#PoliceTue” et déclare que ce sont souvent les mêmes catégories socio-professionnelles à savoir “des Maghrébins, noirs, classes populaires” qui sont victimes lors des “violences” et “meurtres” commises par la police nationale ».
Également évoquée, l’association Perspectives musulmanes. Elle a publié sur son compte Twitter un communiqué dans lequel elle affirme que « les musulmans et personnes de couleurs sont une cible gratuite dans ce pays » et met en avant « une loi d’inspiration islamophobe » permettant d’établir un nouveau permis de tuer.
Une météo favorable favorisent les regroupements de jeunes sur la voie publique, prompts à commettre diverses exactions.
Le Renseignement territorial
Seul l’exemple d’un converti devenu prédicateur salafiste qui s’enflamme sur son canal Telegram pour notamment accuser la police d’être « une mafia qui abat froidement » paraît relever d’un travail de veille d’un service de renseignements.
Sans aucun lien avec ce qui précède, le SCRT souligne encore qu’« aucune communauté étrangère n’a commenté cet événement [le meurtre de Nahel – ndlr], ni appelé à une marche blanche ».
La note va jusqu’à faire un parallèle avec « la communauté guinéenne d’Angoulême » qui, « confrontée à la mort d’un de ses membres lors d’un contrôle policier le 14 juin », n’a elle fait aucun commentaire. Si on comprend bien, parmi les communautés éplorées par la mort d’un des leurs tués par un policier, les plus louables seraient celles qui ne réagissent pas.
Il faut attendre la dernière page et le propre commentaire des auteurs de la note pour obtenir un semblant d’analyse : « l’émotion et la colère suscitées par cet événement […] sont susceptibles de déclencher des troubles à l’ordre public ». Et lire ce qui pourrait ressembler à des renseignements sur l’objet supposé de la note : « Certains jeunes de quartiers prioritaires, comme à Hem (59) ont déjà annoncé la réitération des violences urbaines et, à Mantes-la-Jolie, un appel a été lancé pour rejoindre Nanterre ce soir et cette nuit en convois. »
Et puis les deux dernières phrases viennent rappeler la teneur de l’ensemble. « La période pré-estivale avec de surcroît une météo favorable favorisent les regroupements de jeunes sur la voie publique, prompts à commettre diverses exactions. Des incidents sont donc à prévoir sur l’ensemble du territoire. » La chaleur exciterait la jeunesse, plus que la mort d’un adolescent, elle-même jugée « inexcusable » par Emmanuel Macron.
Les auteurs de la note ne sont pas connus ; elle n’est pas signée. Mais dans les services de renseignements, la procédure implique que les notes doivent être relues en théorie, voire amendées par la chaîne hiérarchique avant d’être diffusées vers l’Élysée, Matignon et les ministères concernés. A fortiori quand le sujet est sensible.
Source: Mediapart