Au printemps 2021, les ministères de la Défense britannique et allemand ont signé un document curieux. Il s’appelle Augmentation de l’être humain: émergence d’un nouveau paradigme (Human Augmentation – The Dawn of a New Paradigm) et il est consacré aux possibilités technologiques d’amélioration des capacités humaines afin d’améliorer les fonctions opérationnelles des soldats.
Le document en question a été préparé dans le cadre du programme dans le domaine des technologies du ministère britannique de la Défense Global Strategic Trends: The Future Starts Today et Strategic Trends Programme: Future Operating Environment 2035, qui a été lancé en 2018.
Les États-Unis travaillent également dans ce secteur. Une étude spéciale préparée pour l’armée de l’air américaine en 1962 avait déjà évoqué l’augmentation des capacités humaines à des fins militaires.
Trois types d’amélioration interconnectés sont généralement cités: physique, cognitif et biologique.
L’amélioration physique concerne le travail sur des prothèses et des accessoires tels que des exosquelettes et des capteurs sensoriels.
Suivie par l’amélioration cognitive. Cela fait référence à des interfaces cérébrales informatiques invasives et aux dispositifs de neurostimulation, qui provoquent des changements directement dans le cerveau (à l’aide d’impulsions électriques, de champ magnétique et d’ultrason).
L’amélioration biologique porte sur la rédaction de gènes, des produits pharmaceutiques et de nouveaux types de vaccin.
La « mise à jour » supposée de l’homme pour être exploité à des fins militaires, selon l’idée des militaires britanniques et allemands, inclut le recours aux interfaces cérébrales, aux produits pharmaceutiques et à la thérapie génique. Selon le rapport, les gens doivent être considérés comme une « plateforme », des moyens de transport, des avions, des navires, et sur ces « plateformes humaines » il faut travailler avec trois éléments: physique, psychologique et social.
Le rapport germano-britannique définit l’augmentation du potentiel humain comme une « application de la science et des technologies pour une augmentation temporaire ou permanente de la productivité de l’homme ». Puis il fait la distinction entre l’optimisation de l’homme, qui pourrait « augmenter la productivité de l’homme jusqu’à la limite des capacités biologiques sans ajouter de nouvelles capacités », et l’augmentation d’un être humain qui pourrait faire franchir les « limites du potentiel biologique » de l’homme.
« Nous voulons que les « combattants de guerre », que ce soit des cyberspécialistes, des opérateurs de drone ou des soldats d’infanterie, soient plus forts, plus rapides, plus intelligents, plus endurants et mobiles… Au fur et à mesure du perfectionnement des technologies, notre réflexion se concentre de plus en plus sur les machines et non sur l’homme, mais cela doit changer si nous voulons être efficaces dans l’avenir », stipule le rapport.
« Les futures guerres ne seront pas gagnées par ceux qui possèdent les technologies les plus avancées, mais ceux qui parviendront à intégrer le plus efficacement les capacités uniques des hommes et des machines… L’augmentation humaine est la partie manquante de ce puzzle », justifient leur concept les auteurs.
Mais comment tout cela sera utilisé à des fins militaires?
Il est affirmé que le déploiement des forces armées devient de plus en plus difficile à cause de la prolifération d’armes de haute précision à longue portée. La solution serait une plus large utilisation de drones combinée aux forces terrestres universelles plus légères et mobiles. Les interfaces cérébrales permettraient aux effectifs d' »augmenter la puissance opérationnelle en les connectant aux systèmes autonomes et aux drones ».
L’utilisation croissante d’ordinateurs et de l’intelligence artificielle à des fins militaires signifie que « la charge cognitive du personnel devrait augmenter, notamment pour ceux qui participent au commandement et à la gestion ».
« Les interfaces cérébrales, les produits pharmaceutiques et la thérapie génique, tout cela pourrait jouer un rôle significatif dans l’optimisation et l’augmentation des compétences de gestion et de contrôle. À court terme, les interfaces cérébrales non invasives pourraient améliorer la productivité. Mais à long terme, les interfaces cérébrales pourraient être regroupées dans un réseau commun de conscience des combattants dans un centre de commandement intellectuel, ce qui garantirait un tableau opération général intégral, améliorant la qualité et la rapidité de prise de décisions », indique le rapport.
Les auteurs du rapport proposent de revoir les relations des militaires avec les institutions publiques chargées de la santé et de la sécurité sociale et de passer à des « relations plus complexes entre les secteurs public et privé » dans ce secteur. En d’autres termes, cela justifie une alliance entre les corporations technologiques, les scientifiques, l’État et les militaires. Alors que la société reste à l’écart, comme si ces questions ne la concernaient pas.
En prédisant l’indignation de la population, les auteurs écrivent que « l’utilisation réussie de l’augmentation humaine nécessitera que la défense et la société se retrouvent confrontées à des dilemmes éthiques et juridiques désagréables. À ce jour, les organisations de défense dans les démocraties libérales adoptaient l’approche « attendons de voir », laissant évoluer les discussions éthiques et les élaborations techniques. Cette position passive apportera une impulsion à nos adversaires et fera manquer à la défense l’opportunité d’améliorer le bien-être et l’efficacité de nos forces armées ».
L’humanité en soi est remise en question, car l’augmentation de l’être humain est réalisée sous prétexte d’éliminer certains défauts non pas au profit de la personnalité ou de l’humanité, mais pour devenir plus meurtrier et mener plus efficacement des actions de violence organisée. N’est-ce pas un prétexte étrange pour « augmenter » les capacités humaines?
Par Alexandre Lemoine
Source : Observateur continental