Douze ans de prison, ainsi qu’une inéligibilité à vie, ont été requis lundi 22 août à Buenos Aires dans un procès pour corruption contre la vice-présidente argentine Cristina Kirchner, figure de la gauche péroniste, ouvrant une hypothèque sur son avenir politique, à un peu plus d’un an d’élections générales.
L’ex-cheffe de l’Etat (de 2007 à 2015) Cristina Kirchner, 69 ans, était jugée dans ce procès en distanciel – et en son absence – pour association illicite et administration frauduleuse aggravées, une affaire d’attribution de marchés publics dans son fief de la province de Santa Cruz, en Patagonie (sud), durant ses deux mandats présidentiels.
Vice-présidente et présidente du Sénat depuis 2019, elle bénéficie à ce stade d’une immunité parlementaire, que seule la Cour suprême pourrait lever si elle venait à confirmer une éventuelle condamnation. Faute de quoi, elle pourrait se présenter aux élections législatives et présidentielle de fin 2023, même si elle n’a à ce jour pas laissé filtrer ses intentions.
Après les réquisitions viendront début septembre les plaidoiries de la défense, dans cette procédure ouverte en 2019, mais qui avait été suspendue par la pandémie de Covid-19. Elles devraient s’étirer sur plusieurs mois et le jugement ne devrait être rendu que vers la fin 2022.
Mais, signe de l’impact de Cristina Kirchner, aussi populaire à gauche que clivante, des rassemblements spontanés de plusieurs centaines d’opposants et de partisans de la responsable politique se sont produits lundi soir aux abords de son domicile à Buenos Aires, produisant des bousculades et poussant un épais cordon policier à faire usage de sprays lacrymogènes, a constaté l’AFP.
Dans son réquisitoire, le procureur Diego Luciani a dénoncé « un authentique système de corruption institutionnel », « probablement la plus grande opération de corruption qu’ait connue le pays ».
L’autre représentant du ministère public, Sergio Mola, a évoqué « des irrégularités systématiques dans 51 appels d’offres sur 12 ans ».
Des peines de deux à douze ans de prison ont été requises contre les 12 co-accusés, notamment 12 ans contre un entrepreneur du bâtiment, Lorenzo Baez, déjà condamné l’an dernier à 12 ans de prison dans une affaire distincte d’évasion de capitaux vers des paradis fiscaux.
L’accusation a estimé les pertes causées à l’Etat à 5,2 milliards de pesos (38 millions de dollars au change officiel).
A maintes reprises, Cristina Kirchner, qui nie les faits reprochés, a dénoncé une persécution politique par une justice selon elle instrumentalisée par l’opposition de droite. Opposition et gouvernement en Argentine se renvoient régulièrement l’accusation de « guerre judiciaire » et d’instrumentalisation de la justice.
Dans un tweet lundi soir, Mme Kirchner a accusé les procureurs d’avoir « bâti leur accusation sur des questions qui n’avaient jamais été soulevées » dans l’acte initial. Elle a dénoncé un « peloton d’exécution médiatico-judiciaire », auquel elle a dit qu’elle répondrait sur le fond mardi via les réseaux sociaux, après s’être vu refuser lundi le droit à une déposition additionnelle, « violation des principes de défense ».
Le président Alberto Fernandez (centre-gauche) a dans un communiqué condamné la « persécution juridique et médiatique contre la vice-présidente », et estimé « qu’aucun des actes imputés (…) n’a été prouvé ».
Icône de la gauche péroniste, populiste pour ses détracteurs, Mme Kirchner a été mise en cause ces dernières années dans une dizaine de procédures distinctes, entre pots-de-vin, blanchiment de fonds, préjudice spéculatif occasionné à l’Etat ou entrave à la justice. Elle a bénéficié de non-lieux, deux encore fin 2021, mais cinq procédures restent en cours.
La probabilité d’une condamnation de Mme Kirchner a donné lieu ces derniers jours à des appels à la mobilisation émanant de politiciens, de mouvements péronistes, certains promettant « le bordel » si l’on touchait à la vice-présidente. Ces appels pourraient annoncer des manifestations tendues, en plus de celles qui chaque semaine à Buenos Aires protestent contre le coût de la vie et l’inflation (71% sur un an).
La semaine dernière, une figure emblématique, quoique controversée, la cofondatrice du mouvement des Mères (des disparus) de la Place de Mai, Hebe de Bonafini, avait ainsi appelé à un « soulèvement populaire » pour « empêcher que vice-présidente aille en prison ».
En parallèle, une pétition signée par plus de 500 maires a dénoncé un procès visant à « bannir » Mme Kirchner de la politique d’Argentine, où elle reste un poids lourd à gauche, et une figure incontournable en vue des élections générales de 2023.