Le Président Erdogan a réitéré son «intention» de sécuriser l’aéroport de Kaboul. Une volonté renouvelée qui obéit aux objectifs stratégiques de la Turquie, explique à Sputnik Pierre Berthelot, chercheur associé à l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE).
«Nous avions l’intention d’assurer la sécurité de l’aéroport et de contribuer à la sécurité de ce pays après le retrait des (troupes) américaines», a déclaré Recep Tayyip Erdogan lors d’une interview télévisée.
Au grand désarroi du chef d’État turc, le chaos créé par la reprise éclair du pouvoir par les talibans* en Afghanistan ne lui a pas laissé le loisir d’accomplir la mission qu’il s’était assignée de longue date. Les forces turques étaient déjà responsables de la sécurité de l’aéroport dans le cadre de leur mission au sein de l’OTAN avant l’offensive talibane. Elles devaient poursuivre cet effort seules après le retrait des forces américaines. Washington et Ankara s’étaient accordées sur les modalités du maintien d’une force turque de 500 hommes, en échange d’un soutien logistique et financier.
Négocié sur la base d’un maintien au pouvoir du gouvernement Ghani, ce plan est tombé à l’eau avec l’effondrement soudain du gouvernement afghan. Comme beaucoup, les Turcs «ont été surpris par la rapidité du retrait américain, mais surtout par la rapidité de l’avancée talibane», explique Pierre Berthelot, chercheur associé à l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE).
«Il fallait qu’ils sortent la tête de cette opération. S’ils étaient allés au bout de leur mission à l’aéroport de Kaboul, avec les images de débandade que l’on a pu voir, ils auraient paru affaiblis», poursuit le directeur de la revue Orients stratégiques.
«Nous en avons toujours l’intention», a pourtant insisté le dirigeant turc. Et ce, aux frais de l’Otan. Cependant, «nous agirons désormais en fonction des réalités qui sont apparues sur le terrain et nous menons nos négociations en conséquence», a affirmé le chef d’État.
Pilier oriental de l’Otan
Selon notre interlocuteur, cette volonté renouvelée découle d’un double calcul géopolitique. D’une part, c’est une manière de rappeler à ses alliés de l’alliance atlantique l’importance de la Turquie dans l’Otan.
«En montrant qu’elle peut avoir ce rôle de pilier oriental de l’Otan, la Turquie peut affirmer une nouvelle fois qu’elle est indispensable. A fortiori en Orient car la Turquie est le seul pays musulman de l’Otan», rappelle le chercheur.
La Turquie se positionne également pour la suit: «Elle pourrait être plus tard l’un des pays qui jouent les facilitateurs entre les talibans* et l’Occident.» Une position clé vis-à-vis des alliés occidentaux qui auraient de ce fait un canal de communication privilégié de discussion avec les nouveaux maîtres de l’Afghanistan.
Promouvoir un Islam politique non guerrier
Recep Tayyip Erdogan a d’ailleurs un coup d’avance, car le pays qui joue pour l’heure ce rôle est le principal allié régional d’Ankara: le Qatar. L’émirat du Golfe est le principal lien entre les talibans et la communauté internationale. C’est à Doha qu’a été négocié l’accord de paix entre l’Administration Trump et les talibans.
«Ce n’est pas nouveau, cette volonté d’être un pilier de l’Otan en Orient. C’est pour ça que les Européens et les Américains ne sont pas allés trop loin dans les sanctions [contre Ankara]», précise notre interlocuteur.
Malgré les nombreux différends géopolitiques qui ont opposé la Turquie et ses alliés occidentaux au Proche-Orient, en Libye et en Méditerranée orientale, ces derniers n’ont jamais pris de mesure radicale vis-à-vis de la Turquie. Juste quelques légères sanctions ciblées. Au niveau européen, celles-ci se résument au gel d’avoirs de magnats turcs des hydrocarbures.
S’orienter «vers un mouvement islamo-nationaliste»
Jusqu’à présent, la diplomatie turque est restée prudente en Afghanistan, soulignant simplement sa volonté d’accompagner une transition politique représentative de la diversité du pays, observant l’évolution de la situation et sans doute les intérêts qu’elle pourrait en tirer.
«Pour la Turquie, l’Afghanistan n’est pas un théâtre d’opérations majeur. Il n’a pas la même valeur pour Ankara que le Proche-Orient ou la Méditerranée. Mais c’est un théâtre d’opérations qui n’est pas négligeable», résume Pierre Berthelot.
Le désir turc de maintenir une présence militaire au sol lui laisse en effet penser qu’Ankara cherchera à accroître son influence politique en Afghanistan.
«Le souhait de la Turquie et des autres pays de la tendance Frères musulmans, c’est justement de voir les talibans s’orienter vers un mouvement islamo-nationaliste, plutôt que comme un mouvement pro-terroriste transnational», explique-t-il.
Même si ce modèle était déjà celui des talibans avant l’invasion américaine en 2001, ceux-ci «accueillaient des mouvements terroristes sur leur territoire». Désormais, «l’idée serait que l’Afghanistan se rapproche du modèle pakistanais». À savoir, une république islamique conservatrice qui applique la charia (loi islamique, ndlr), mais qui a reposé le glaive de l’Islam, avec ses velléités expansionnistes.
«Et, ça peut être le souhait de la Turquie de fédérer ces pays à l’islam rigoriste, mais pas non plus terroriste. C’est un pari», conclut Pierre Berthelot.
De plus, la Turquie pourrait s’intéresser aux richesses minières récemment découvertes au pays des Cavaliers. L’Afghanistan se trouve potentiellement sur un océan de minéraux et autres terres rares. En 2013, le potentiel de toutes ces ressources était estimé à mille milliards de dollars dans un rapport commun de l’ONU et de l’Union européenne.
Source: Sputnik